Images de page
PDF
ePub

tyrs. Il faut donc ranger ceci parmi les rencontres singulières; elles ne sont pas plus rares que les plagiats, et, selon moi, elles sont généralement plus vraisemblables.

Je n'analyserai point Agathoclès. Je me bornerai à dire de quels éléments l'ouvrage se compose, quelles beautés et quels défauts j'y ai remarqués. L'amour et la religion forment, pour ainsi dire, par moitié le sujet, s'y partagent le mérite d'intéresser, et quelquefois y sont fondus ensemble de manière à fortifier l'une par l'autre les impressions diverses qu'ils produisent. La religion et l'amour sont mêlés dans la destinée d'Agathoclès et de Larissa; et, loin de s'y combattre, ils y règnent d'accord. Ils réglent aussi en commun la destinée de deux autres amants, Florianus et Valérie, mais non pas d'une manière aussi heureuse : un devoir que la religion fortifie dans leur ame, oblige leur tendresse à un grand sacrifice dont elle ose à peine murmurer. L'amour seul fait le sort d'un autre couple, moins touchant sans doute, mais plus brillant, le sort de Tiridate et de Sulpicie, que son amant fait asseoir à côté de lui sur le trône d'Arménie : nés tous

deux dans le paganisme, ils y persévèrent; mais les sentimens de tendre amitié qu'ils professent pour Aga thoclès et Larissa, rattachent à l'intérêt principal de l'ouvrage, l'intérêt de leur amour, qui seroit trop foible sans cette sorte d'appui. La belle et séduisante Calpurnie est un personnage fort piquant; amie dé vouée de Sulpicie, ayant pour Agathoclès dans le fond du cœur une passion qu'elle ignore ou qu'elle se dissimule long-temps, faisant des folies pour prouver

[ocr errors]

son amour quand elle ne peut plus se le cacher à ellemême, et, lorsque enfin elle apprend que cet amour ne peut être partagé, accablant des marques de sa générosité et son insensible amant et l'heureuse rivale qu'il lui a préférée: telle est Calpurnie. Il y a dans cette physionomie un mélange aimable de noblesse et de singularité. Les autres personnages secondaires, soit historiques, soit d'invention, sont mus par différents sentiments, tels que l'ambition, la jalousie, la haine; et les efforts de ces passions coupables ont toujours une influence plus ou moins forte, plus ou moins directe sur la destinée des deux principaux personnages. On pourroit trouver le roman trop surchargé de personnages et d'intérêts divers; enfin, être d'avis qué plusieurs épisodes tiennent assez peu à l'action pour pouvoir en être détachés sans occasioner le moindre dérangement. Le reproche, je crois, seroit fondé; mais il est juste de dire que, si ces épisodes ne sont pas nécessaires, ils sont attachants; que, s'ils ne tiennent pas fortement à l'action, ils y sont unis avec art; et qu'enfin la multiplicité et l'enchevêtrement des objets ne produisent ni confusion ni obscurité.

Mme de Montolieu a raison de dire qu'Agathoclès n'est point un roman historique, quoique plusieurs des événements et des personnages qui y figurent appartiennent à l'histoire, et qu'il eût été facile à l'auteur de mettre le mot historique en note au bas de beaucoup de pages. Ce qui constitue le roman historique, ce qui précisément en fait un genre faux et pernicieux, c'est que le vrai en forme le principal, et que le fabuleux n'en est que l'accessoire: un fond véritable y est

