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I

DE QUELQUES RESSEMBLANCES SUPERFICIELLES DU THÉATRE

DE SHAKESPEARE AVEC CELUI DES GRECS.

Har

Rapprochement d'idées et de situations analogues. Jeux de mots. diesses de la mise en scène. Mélange du comique et du tragique. - Les tróis unités.

Les anciens, monsieur, sont les anciens, et nous sommes tes gens de maintenant, » dit un personnage de Molière. Je réduis à ces paroles pleines de sens la série des développements qu'on attend peut-être sur les différences les plus générales de Shakespeare et des Grecs, celles qui résultent du climat, de la nature, de la race, de la civilisation, etc. En parler davantage serait du temps perdu.

Étant donnés, d'une part, Shakespeare et l'art dramatique moderne, d'autre part ce qui reste de l'ancienne tragédie grecque, je crois qu'un moyen excellent de bien connaître l'un et l'autre. théâtre, c'est de les confronter. Rien ne précise et ne multiplie les idées, rien n'ouvre et n'affine l'esprit, comme d'opposer ce qui se ressemble et de rapprocher ce qui diffère. On peut considérer une littérature en elle-même; mais si on la compare à une autre littérature, on sait mieux ce qu'elle vaut et ce qui la distingue en propre. Voilà tout le sens de la nouvelle série d'études que nous allons commencer maintenant.

Rappelons d'abord les résultats de nos recherches sur l'ins

toute l'antiquité non des sentiments hostiles, mais une suprême indifférence. Bien qu'il puisse et doive avoir lu Homère dans la traduction de Chapman, cette lecture ne semble pas avoir fait sur lui une impression très sérieuse, puisqu'elle se traduit dans son théâtre par la parodie héroï-comique de Troilus et Cressida. Quant aux tragiques grecs, il n'y a aucun motif de supposer qu'il en ait jamais lu une ligne. Gervinus affirme qu'il connaissait familièrement et qu'il admirait Sénèque et Plaute; mais je ne sais sur quelles preuves repose cette assertion. Le mot qui résume le mieux, à mon avis, les rapports de Shakespeare avec la littérature antique en général, ce n'est pas le mot ignorance, puisque la curiosité du poète en avait parcouru au moins une partie; c'est le mot indifférence.

Si donc nous rencontrons dans le théâtre de Shakespeare el dans celui des Grecs des pensées, des images ou des situations analogues, il ne faut point attribuer ces analogies à l'imitation; elles viennent uniquement de ce que les poètes anciens et le poète moderne ont également puisé dans le fonds éternel de toute poésie. « Comme la mer, a dit un poète, la poésie dit chaque fois tout ce qu'elle a à dire; puis elle recommence avec une majesté tranquille, et avec cette variété inépuisable qui n'appartient qu'à l'unité1».

Notons quelques-unes de ces ressemblances superficielles. Eschyle dit quelque part, en parlant d'Hélène : « Ame sereine comme le calme des mers; beauté qui ornait la plus riche parure; doux yeux qui perçaient à l'égal d'un trait; fleur d'amour, fatale au cœur.» Perfide comme l'onde, dira plus tard Shakespeare.

O puissant César!» s'écrie, dans Shakespeare, Antoine penché sur le cadavre du dictateur, « es-tu donc tombési bas? toutes tes conquêtes, tes gloires, tes triomphes, tes trophées se sont rétrécis à ce petit espace!» Nous avons déjà rapproché ces mots du vers de Lamartine parlant de Napoléon :

Il est là!.. sous trois pas un enfant le mesure.

Nous aurions pu citer de même le monologue de don Carlos devant le tombeau de Charlemagne dans Hernani.

Victor Hugo a dit aussi dans l'Ode à la Colonne :

Et toi, colonne ! un jour, descendu sous ta base,
Le pèlerin pensif, contemplant en extase

Ce débris surhumain,

Serait venu peser, à genoux sur la pierre,
Ce qu'un Napoléon peut laisser de poussière
Dans le creux de la main !

