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du commun des hommes que des vertus communes. La foule des poètes chanta donc chaque fois qu'elle en fut requise. Le gouvernement eut du moins la loyauté de sentir que de l'ouvrage commandé devoit être payé; et le prix des pièces fut tarifé à peu près suivant l'échelle littéraire des genres. Il faut donner à nos poètes la seule louange qui, en pareil cas, puisse vraiment les honorer. Les plus habiles même n'eurent guère à se reprocher d'avoir consacré de riches fictions ni de beaux vers à la louange de la tyrannie; leur conscience trahit leur talent accoutumé, et leur Muse se montra rebelle aux inspirations, de la police générale. Quelques versificateurs, sans une idée dans la tête ni un principe dans l'ame, eurent peut-être le tort d'obéir avec l'empressement de l'intérêt, de la vanité, et même de la bassesse; mais beaucoup d'autres, je puis l'attester, furent profondément chagrins de la corvée qui leur avoit été imposée, et très reconnoissants du silence que leurs amis gardoient avec eux sur les tristes productions qu'on leur avoit arrachées.

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Les chansonniers ne furent point oubliés dans ce qu'on nommoit alors la conscription des poètes. Leur Muse vive, folâtre, et, quand il faut, grivoise, fut chargée d'apprendre au peuple et de lui faire répéter dans les rues, les carrefours et les halles, qu'il étoit excessivement heureux, que Napoléon étoit le meilleur des princes, et telles autres vérités, dont la démonstration se faisoit quelquefois en brocs de vin et en volailles rôties. Le peuple mangeoit, buvoit et ne chantoit pas : c'est qu'il n'étoit pas payé pour répéter

les chansons, comme les auteurs pour les faire; et puis ces chansons étoient si maussades, si contraintes avec leur faux air d'allégresse et d'abandon! Boileau a dit du vaudeville :

La liberté françoise en ses vers se déploie;
Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie.

Dans ce temps de joie et de liberté françoise que je rappelle, l'Enfant du plaisir avoit tout l'air d'avoir été changé en nourrice. On peut donc rendre à nos chansonniers la même justice qu'aux autres poètes; ils n'ont pas eu, en général, le malheur de bien faire; leur verve étoit trop bonne Françoise pour ne pas leur refuser le service, chaque fois qu'ils avoient à chanter le fléau de la patrie 1.

1 Ces lignes, écrites en 1814, se ressentent d'une certaine exaspération causée par les désastreuses folies de Bonaparte, et augmentée par l'odieuse hypocrisie de ceux qui, tout en regrettant un pouvoir tyrannique, sembloient ne pouvoir être rassasiés de liberté sous une autorité douce jusqu'à la foiblesse. Aujourd'hui, il n'en doit coûter à personne de reconnoître que Bonaparte eut de prodigieux talents, et qu'il accomplit de merveilleuses choses. Mais, en même temps, tout homme de bonne foi est forcé de convenir que, s'il agrandit la France et accrut sa gloire militaire, il fit peser sur elle le plus accablant despotisme qui ait jamais opprimé une nation. Nul véritable ami de la liberté et de l'humanité ne peut chérir sa mémoire. Quant à ceux qui lui ont dû leur fortune et leur élévation, leurs sentiments ne sont pas libres la reconnaissance les enchaîne.

LITTÉRATURE. - ROMANS.

ORIGINE DU ROMAN.

CAUSES DU PLAISIR QUE PROCURE CE GENRE D'OUVRAGES.

LA DISPOSITION LA

CE SONT LES FEMMES.

