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CHAPITRE XX

DE LA PÉNITENCE

Comme, dans les chapitres précédents, nous n'avons fait qu'effleurer ce qui concerne la pénitence, cette vertu, ce sacrement qui nous ouvre le chemin du salut et le royaume des cieux, nous allons en parler plus spécialement dans le présent chapitre. Deux choses principales constituent la pénitence : l'amour de Dieu et la haine du péché, ou, en d'autres termes, le pécheur doit joindre, au regret de ses fautes passées, la ferme résolution de ne plus les commettre à l'avenir. Sans ces deux conditions, il n'y a pas de vraie pénitence, Dieu ne nous pardonne pas nos péchés et le prêtre ne saurait nous en absoudre. La véritable pénitence, dit saint Bernard dans ses Méditations, consiste à gémir, et sans délai, de ses fautes passées, et à en gémir de manière qu'on ne les commette plus à l'avenir, car celui qui retombe dans les péchés dont il se repent, n'est

pas véritablement repentant, mais bien plutôt hypocrite. Voulez-vous être véritablement pénitent? rompez vos mauvaises habitudes et n'y retournez plus. La pénitence, souillée par de nouvelles fautes, est une pénitence vaine et dérisoire. La pénitence, dit saint Grégoire dans sa 34o homélie sur les Évangiles, consiste à pleurer les fautes qu'on a commises et à ne plus les commettre pour les pleurer de nouveau; car celui qui pleure ses péchés pour y retomber ensuite, ne connaît pas la vraie pénitence, ou plutôt, est un hypocrite. Elle est infructueuse et vaine, nous dit șaint Augustin dans ses Soliloques, la pénitence qui est suivie de nouveaux péchés. Que servent les larmes, si les péchés se renouvellent? Que sert de demander pardon à Dieu de vos fautes, si vous y retombez aussitôt après? O pénitents, s'écrie-t-il ailleurs, si toutefois vous êtes des pénitents et non des hypocrites, changez de vie et réconciliez-vous avec Dieu. Joindre les mains et fléchir les genoux sans se repentir véritablement, c'est se moquer de Dieu. Si vous êtes pénitent, le péché doit vous déplaire; s'il ne vous déplaît pas, vous n'êtes pas véritablement pénitent. Et si le péché vous déplaît, pourquoi y retombez-vous? Si vous avez regret d'avoir fait le mal, ne le faites plus; si vous le faites de nouveau, vous n'êtes pas sincèrement pénitent.

Le même saint Augustin nous apprend en quoi consiste la vraie pénitence et ce qui doit faire le sujet de notre repentir. Trois choses principales, nous dit-il, doivent être l'objet de notre douleur dans la pénitence. La première est le repentir de nos fautes passées, repentir qui doit nous rendre un homme nouveau, jusqu'à ce que nous recevions le pardon dans le sacrement de l'Église; car, tout homme qui jouit de son libre arbitre, ne saurait, en ap

prochant des Sacrements, commencer une vie nouvelle, s'il ne déteste d'abord et s'il n'a pas en horreur son ancienne vie. Les enfants seuls, parce qu'ils sont privés de l'usage de raison, sont exempts de cette disposition; et encore la foi de ceux qui les présentent leur est utile pour la rémission de la faute originelle, et comme cette tache leur a été communiquée par ceux dont ils sont nés, le pardon leur est transmis par l'entremise de ceux qui répondent pour eux à leur baptême. Tous les autres ne sauraient aller à Jésus-Christ sans embrasser une vie nouvelle, c'està-dire sans commencer à être ce qu'ils n'étaient pas, et à détester leur passé.