falsifié par un mélange adultérin de scènes et de conversations imaginées. Qu'en doit-il résulter? Que tous ces détails mensongers, s'attachant aux événements réels, passent avec eux dans la mémoire des lecteurs, et s'y établissent comme eux de manière à ne pouvoir bientôt plus en être distingués. Quel mérite d'ailleurs, quelle gloire, du côté de l'art, dans un genre qui prétend aux honneurs de l'invention, et qui ne fait usage de cette brillante faculté que pour altérer le vrai au lieu de le suppléer, que pour créer de petits mensonges mesquins et d'un ordre subalterne, quand il devroit créer une action tout entière avec tous ses caractères et tous ses développements? Il n'en est pas de même de ces romans où les personnages et les événements fictifs sont placés sur le premier plan, et où ceux qui appartiennent à l'histoire ne sont employés qu'accessoirement et sur les plans reculés : dans les romans de cette sorte, l'histoire n'est qu'une affaire de costume, une couleur locale répandue sur le tableau pour ajouter à l'intérêt de la composition. On ne court point le risque d'adopter des notions infidèles ou mensongères sur un siècle et quelques personnages historiques qu'on aurà vus indiqués en passant dans le cours d'une longue action romanesque. La lecture de la Princesse de Clèves ne nous a donné aucune fausse idée du règne de Henri II, qui est l'époque même de l'action, et dont plusieurs personnages sont nommés dans l'ouvrage. De même, les noms de Dioclétien, de Galérius, de Constantin et de quelques autres, rappelés de temps en temps dans Agathocles, ne portent aucune atteinte à la vérité de l'histoire, et

ne font qu'embellir la fiction. J'ai écrit ce qu'on vient de lire, non dans la vue de contrarier qui que ce fût, mais pour établir, autant qu'il dépend de moi, une doctrine qui me paroît la seule orthodoxe. Disposé d'ailleurs à louer Agathoclès, que quelques personnes pourroient vouloir regarder comme un roman historique, j'avois à cœur de démontrer qu'il n'en est pas un, afin de ne pas compromettre mon goût et mes principes: cette considération n'est d'aucune importance pour les autres; mais on trouvera tout simple que je ne la méprise pas. Je n'ai plus qu'un mot à dire d'Agathoclès. Ce roman, d'un caractère particulier, prouve de grandes connoissances, une ame élevée et un esprit fort distingué. Il est peu de productions en ce genre qui laissent dans l'ame des impressions aussi profondes. Enfin, Agathoclès, ouvrage d'une femme, honoreroit, à tous égards, la plume d'un homme. Mme de Montolieu l'a traduit avec le talent dont elle a donné tant de preuves. Quelques incorrections, qui ne sont peut-être le plus souvent que des locutions usitées dans les lieux qu'elle habite, n'ôtent rien de son agrément à son style clair, facile et animé.

ME

MY DE MAINTENON,

PAR ME DE GENLIS.

ENCORE CONTRE LES ROMANS HISTORIQUES.

MNE DE LA VALLIÈRE ET M** DE

[ocr errors]

MAINTENON, COMPARÉES COMME héroïnes d'un roman. — PRÉFÉRENCE DON-
NÉE A L'UNE SUR L'AUTRE SOUS CE RAPPORT. ERREURS HISTORIQUES COX-
MISES PAR L'AUteur.
FAUTES PLUS GRAVES CONTRE LE JUGEMENT ET LE

σούτ

Il ne s'agit plus de faire entendre à Mme de Genlis que c'est un genre faux et pernicieux en littérature que le roman historique, surtout quand les personnages ont une grande importance, et qu'ils sont très rapprochés de nous. On lui a fait là-dessus, à l'occasion de la Duchesse de la Vallière, des représentations dont la justesse a été universellement sentie. Elle ne s'y est pas rendue. Cela vient-il de ce que les raisons qui ont frappé tous les esprits n'ont eu aucun pouvoir sur le sien? ou bien est-elle de ces écrivains opiniâtres qui se plaisent à lutter contre les idées reçues, et que la réprobation publique encourage toujours à la mériter davantage? Je ne crois ni l'un ni l'autre : il fau drait supposer en elle défaut ou travers d'esprit, ce qu'assurément je suis bien loin de faire. J'aime mieux penser qu'elle partage l'opinion commune sur le vice

« PrécédentContinuer »