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CHAPITRE XIV

NOTRE SEIGNEUR REVIENT D'ÉGYPTE

COMMENCEMENT DE LA PÉNITENCE DE JEAN-BAPTISTE

L'exil de Notre Seigneur en Égypte durait depuis à peu près sept ans, lorsque Hérode vint à mourir. Dieu rappela alors son Fils de la terre étrangère. C'est ce que nous concluons des historiens qui disent: Jésus-Christ vint au monde la trentième année du règne d'Hérode, et Hérode mourut après avoir gouverné pendant trente-huit ans la Judée. Ce retour de Notre Seigneur est l'accomplissement de la parole de Dieu, dont le prophète Osée fut l'organe 1: J'ai rappelé mon fils d'Égypte, c'est-à-dire celui qui m'est consubstantiel. Ces paroles ont un double sens; littéral : elles s'appliquent au rappel et au retour d'Israël de l'Égypte, puisque Dieu appelle quelquefois le peuple juif son enfant, son fils. Elles s'appliquent aussi et avec beau

1 Osée, 11.

coup plus de vérité à Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisqu'il est le véritable Fils de Dieu, tandis que les Israélites ne sont que ses enfants adoptifs.

Donc, la première année du règne d'Archélaüs, fils aîné d'Hérode; Notre-Seigneur étant âgé de huit ans, un ange du Seigneur apparut à Joseph en Égypte pendant qu'il dormait et lui dit : Levez-vous, prenez l'enfant et sa mère et retournez dans le pays d'Israël, c'est-à-dire en Judée; car, ceux qui cherchaient l'enfant pour lui ôter la vie, sont morts, c'est-à-dire Hérode avec les complices et les fauteurs de la mort de Jésus-Christ, les Scribes et les Pharisiens. D'après l'historien Josèphe, Hérode fit prendre plusieurs petits enfants des nobles d'Israël et ordonna de les tuer après sa mort, pour faire pleurer les Juifs dont il connaissait la haine à son égard.

D'après saint Rémi, l'apparition de l'ange à Joseph pendant qu'il dormait a un sens mystique; il signifie que ceux qui ne sont pas troublés par l'amour des choses d'ici-bas et les préoccupations des affaires du siècle, méritent de jouir de la vision des anges.

Joseph donc se levant, (voilà la promptitude dans l'obéissance); prit l'enfant, (voilà la sollicitude paternelle); et la mère, (voilà l'époux obséquieux); et commença à retourner dans la terre d'Israël. Ils partent tous trois et traversent le désert par où ils étaient venus.

Ah! partez avec eux; offrez-leur votre aide, vos services. Dans la route, unissez-vous à leurs souffrances; contemplez-les succombant sous le poids de la fatigue, ne se donnant presque aucun repos, ni le jour ni la nuit. O enfant incomparable, enfant tendre et délicat, Roi du ciel et de la terre, comme vous vous êtes soumis de

1

bonne heure pour nous à la peine et à la fatigue! c'est de Jésus que le prophète dit1: Je suis pauvre et dans les travaux dès ma tendre jeunesse. Les privations rigoureuses, les travaux difficiles, les souffrances aiguës du corps, Jésus-Christ a toujours tout supporté pour l'amour de nous; il s'est en quelque sorte haï lui-même ; les fatigues seules de ce long voyage d'Égypte n'auraient-elles pas suffi pour opérer complétement notre rédemption?

Presque aux confins du désert que traversait la sainte famille, déjà le jeune Jean-Baptiste avait commencé à se livrer à la pénitence quoiqu'il fût exempt de péché, puisqu'il était venu dans le désert à l'âge de sept ans. L'endroit du Jourdain où Jean baptisa, est celui où les Israélites avaient traversé le fleuve à leur retour d'Égypte; et c'est tout près de là, dans le même désert, que Jean fit pénitence. Devant la prêcher plus tard aux autres, il se retire dès son jeune âge dans la solitude, pour y mener une vie austère, pour y puiser la haine des attraits du monde, qu'il devait communiquer à ceux qui entendraient sa parole; pour se livrer sans entraves à la contemplation des vérités où il devait recueillir les trésors de la divine sagesse, qu'il répandit plus tard sur ses contemporains. A son exemple, dès notre jeunesse portons le joug du Seigneur, c'est une chose bonne et utile 2. Tandis que notre nature est tendre en quelque sorte, façonnonsla au bien; pratiquons d'avance ce que nous enseignerons plus tard aux autres, et ne cherchons pas à nous ériger en maîtres de notre prochain, avant d'avoir atteint nous-même la perfection.

