L'ESPRIT
DES SEPT PLUS GRANDS
Chez les Libraires Affociés.
LE tems, d'une alle promte & d'un vol insensible;
Fuit & revient fans ceffe à ce* Palais terrible; Et de-là fur la terre il verse à pleines mains Et les biens, & les maux deftinés aux humains. Sur un autel de fer un livre inexplicable, Contient de l'avenir l'hiftoire irrévocable. La main de l'Eternel y marqua nos défirs
Le Palais des Deftins, Tome II.
Et nos chagrins cruels, & nos foibles plaifirs. On voit la Liberté, cette efclave fi fiére, Par d'invifibles nœuds en ces lieux prifonniére. Sous un joug inconnu que rien ne peut brifer, Dieu fait l'affujettir fans la tyrannifer ;
A fes fuprêmes loix d'autant mieux attachée, Que fa chaîne à fes yeux pour jamais eft cachée ; Qu'en obéiffant même elle agit par fon choix, Et fouvent aux Deftins penfe donner des loix. Voltaire, Henri. ch. VII.
SUIS-je libre en effet? ou mon ame & mon corps Sont-ils d'un autre Agent les aveugles refforts? Enfin, ma volonté qui me meut, qui m'entraîne Dans le palais de l'ame eft-elle Efclave ou Reine? Obfcurément plongé dans ce doute cruel,
Mes yeux chargés de pleurs fe tournoient vers le ciel, Lorfqu'un de ces efprits, que le fouverain Etre, Plaça près de fon trône, & fit pour le connoître, Qui refpirent dans lui, qui brulent de fes feux, Defcendit jufqu'à moi de la voûte des cieux ; Car on voit quelquefois ces fils de la lumiére, Eclairer d'un mondain l'ame fimple & groffiére ; Et fuir obftinément tout Docteur orgueilleux, Qui dans fa chaire affis penfe être au deflus d'eux ; Et le cerveau troublé des vapeurs d'un fyftême, Prend fes brouillards épais pour le jour du ciel même. Ecoute, me dit-il, promt à me confoler, Ce que tu peux entendre & qu'on peut révéler. J'ai pitié de ton trouble, & ton ame fincére, Puifqu'elle fait douter, mérite qu'on l'éclaire. Oui, l'homme fur la terre eft libre ainfi que moi; C'eft le plus beau préfent de notre commun Roi. La liberté qu'il donne à tout Erre qui penfe, Fait des moindres efprits & la vie & l'effence. Qui conçoit, veut, agit, est libre en agissant,
C'est l'attribut divin de l'Etre Tout-puiffant. Il en fait un partage à fes enfans qu'il aime. Nous fommes fes enfans, des ombres de lui-même. Il connut, il voulut, & l'univers naquit. Ainfi lorfque tu veux la matiére obéit.
Souverain fur la terre & Roi par la pensée', Tu veux, & fous tes mains, la nature eft forcée, Tu commandes aux mers, au fouffle des zéphirs A ta propre pensée, & même à tes défirs. Ah! fans la liberté que feroient donc nos ames ? Mobiles agités par d'invisibles flammes,
Nos vœux, nos actions, nos plaisirs, nos dégoûts, De notre être en un mot rien ne feroit à nous. D'un Artifan fuprême impuiffantes machines, Automates penfans, mûs par des mains divines, Nous ferions à jamais de menfonge occupés, Vils inftrumens d'un Dieu qui nous auroit trompés. Comment fans liberté ferions-nous fes images? Que lui reviendroit-il de fes brutes ouvrages? On ne peut donc lui plaire, on ne peut l'offenfer; Il n'a rien à punir, rien à récompenfer.
Dans les cieux, fur la terre, il n'eft plus de juftice, Caton eft fans vertu, Catilina fans vice.
Le Deftin nous entraîne à nos affreux penchans, Et ce cahos du monde eft fait pour les méchans. L'opprefleur infolent, l'ufurpateur avare Cartouche, Miriwis, ou tel autre barbare 9 Plus coupable enfin qu'eux le calomniateur Dira: Je n'ai rien fait, Dieu feul en eft l'auteur: Ce n'eft pas moi, c'eft lui qui manque à ma parole, Qui frappe par mes mains, pille, brule, viole; C'eft ainfi que le Dieu de juftice & de paix Seroit l'Auteur du trouble & le Dieu des forfaits. Les triftes partisans de ce dogme effroyable, Diroient ils rien de plus s'ils adoroient le diable. Voltaire, Disc. II. de la Liberté.
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