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le sein d'une mère pour ramener en la société des neuf choeurs des anges les hommes ensevelis dans les misères de ce monde ou descendus aux limbes. Sa bonté l'a réduit à cet état, sa patience l'y retient et lui fait attendre le temps fixé pour sa naissance. Que nos cœurs soient touchés de ce qu'il a voulu descendre à une humilité si profonde; aimons beaucoup cette vertu, et gardons-nous de jamais nous enorgueillir de notre élévation ou de nos mérites, quand le Seigneur de toute majesté s'est tant abaissé. Et comme nous ne pourrons jamais rendre dignement à JésusChrist ce bienfait d'être resté si longtemps pour nous dans le sein de sa Mère, que notre cœur au moins sache le reconnaître; remercions-le de tout notre cœur de ce qu'il a daigné nous choisir parmi tant d'autres pour nous réunir ici et nous attacher à son service. Car c'est un pur bienfait de sa part, grand bienfait qui doit nous être très-agréable et mériter tous nos respects; ce n'est pas comme punition, mais pour la sauvegarde de nos âmes, que nous sommes enfermés ici dans la citadelle inexpugnable de la religion, où ne peuvent atteindre ni les flèches empoisonnées, ni les flots de la mer courroucée de ce monde.

Faisons donc tous nos efforts pour fermer l'entrée de notre âme aux choses caduques de ce monde et ne penser qu'à Dieu dans la pureté de notre cœur; car il ne sert à rien que vous soyez dans la retraite, si votre esprit est tout au dehors. A quoi sert la solitude du corps, dit saint Augustin, sans la solitude de l'esprit? A quoi sert, dit saint Grégoire, de vivre dans un cloître, si nous laissons notre esprit s'égarer dans le siècle? Efforçons-nous donc de rendre grâces à Dieu en toutes choses et de le louer de tout notre cœur; car ce qui donne à nos vertus de la noblesse,

de la grandeur et du mérite devant Dieu, c'est que sous le joug de l'obéissance, dans l'exil, dans la pauvreté, dans les mépris, dans la maladie, dans les tribulations nombreuses de l'âme, nous voulions, nous sachions et nous puissions rendre avec joie grâces à Dieu, porter nos désirs vers le ciel, et le louer par toutes nos œuvres. Ah! heureux le fidèle, s'écrie ici saint Bernard, qui soumet tous ses sens à la raison, à la justice, de sorte que tout ce qu'il souffre, il le souffre pour l'amour du Fils de Dieu; ses lèvres ne connaissent pas les murmures, mais ne prononcent que des actions de grâce et des prières.

L'homme en effet qui réfléchirait bien à cette parole de l'apôtre: A ceux qui aiment Dieu, tout se tourne en bien1 arriverait à une grande quiétude d'esprit, et verrait se réaliser en lui ce que dit le sage: Lejuste ne se contristera pas, quelque mal qui lui arrive ; car tout ce qui nous arrive, dit saint Augustin, nous arrive par la permission divine et non par la puissance de notre ennemi. Il pourrait dire aussi avec Job: Il m'est arrivé comme il a plu au Seigneur, que son saint nom soit béni3.

Oui, n'en doutez pas, les afflictions et les malheurs, Dieu les permet pour le bien de ses serviteurs. Quelquefois elles détournent l'homme du monde, en lui faisant mépriser les plaisirs de la terre, l'attachent à Dieu et ne lui font désirer que les joies du ciel. Car, dit saint Augustin, l'âme ne se convertit à Dieu que lorsqu'elle se détourne du siècle; et rien n'est plus propre à détourner du siècle que le mélange, aux plaisirs pernicieux que celui-ci lui procure,

• Rom., 8.

'Saint Augustin, sur le Psaume 86.

3 Job, 1.

des douleurs et des tribulations. Si Dieu ne mêlait des amertumes aux joies de ce monde, nous l'oublierions bien vite 1. C'est encore la pensée du Psalmiste: Vous avez multiplié leurs maux, et ils se sont hâtés de venir vers

vous.

D'autres fois, Dieu envoie des tribulations à l'homme pour qu'il connaisse mieux ses péchés, en fasse pénitence, se corrige, et puisse présenter au Seigneur une âme pure. La tribulation est à l'âme juste ce que la lime est au fer, le creuset à l'or, le fléau au grain. Nous souffrons à juste titre de la famine, disaient les frères de Joseph, parce que nous avons péché contre notre frère 3.

