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il ajoute Et vidimus eum plenum gratiæ et veritatis; et nous l'avons vu plein de grâce, puisqu'il reçut sans mesure tous les dons du Saint-Esprit pour la rémission des péchés, et de vérité, pour l'accomplissement de toutes les promesses faites à la terre; et vraiment rempli, plenum, puisque la plénitude de la divinité habite en JésusChrist fait homme.

Remarquons ici avec admiration que cet Évangile contient des choses d'une si haute portée, et renferme des mystères si profonds, et principalement dans ce passage : Et Verbum caro factum est, et le Verbe s'est fait chair, que saint Jean lui-même s'avoue indigne et incapable de les expliquer; nous ne devons donc pas douter que ces paroles n'aient une grande efficacité. Aussi l'Église a-t-elle adopté la louable coutume de faire lire cet évangile à la fin de chaque messe. Je vais rapporter ici, pour l'instruction du lecteur, quelques exemples du pouvoir de ces paroles.

Dans la Guienne, vivaient autrefois deux mendiants possédés du démon; l'un d'eux, jaloux de ce que l'autre avait reçu plus d'aumônes que lui, vint secrètement trouver un prêtre en lui disant si vous faites ce que je vais vous dire, à savoir, si vous récitez à l'oreille de mon compagnon, sans toutefois que je puisse l'entendre, l'évangile de saint Jean In principio erat Verbum (le Verbe était au commencement), soyez sûr que le démon sera aussitôt mis en fuite. Le prêtre comprenant la ruse du malin esprit, lut à haute voix l'évangile, et lorsqu'il fut arrivé à ces paroles : Verbum caro fuctum est, le Verbe s'est fait chair, les démons disparurent sur-le-champ et les deux mendiants furent délivrés.

On raconte également une autre histoire à ce sujet : Le diable dit un jour à un saint personnage qu'il y avait dans ce même évangile certains mots qui étaient surtout redoutables au démon ; le saint homme lui demanda quels étaient ces mots, il ne voulut pas les lui dire; puis, comme le saint homme citait au démon plusieurs passages, le diable lui répondait à chacun que ce n'était pas cela. Enfin, interrogé si par hasard ce n'étaient pas ces paroles: Verbum caro factum est, le diable ne répondit point, mais disparut aussitôt en jetant un grand cri.

Une autre fois, le diable se présenta à l'abbé d'un monastère sous la figure d'une belle dame, le sollicitant au péché; comme ils étaient seuls dans le jardin, l'abbé eut quelque crainte, mais, soupçonnant la malice du père des ténèbres, il se signa en disant : Verbum caro factum est, et habitavit in nobis, et aussitôt le démon s'évanouit au milieu d'un bruit épouvantable.

On raconte encore cet autre trait: Un moine assistant à la lecture de l'évangile In principio erat Verbum, et à ces mots Verbum caro factum est, ne s'étant point prosterné et n'ayant donné aucun signe de respect, le démon lui donna un soufflet en disant : Si on lisait que le Verbe s'est fait démon, nous ne cesserions pas de fléchir les genoux. Tout ceci nous prouve avec quelle vénération nous devons lire ou entendre lire cet évangile.

Vidimus eum plenum gratiæ et veritatis; nous l'avons vu plein de grâce et de vérité, puisque, en effet, c'est de lui, c'est de sa plénitude que nous avons reçu toutes les grâces, toutes les faveurs qui nous ont été accordées; comme si l'évangéliste disait en d'autres termes : C'est de cette plénitude que tous les apôtres, que tous les fidèles

présents et à venir ont reçu, reçoivent et recevront toutes grâces; c'est donc à bon droit que nous pouvons dire que le Verbe était rempli, plenum. Remarquons ici que l'on distingue plusieurs sortes de plénitudes: plénitude d'universalité ou de nombre, laquelle est dans l'Église, selon les diverses personnes auxquelles Dieu accorde plusieurs et diverses grâces selon leurs dispositions; plénitude de suffisance, laquelle était dans saint Etienne et les autres saints, et qui est encore dans tous les justes, selon la capacité de chacun; plénitude de prérogative et d'abondance, laquelle fut dans la bienheureuse Vierge, qui surpassa en grâces tous les autres saints; en effet, de même que Dieu a réuni dans le soleil toutes les qualités des autres astres, de même aussi il a mis en Marie toutes les vertus des autres saints, car la plénitude de suffisance, sans la plénitude de prérogative et d'abondance, ne lui eût pas suffi pour répandre ces grâces sur les pécheurs; et cependant Jésus-Christ était l'auteur de cette grâce en Marie.