1 Psaume 87.

2 Thren., 3.

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Jean demeurait dans le désert, où l'air est plus pur, l'horizon plus étendu, où Dieu se prodigue davantage à l'homme, pour pouvoir, en attendant l'époque où il devait baptiser et prêcher, vaquer à la prière, converser avec les anges, vivre séparé des vices du monde, se mettre au-dessus de toute critique de l'opinion, donner un crédit à sa parole, puisqu'il devait prêcher Jésus-Christ et rendre de lui témoignage; car pour rendre témoignage d'un autre, il faut soi-même être irréprochable. Il s'éloigne donc de la foule et du tumulte pour ne pas ternir sa réputation par les contacts sociaux, pour ne pas marquer sa vie de la moindre tache de scandale ou de péché, et garder intacte sa vertu. Car, selon saint Chrysostôme 1, comme il est impossible qu'un arbre planté sur un chemin public, voie arriver ses fruits en maturité; ainsi l'homme placé près du monde, en relation avec le monde, ne peut sauvegarder jusqu'à sa mort l'innocence de la vie.

Voyez au contraire cet arbre planté dans un jardin; son tronc est à l'abri des injures des passants; il n'en est pas de même des branches qui se prolongent sur le chemin voilà l'image des religieux qui veulent s'occuper des affaires du siècle.

Qu'il est grand, qu'il est digne d'admiration le jeune Jean-Baptiste ! Il est le premier solitaire, le patriarche et le guide de ceux qui veulent consacrer leur vie à servir Dieu. Parlant de sa vie admirable, Pierre de Ravenne dit : Très-jeune encore, ce bienheureux enfant, conduit par le Saint-Esprit, vient dans le désert; le Seigneur tout-puissant fortifie la faiblesse de son âge. Jean quitte le monde,

1 Saint Chrysostôme : Hom. 30, Operis imperfecti.

fuit les hommes, oublie son pays, ses parents, pour aller gravir, par la puissance de la contemplation, les sommets où réside la Divinité. Quelle chose admirable de voir un homme entrant à peine sur le seuil de la vie, fuir la gloire d'ici-bas, et oublier les plaisirs de ce monde ! que dis-je, oublier! les dédaigner et les mépriser, pour passer sa vie en la société de Dieu. Les retraites des montagnes, les profondeurs des forêts, l'étendue des vallées lui servaient de demeure! Jean s'élevant au-dessus de son âge, peu soucieux de la noblesse de sa naissance, se consacre tout entier au service de Dieu; il devient la règle de notre vie, le modèle des moines, le chef des anachorètes, la raison d'être de toute la vie religieuse. Ce qui fait dire à saint Chrysostôme 1: De même que les apôtres sont les chefs des prêtres, de même Jean-Baptiste est le chef des moines. C'est l'enseignement de la tradition; on a toujours jusqu'ici gardé ce souvenir. O moines, considérez votre dignité; Jean-Baptiste est votre modèle et votre chef. Dès son jeune âge, il mène la vie monastique au milieu des déserts qui lui fournissent aussi sa nourriture; il attend ainsi la venue de Jésus-Christ; il ne veut avoir aucune relation avec les hommes; il s'exerce à la perfection dans la société des anges. Voilà la vie vraiment heureuse mépriser le commerce des hommes, rechercher celui des anges, quitter la ville et venir dans la solitude jouir de Jésus-Christ. Dès que Jésus-Christ a fixé nos regards, rien ne doit être capable de nous les faire détourner. Heureux les religieux qui imitent Jean, qui fut le plus grand des enfants des hommes; mais malheur aussi aux moines qui au lieu de marcher sur

1 Saint Chrysostôme : Hom. sur Jean-Baptiste.

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