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d'un public qui leur demande du nouveau sans leur permettre d'innover, et des émotions sans leur accorder les moyens d'en produire, ils sont dans la cruelle alternative d'échouer par excès de réserve ou d'audace, d'être sages sans profit, ou téméraires sans gloire. Soit qu'ils se contentent d'être imitateurs, soit qu'ils aspirent à être originaux, le public a un anathème tout prêt pour les punir du parti qu'ils auront pris; il dira aux uns : votre ouvrage ressemble à tout; il dira aux autres : votre ouvrage ne ressemble à rien. Je ne connois pas de pire condition.

Les romanciers sont beaucoup plus à leur aise : le domaine qu'ils ont à parcourir est plus vaste; et ils ne courent pas les mêmes dangers en cherchant à s'y ouvrir de nouvelles routes. Pour eux, il n'y a pas proprement de sujets bons ni mauvais; il n'y en a du moins pas d'impossibles. Maîtres absolus du temps et de l'espace, ils resserrent ou étendent à leur gré la durée de leur action; ils transportent leurs personnages, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, et placent même à la fois sous nos regards plusieurs lieux, théâtres de plusieurs événements. Leur art ne connoit point d'invraisemblances : la faculté des longues préparations et des nombreux développements leur fournit les moyens d'amener les incidents les plus extraordinaires, et de mettre en jeu les caractères les plus singuliers, les plus bizarres. Quelle que soit cependant la latitude du genre, quelles qu'en soient les ressources, comme c'est de tous les genres celui qu'on a le plus cultivé, et dont les produits sont le plus multipliés, on commence à s'apercevoir que

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lui-même il n'est pas inépuisable, et que le nombre de ses combinaisons n'est pas infini. Ce qui le prouve surtout, c'est que déjà il se dénature et se jette dans des écarts monstrueux. Le roman, qui n'étoit originairement et ne devoit être jamais qu'une fiction vraisemblable destinée à retracer les aventures ordinaires de la vie, reconnoît aujourd'hui plusieurs branches bâtardes qui finiront par se substituer entièrement à lui: l'une altère et corrompt ridiculement la vérité de l'histoire; l'autre met en œuvre le merveilleux horrible des spectres et des revenans. C'est à peu près ainsi que la comédie de mœurs et de caractère, la véritable comédie, venant à dégénérer parmi nous, la comédie-féerie et le drame historique ont pris naissance.

LES AMOURS DE PSYCHE ET DE CUPIDON.

ORIGINE DE CETTE FABLE.

SUJETS QU'ELLE a fournis a tOUS LES ARTS. EXPLICATIONS MORALES QUI EN ONT ÉTÉ DONNÉES. ENTRE LE MERVEILLEUX DE LA MYTHOLOgie et celui de la féerie.

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ELLE TIENT LE MILIEU

LES aventures de Psyché sont, comme on sait, un épisode du fameux roman d'Apulée, intitulé les Métamorphoses, ou l'Ane d'Or, et, suivant Photius, emprunté, ainsi que le Lucius ou l'Ane de Lucien, à un certain Lucius de Patras, dont l'ouvrage n'est pas venu jusqu'à nous, et qui lui-même, à ce qu'on présume, en avoit puisé le sujet dans ces fables milésiennes et sybaritiques dont les anciens faisoient leurs délices. L'histoire de Psyché ne faisant pas partie de l'ouvrage de Lucien, tout porte à croire que c'est Apulée qui a imaginé ce charmant épisode; si Lucien l'eût trouvé dans les Métamorphoses de Lucius de Patras, il ne l'eût sans doute pas dédaigné. Quel qu'en soit l'auteur, jamais l'antiquité, si féconde en aimables mensonges, n'a rien créé de plus touchant et de plus gracieux. Chez les modernes, tous les arts se sont emparés de cet heureux sujet; la poésie, la peinture, la musique et la danse, ont à l'envi consacré les infortunes et le triomphe de Psyché. Deux fois Raphaël

les retraça dans une suite de tableaux, et ensuite de dessins où éclate son style noble et pur. La Fontaine les raconta dans un roman mêlé de vers et de prose, ouvrage plein de charme, où la grâce naïve et le mol abandon font excuser quelques longueurs, quelques réflexions froidement badines ou sérieuses, par lesquelles Acante, Ariste et Gélaste, interrompent le récit de leur ami Polyphile. Molière, Corneille, Quinault et Lully, associèrent leurs génies si différents pour donner en spectacle à Louis XIV et à sa cour, les aventures merveilleuses que La Fontaine venoit de remettre en honneur; et Corneille, déjà auteur d'Agésilas et d'Attila, fut assez bien inspiré par le sujet pour composer des vers tendres et mélodieux que l'auteur d'Armide et d'Atys n'a peut-être pas égalés. Un siècle après, M. l'abbé Aubert, assez heureux disciple de La Fontaine, eut la malencontreuse pensée de vouloir corriger son maître, et, substituant aux aimables négligences du bonhomme l'apprêt d'une froide et ennuyeuse médiocrité,

Fit sa Psyché qui resta chez Moutard.

Enfin, de. nos jours, la chorégraphie a transporté de nouveau la fable de Psyché sur le théâtre des enchantements, où sa véritable place est si bien marquée que, suivant Lamotte, ce sujet eût pu lui seul faire inventer l'opéra ; et récemment un des premiers peintres de notre école, M. Gérard, lui a dû le motif d'une de ses plus délicieuses compositions.

Si Molière et La Fontaine étoient les seuls parmi nous qui eussent traité le sujet de Psyché, quelques

personnes pourroient avoir encore besoin qu'on le leur expliquât; mais heureusement la littérature des ballets est à la portée et à l'usage de tout le monde : les pas de M. Gardel ont plus fait pour la réputation de Psyché que les vers de nos plus grands poètes. Laissant donc là le sujet en lui-même, je me bornerai à quelques observations accessoires. Je rappellerai d'abord que Fulgens, évêque de Carthage, et, depuis lui, quelques autres rêveurs, ont voulu voir une allégorie morale dans la fable de Psyché. Chacun d'eux l'a expliquée à sa manière; et rien n'est plus ridicule que toutes ces explications: on peut les comparer à celles de la Lusiade par du Perron de Castéra, et de la Jérusalem délivrée par le Tasse lui-même, qui, Dieu merci, n'y songeoit pas lorsqu'il fit son poëme. Il ne seroit pourtant pas impossible qu'Apulée, philosophe platonicien, eût voulu en effet cacher quelque sens moral sous les voiles de la fiction : le nom de Psyché qui veut dire âme, et les noms également allégoriques de quelques suivantes de Vénus, telles que l'Habitude, l'Inquiétude et la Tristesse, sembleroient indiquer ce dessein. Une chose plus certaine, c'est que la fable de Psyché tient juste le milieu entre le merveilleux des temps anciens et celui des temps modernes d'un côté, les dieux de la mythologie y figu rent; de l'autre, plusieurs êtres insensibles ou naturellement privés de raison, y paroissent, doués de ces facultés surnaturelles que l'on comprend sous le nom de féerie. C'est un roseau, c'est un tour qui parle et avertit Psyché des dangers qu'elle court; c'est une fourmi qui va appeler toutes ses compagnes pour rem

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