Enfin la plénitude de consommation ou d'excellence, qui fut en Jésus-Christ lui-même, et c'est celle dont parle ici saint Jean. Le Sauveur, en effet, n'eut pas seulement cette plénitude que l'on trouve dans les autres, mais cette plénitude qui rejaillit sur les autres, car la plénitude des dons que reçoivent tous les élus, procède de Jésus-Christ, et coule comme par de petits ruisseaux sur nos mérites, c'est-à-dire que nous recevons grâce pour grâce: grâce de réconciliation pour grâce de foi par laquelle nous croyons en lui; grâce de vie éternelle pour grâce prévenante et justifiante; grâce de récompense pour grâce de mérite. Dieu, en effet, nous donne la grâce, afin que par

elle nous puissions arriver à la gloire qui est la grâce de consommation. En deux mots, tout ce qui nous est donné après la grâce prévenante, est tout à fait grâce pour grâce, d'où cet axiome: Tout ce que nous avons de mérite, nous le devons à la grâce prévenante, et Dieu, en couronnant les saints, ne fait que couronner ses propres dons. Ce qui fait dire à saint Augustin: Quelle grâce avons-nous reçue la première? La foi; elle est appelée grâce, parce qu'elle est donnée gratuitement, et le pécheur reçoit cette première grâce, afin de pouvoir obtenir le pardon de ses péchés. Lorsque nous disons grâce pour grâce, c'est comme si nous disions que pour cette grâce par laquelle nous vivons de la foi, nous devons recevoir une autre grâce, qui est la vie éternelle, laquelle est la récompense de notre foi; or, la foi étant une grâce, la vie éternelle est nécessairement grâce pour grâce.

Quant à ce qu'ajoute l'Evangéliste, que tous nous recevons la grâce de la plénitude de Jésus-Christ, c'est facile à comprendre; en effet : si vous plongez dans une fontaine remplie un vase quel qu'il soit, il n'y puisera que selon sa capacité; et s'il y puise peu, ce ne sera certes pas la faute de la source qui est remplie, mais la faute du vase. De même, en Jésus-Christ, qui est la source de vie, nous puisons la grâce selon la capacité de nos cœurs. Or, comme un vase bas et large contient plus d'eau qu'un vase haut et étroit, de même un cœur abaissé par l'humilité et élargi par la charité reçoit plus de grâce qu'un cœur élevé par l'orgueil et rétréci par l'avarice; en sorte que si nous recevons peu, ce n'est pas la faute de Dieu, qui donne, mais

1 Saint Augustin: Tractatus 3, in Joan.

la faute de celui qui reçoit; nous devons donc nous disposer à recevoir par l'amour et par l'humilité. Rien, dit saint Isidore, n'est plus propre à nous mériter la grâce de Dieu et la bienveillance des hommes que l'humilité jointe à la charité. Cette grâce, ajoute saint Augustin 1, n'existait pas sous l'ancienne Loi, laquelle menaçait le pécheur, mais ne le délivrait pas; elle ordonnait, mais n'absolvait pas; découvrait les plaies, mais ne les guérissait pas, montrant seulement de loin le vrai Médecin futur qui devait apporter au monde coupable la grâce et la vérité.

Pour prouver ensuite la manière dont cette grâce nous est communiquée, l'Evangéliste ajoute: La Loi ancienne fut donnée par Moïse, mais cette Loi n'était que le prélude et l'image de la Loi de grâce, que nous recevons par la vertu et les dons du Saint-Esprit et par les Sacrements de l'Eglise; et de vérité, parce qu'elle est la solution de toutes les figures et de toutes les promesses faites par Jésus, notre Sauveur et notre Christ, et entièrement accomplies en Lui et par Lui. Cette grâce promise mais non donnée dans l'ancienne Loi, dit saint Augustin, au même endroit, n'était rien autre chose que la mort même de notre Rédempteur, qui nous délivra en même temps et de la mort temporelle et de la mort éternelle. Tout ce qui devait se réaliser dans le Nouveau Testament, dit saint Chrysos-tôme 2, avait été figuré par l'Ancien; aussi la Loi de Moïse n'était qu'une loi figurative, tandis que celle de Jésus-Christ est la loi de vérité.

Comment cette grâce et cette vérité sont-elles arrivées

1 Saint Augustin: Tractatus 3, in Joan. 2 Saint Clarysostome: Hom. 13, in Joan.

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