LES QUALITÉS ET LES

PLUS FAVORABLE POUR LA LECTURE DES ROMANS.
QUI EN PRODUISENT ET EN CONSOMMENT LE PLUS.
DÉFAUTS QU'ELLES APPORTENT DANS CES COMPOSITIONS.-RAPPORTS NOMBREUX
ENTRE LE ROMAN ET LE GENRE DRAMATIQUE. ›

Le roman est une espèce de monstre, né des amours adultères du Mensonge et de la Vérité: il tient de son père par la fausseté des aventures qu'il raconte, et de sa mère par la vraisemblance qu'il met ou doit mettre dans ses récits. Ce genre bâtard étoit inconnu aux Grecs et aux Romains, dans les beaux siècles de leur littérature. L'Histoire et la Fable leur suffisoient : l'une satisfaisoit leur curiosité encore avide par ses événements naturels et véritables; l'autre amusoit leur jeune imagination par ses aventures merveilleuses et chimériques; mais, lorsqu'ils furent parvenus à ce degré de savoir et de satiété, qui détruit à la fois le charme de la vérité et celui de l'erreur', l'Histoire leur parut trop simple, et la Fable trop bizarre; ils

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trouvèrent trop de raison dans l'une, et trop d'extravagance dans l'autre. Il fallut à ces peuples vieillis et blasés des histoires qui n'en fussent pas, ou autrement des fables qui n'eussent pas l'air d'en être. C'est alors, c'est ainsi que naquit le Roman, celui qui, créant tout ensemble les événements, les personnages et les sentiments, multiplie et complique les uns, exalte et passionne les autres, de manière à produire des impressions plus vives qu'il n'en peut résulter des plus intéressantes réalités, mais toutefois sans excéder les bornes de la vraisemblance, hors de laquelle il n'est plus de véritable intérêt. L'Histoire et la Fable toutes pures continuent d'être un aliment agréable pour l'esprit des peuples et des hommes qui sont encore enfans. Les Orientaux, les Arabes, par exemple, trouveront également dans l'une et dans l'autre de quoi charmer les loisirs de leur vie tranquillé et uniforme; leurs esprits naïfs et crédules seront successivement attachés par la simplicité monotone de leurs annales, et par le merveilleux absurde des Mille et Une Nuits: de même, parmi nous, les enfants sont alternativement amusés par un chapitre de la Bible, et par un conte de la Bibliothèque Bleue. C'est quand on a beaucoup vécu, quand tout ce qu'on sait de l'histoire dégoûte de tout ce qu'on pas, et que la connoissance du monde réel a complétement désenchanté le monde chimérique de la fable ou de là féerie, c'est alors que, pour occuper l'activité de l'ame qui survit à celle de l'esprit et du corps, on a besoin de ces aventures, de ces passions, de ces infortunes et de ces félicités imaginées, et non

n'en sait

pas fantastiques, qui, vous laissant dans la sphère que vous habitez, semblent y jeter plus de mouvement et d'intérêt, et sont comme une suite, une extension, un développement de votre existence véritable.

L'oisiveté est la meilleure, disposition qu'on puisse apporter à la lecture des romans: aussi les vieillards parmi les hommes, et les femmes à tout âge, en font particulièrement leurs délices. On sent que des ouvrages destinés aux classes les plus désœuvrées de la société, des ouvrages qu'on lit fort vite, et qu'on ne peut guère relire, ne sauroient être trop multipliés. Heureusement, l'industrie s'évertue et s'étend toujours à proportion du besoin; et les grandes fabriques sont inséparables de la grande consommation. Nos manufactures de romans sont, Dieu merci, dans une activité parfaite. Autrefois, on introduisoit annuellement chez nous un nombre considérable de romans de fabrique angloise. Les mesures prohibitives de la politique sont cause que ce genre d'importation est beaucoup restreint, et nous sommes à peu près réduits aux ressources de notre industrie; mais elles sont grandes, et le besoin les a fort développées. Nous pouvons nous passer de l'Angleterre; et, si jamais les circonstances permettoient entre elle et la France le libre échange de cette sorte de marchandise, je ne doute pas que bientôt nous ne fissions pencher la balance du commerce en notre faveur.

Ce qui caractérise tout-à-fait les romans comme objet de consommation habituelle et presque de nécessité, c'est que toutes les qualités, même les plus inférieures, ont un débit assuré. Dans les autres

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