La tribulation fait aussi connaître à l'homme sa faiblesse, lorsqu'il se voit sans secours. J'ai dit au temps de ma prospérité : je ne m'éloignerai jamais de vous, Seigneur; mais pour me faire mieux voir mon impuissance, vous avez détourné votre face de moi, et je suis tombé dans le trouble et l'affliction ".

La tribulation maintient aussi l'humilité, mère de toutes les vertus ; elle nous empêche de présumer de nos mérites et de nous enorgueillir: De peur que le souvenir des révé-lations sublimes qui m'ont été faites ne me fasse tomber dans l'orgueil, dit saint Paul, Dieu m'a donné l'aiguillon de ma chair, l'ange de Satan qui me tourmente 3.

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La tribulation nous fait voir quel mal c'est aussi de s'éloigner de Dieu et d'en être délaissé. Sachez et voyez, dit

1 Saint Augustin, sur les Psaumes 9 et 15.

'Saint Augustin, sur le Psaume 21.

3 Genèse, 42.

A Psaume 20.

Saint Paul: Corinth., 12.

Jérémie, combien il est pénible et amer d'avoir quitté le Seigneur votre Dieu, et de ne posséder plus sa crainte 1.

D'autres fois, par la tribulation, Dieu veut nous faire connaître la patience de quelque illustre personnage et par les exemples des saints, nous enseigner cette vertu : Ma consolation consiste dans la résignation avec laquelle je supporte mes douleurs, et dans ma soumission à la volonté du Seigneur 2.

Dieu afflige aussi le juste pour intimider les méchants, et les engager à changer de conduite, comme nous le voyons dans le dix-neuvième chapitre des Proverbes.

Il veut aussi par ce moyen manifester sa gloire. Pourquoi fait-il naître un homme aveugle, fait-il mourir Lazare? pour montrer dans ces deux hommes sa puissance et se faire glorifier éternellement 3.

D'autres fois, Dieu envoie la tribulation pour nous rappeler les preuves de l'amour de Jésus-Christ, et nous faire reconnaître sa miséricorde envers nous, comme nous le lisons dans le deuxième livre des Machabées, chapitre sixième. Ce qui fait dire à saint Jérôme que c'est un grand malheur de ne pas obtenir miséricorde ici-bas par la voie des épreuves; et à saint Augustin: Une preuve de la colère de Dieu contre un homme, c'est quand, loin de le punir lorsqu'il pèche, il le laisse se précipiter d'une manière effrénée dans le péché *.

Dieu veut encore exciter ainsi en nous plus de confiance et d'espérance. Vous devez être dans la crainte, dit saint

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Augustin, quand vous êtes dans la prospérité. Ne vaut-il pas mieux être tenté et sauvé, que de ne pas être tenté et d'être réprouvé? Le plus grand courroux de Dieu, c'est lorsqu'il n'est pas en courroux, dit saint Bernard; car quand il nous fait sentir par quelque tribulation qu'il est irrité, ayons alors confiance; après son courroux, il se souviendra de sa miséricorde 1. Du sein de ma tribulation, dit le prophète, j'ai élevé ma voix vers le Seigneur, et il m'a

exaucé.

Dieu veut savoir aussi si l'homme l'aime et s'il possède de vraies vertus. La tribulation, dit saint Grégoire, fait connaître si une âme qui est dans le calme aime vraiment Dieu; car, dans la paix, personne ne connaît ses forces; sans l'épreuve il n'y a pas de pierre de touche pour la

vertu.

Dieu veut faire gagner à l'homme une couronne plus brillante par le mérite de sa patience; témoins Job et les martyrs. Heureux l'homme, dit saint Jacques, qui est soumis à la tentation, parce que, après l'épreuve, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qu'il aime 2.

D'après saint Chrysostôme, la tribulation est une preuve que l'homme qui y est en butte est en possession de quelque trésor que le démon cherche à lui ravir, car Satan ne rôderait pas autour de lui, s'il ne le voyait environné de quelque mérite. Pourquoi attaque-t-il Adam? parce qu'il le voit revêtu de la justice originelle. Pourquoi attaque-t-il Job? parce qu'il voit le saint homme couronné de mérites.

Il y a des hommes enfin qu'il éprouve par la tribulation, non pour les purifier de leurs péchés et leur en faire obte

'Saint Bernard : Serm. 42, sur le Cant.

2 Satnt Jacques, 1.

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