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prétend sans preuve ni vraisemblance, d'après le témoignage unique d'un ancien commentateur, le dessein d'attaquer la conduite et la personne de Néron. La satire même contre les jeunes gens qui s'ingèrent dans le gouvernement de l'État, n'offre aucune

trace suffisante de cette intention. L'obscurité de son style a donc une autre cause que la crainte d'irriter contre lui le tyran. Cette obscurité étoit dans son goût, et provenoit du tour particulier de son esprit ; il étoit de ces écrivains qui croiroient avoir le style foible et commun, s'ils l'avoient facile et clair, et qui ne sont contents d'eux-mêmes que quand ils l'ont rendu forcé, dur et ténébreux. « On voit, dit Bayle,

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qu'il entortille ses paroles, et qu'il recourt à des al«<lusions et à des figures énigmatiques, lors même qu'il ne s'agit que d'insinuer une maxime de morale « dont l'explication la plus claire n'eût su fournir à Néron le moindre prétexte de se fâcher. » Ce qui prouve qu'en lui l'affectation des tournures péniblement elliptiques et des tropes bizarrement associés, tenoit à une disposition naturelle de son esprit, et qu'il n'avoit pas voulu s'en faire un voile pour couvrir les hardiesses de sa pensée, c'est qu'il ne s'apercevoit pas combien sa diction étoit étrange et tourmentée, c'est qu'il croyoit, au contraire, écrire d'un style simple, familier et sans effort. Il se fait dire à lui-même par Cornutus, son maître et son ami: Verba togæ sequeris.... Ore teris modico. Il aimoit passionnément Horace, et croyoit bonnement imiter sa manière, lorsqu'il parodioit, en vers pénibles et obscurs, les idées toujours claires et les expressions toujours faciles de

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ce poète philosophe. Il a travesti ainsi plus de deux cents vers d'Horace. « C'est un exemple peut-être unique dans l'histoire littéraire, dit La Harpe, que « cette espèce de commerce entre deux auteurs qui << sont si loin de se ressembler. » Perse avoit une autre prétention, celle d'être gai : Sum petolanti splene cachinno, dit-il; et nul poète n'est plus triste, plus morose que lui. Son admirateur, Casaubon, i demande pardon de ne pas croire à sa gaieté : Persi, onbis ignosce, qui hoc tibi non credimus; il est vrai qu'il le félicite de n'avoir pas été aussi plaisant qu'il s'en flattoit.

Quoi qu'on ait dit, quoi qu'on puisse dire encore au désavantage de Perse, il est impossible qu'il n'y ait pas un mérite réel dans les écrits d'un homme dont le judicieux Quintilien a dit : Multum et quidem veræ gloria meruit: «< il a mérité beaucoup de gloire, et « de gloire véritable. » On est forcé de reconnoître en lui, d'abord une morale très pure et très élevée, ensuite une raison saine, un sens profond, une expression quelquefois très heureuse, dont la concision redouble l'énergie, et, dans plusieurs passages, une verve satirique où se fait sentir, non l'accent d'une maligne et froide causticité, mais celui d'une noble et généreuse indignation. Quelle imprécation à la fois terrible et sublime il lance contre les méchants dans ce vers si connu!

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Virtutem videant, intabescantque relictâ!

Qu'ils voient la vertu, qu'ils la voient, et sèchent de << regret de l'avoir abandonnée. » Avec quelle énergie

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la puissance vengeresse du remords est peinte dans les vers qui suivent!

Anne magis Siculi, etc.

M. Andrieux en a fait une traduction, ou, plutôt, une imitation vraiment digne de l'original. Son amitié usage; la voici : m'a permis d'en faire

L'exécrable taureau du tyran d'Agrigente,
D'un glaive suspendu la pointe menaçante

Répandoit moins d'effroi, causoit moins de tourment,

Que ce cri des remords dans le sein du méchant :

Je me perds, je me perds; la celeste justice

Me surveille, me suit, me pousse au précipice.

Il frémit de sentir sa secrète pâleur;

Il s'éveille en sursaut, tout glacé de sueur;
Sans relâche piqué par le ver qui le ronge,

Près de sa femme, il craint de se trahir... en songc.

Nous devons déjà à M. Achaintre deux belles éditions, l'une d'Horace avec les notes de J. Bond, et l'autre de Juvénal avec un commentaire qui est en partie son ouvrage. Ce latiniste habile a complété la collection des satiriques latins, en publiant Perse, suivi de la satire de Sulpicia et des fragments de Lucilius. Il a pris pour base de son travail l'énorme et savant commentaire de Casaubon; il l'a débarrassé de ce luxe inutile d'érudition dont il est surchargé, et il en a conservé seulement les excellentes notes dans

lesquelles la grammaire, la philologie et la science des antiquités mettent en commun leurs efforts pour pénétrer les mystérieuses obscurités du texte. D'autres commentateurs ont suppléé, par leurs secours,

à ce

que Casaubon pouvoit avoir encore laissé de lacunes ou d'incertitudes dans l'interprétation de son auteur; et M. Achaintre lui-même, secondé quelquefois par M. Firmin Didot, dont la typographie et l'érudition s'honorent également, s'est efforcé d'aplanir certaines difficultés plus opiniâtres contre lesquelles avoient échoué la doctrine et le zèle de tous ses devanciers. Le commentaire est perpétuel ou continu, c'est-à-dire qu'il n'est pas un seul vers, presque pas une seule expression de Perse, dont un latin élégant, mais facile, ne fournisse l'explication. La foule des termes métaphoriques, empruntés des arts mécaniques, des habitudes de la vie et des objets d'un usage commun chez les Romains de cette époque, rend de tels éclaircissements indispensables aux lecteurs même les plus instruits. Les traductions, rapprochées du texte, ne sauroient tenir lieu d'une explication détaillée, parce que les traducteurs, pour servir en même temps la gloire de leur auteur et l'intérêt de leur entreprise, ont été obligés d'adoucir, de sauver ce que l'entassement des mots figurés a souvent d'hétéroclite et de dissonant, et qu'alors le sens littéral de Perse disparoît dans leurs élégantes paraphrases. A l'aide du Commentaire perpétuel de M. Achaintre, on pourra, sans beaucoup de temps ni de peine, lire les satires de Perse vers à vers, comme Heinsius prétend qu'il les a composées, et, après avoir répété deux ou trois fois cette espèce d'exercice, on arrivera au point de saisir l'ensemble et le dessein total de chaque satire. Des noticules, placées au bas des pages, contiennent les différentes leçons offertes à l'éditeur par les manu

scrits qu'il a conférés, avec son opinion sur le mérite de chacune de ces variantes. Deux index, l'un des mots, et l'autre des choses, terminent le volume, en tête duquel sont placés, suivant l'usage, les différentes vies du poète, les témoignages des anciens auteurs, la notice des manuscrits, celle des éditions, et celle enfin des traductions en toute langue : le tout est précédé d'une préface latine, bien écrite et bien pensée.

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