Il y a plus de deux mille ans qu'Eschyle avait dit, exactement comme Shakespeare, comme Lamartine et comme Victor Hugo : « Au lieu des guerriers, ce qui revient dans les maisons, ce sont des urnes et de la cendre. Le dieu qui fait donner de l'or en échange des cadavres, le dieu qui dans les combats tient la balance, Mars, renvoie d'Ilion à de tristes parents la déplorable poussière recueillie dans le bûcher: ce qui reste d'un guerrier lient, faible monceau de cendre, tout entier dans un vase. »

Rien n'est plus connu, dans le théâtre de Shakespeare, que la scène où lady Macbeth, dans un accès de somnambulisme, frotte avec désespoir ses mains, dont elle ne peut chasser l'odeur et la couleur du sang. « Il y a toujours l'odeur du sang... Tous les parfums de l'Arabie ne purifieront jamais cette petite main! >> Dans la même tragédie, Macbeth, en proie au remords, s'écrie: « Tout l'océan du grand Neptune suffira-t-il à laver ce sang de ma main? » Et, dans Beaucoup de bruit pour rien, Léonato dit de sa fille, qu'il croit criminelle : « Tous les flots de l'océan ne pourraient pas la laver, ni tout le sel qu'il contient rendre la pureté à sa chair corrompue. » Cette image est vieille comme la poésie. «La terre nourricière a bu le sang du meurtre, dit Eschyle dans les Choéphores; il a séché, ce sang; mais la trace reste ineffaçable et crie vengeance. Épuisé par le supplice, en vain l'auteur du crime se débat sous le fléau: il disparaît dans la nuit éternelle. Nul remède jamais n'a rendu la virginité déflorée; et, pour laver, pour purifier la main souillée du meurtre, c'est en vain que tous les fleuves réuniraient leurs ondes. » Sophocle, dans Edipe-Roi, dit aussi :

Non, les eaux du Danube et du Phase, épanchées,

Ne laveraient jamais les souillures cachées

Dans cet abominable et sinistre séjour1!

1. Traduction de M. Jules Lacroix.

toute l'antiquité non des sentiments hostiles, mais une suprême indifférence. Bien qu'il puisse et doive avoir lu Homère dans la traduction de Chapman, cette lecture ne semble pas avoir fait sur lui une impression très sérieuse, puisqu'elle se traduit dans son théâtre par la parodie héroï-comique de Troilus et Cressida. Quant aux tragiques grecs, il n'y a aucun motif de supposer qu'il en ait jamais lu une ligne. Gervinus affirme qu'il connaissait familièrement et qu'il admirait Sénèque et Plaute; mais je ne sais sur quelles preuves repose cette assertion. Le mot qui résume le mieux, à mon avis, les rapports de Shakespeare avec la littérature antique en général, ce n'est pas le mot ignorance, puisque la curiosité du poète en avait parcouru au moins une partie; c'est le mot indifférence.

Si donc nous rencontrons dans le théâtre de Shakespeare et dans celui des Grecs des pensées, des images ou des situations analogues, il ne faut point attribuer ces analogies à l'imitation; elles viennent uniquement de ce que les poètes anciens et le poète moderne ont également puisé dans le fonds éternel de toute poésie. «Comme la mer, a dit un poète, la poésie dit chaque fois tout ce qu'elle a à dire; puis elle recommence avec une majesté tranquille, et avec cette variété inépuisable qui n'appartient qu'à l'unité1».

Notons quelques-unes de ces ressemblances superficielles. — Eschyle dit quelque part, en parlant d'Hélène : « Ame sereine comme le calme des mers; beauté qui ornait la plus riche parure; doux yeux qui perçaient à l'égal d'un trait; fleur d'amour, fatale au cœur.» Perfide comme l'onde, dira plus tard Shakespeare.

O puissant César!» s'écrie, dans Shakespeare, Antoine penché sur le cadavre du dictateur, « es-tu donc tombési bas? toutes tes conquêtes, tes gloires, tes triomphes, tes trophées se sont rétrécis à ce petit espace!» Nous avons déjà rapproché ces mots du vers de Lamartine parlant de Napoléon:

Il est là!.. sous trois pas un enfant le mesure.

Nous aurions pu citer de même le monologue de don Carlos devant le tombeau de Charlemagne dans Hernani.

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