La seconde disposition nécessaire à la vraie pénitence est de supporter avec humilité et résignation les maux de cette vie présente, car nul ne peut aspirer ardemment à la vie future, s'il n'a d'abord un souverain mépris pour celle-ci. Qui pourrait douter un instant que nous ne devions, même au milieu des félicités temporelles, les mépriser et les détester, afin de parvenir aux biens éternels? Qui désire arriver à la véritable patrie, si ce n'est celui qui éprouve les ennuis et les douleurs de l'exil? Quel est l'homme raisonnable qui gémirait sur son état présent, si cet état ne lui était pas à charge? Et puis, nous sommes continuellement exposés à mille fautes qui, prises séparément, sont légères et ne donnent pas la mort à l'âme, mais qui, réunies, pourraient par leurs effets nous priver du bonheur éternel, si elles n'étaient effacées chaque jour par le repentir. C'est pourquoi celui qui réfléchit sérieusement comprend à quel danger il est exposé tant qu'il est éloigné de Dieu.

La troisième condition consiste dans le repentir des péchés commis contre les commandements. C'est ici surtout

que le pécheur doit exercer contre lui-même la plus grande sévérité, afin que, jugé par sa propre conscience, il ne soit pas exposé aux terribles jugements de Dieu. Que l'homme donc élève un tribunal au fond de son cœur; que la raison soit l'accusateur, la conscience le témoin, la crainte l'exécuteur, et que les larmes du pénitent remplacent le sang de la victime. Qu'il prononce alors la sentence, c'est-à-dire qu'il se regarde comme indigne de participer au corps et au sang de Jésus-Christ, car de même qu'il craint d'être à jamais éloigné du royaume des cieux par la sentence suprême du Souverain Juge, de même doit-il se croire indigne d'approcher des Sacrements de l'Église, à cause de ses péchés. Que l'homme donc se juge lui-même; qu'il réforme en bien sa volonté et ses mœurs pendant qu'il le peut, de peur que, quand il ne le pourra plus, il soit jugé malgré sa volonté par le Souverain Maître. Souvent le pécheur, désespérant de sa guérison, entasse péché sur péché, suivant cette parole des proverbes : Quand il est arrivé au fond de l'abime, il méprise les remèdes. Pour vous, ne vous laissez pas aller ainsi au désespoir, ne mé– prisez pas le remède qui vous reste; du fond de l'abîme où vous êtes tombés, criez vers le Seigneur; c'est de cet abîme qu'ont crié les Ninivites, et ils ont obtenu leur pardon; l'humiliation de leur pénitence les sauva des maux dont le prophète les avait menacés. Quelques péchés que vous ayez commis, tant que vous êtes dans ce monde, vous pouvez obtenir grâce, car si Dieu ne voulait pas vous pardonner, il vous en aurait déjà retirés. Ignorez-vous donc que la patience divine nous conduit à la pénitence? Tel est le langage de saint Augustin. Nous devons donc chaque jour faire pénitence, non-seulement des fautes

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graves, mais encore des fautes légères, que, quoique légères, nous ne devons pas négliger. Car, comme dit saint Grégoire 1: Il n'est péché si petit qui ne croisse si on le néglige; et ailleurs : Le péché qui n'est point expié par le repentir nous entraîne dans un autre par son propre poids. Le péché, même le plus petit, commis volontairement et de propos délibéré, est plus lourd que le monde entier. Ne méprisez pas les fautes' que nous appelons légères, dit saint Augustin; prises séparément, elles sont peu graves; mais, réunies, elles font un poids qui doit vous épouvanter; les gouttes d'eau, multipliées, remplissent les rivières, et les atomes, rassemblés, forment un gros volume. Nous ne devons donc point négliger les petites fautes, mais nous ne devons pas non plus nous désespérer pour les grandes; car, comme dit le même saint Augustin, aucun péché n'est mortel, s'il nous déplaît; aucun n'est léger, s'il nous plaît.

Tandis que nous le pouvons, faisons pénitencé sans aucun retard, de peur que, saisis par la mort, nous désirions le temps nécessaire pour la faire, sans pouvoir l'obtenir. Ne différons pas un instant de nous convertir à Dieu, nous dit encore saint Augustin, car notre délai nous ferait perdre le temps nécessaire pour nous corriger. Dieu, qui a promis le pardon au pécheur repentant, ne lui a pas promis le lendemain, s'il diffère. Puis il ajoute : Si un chrétien, frappé d'une maladie mortelle et déjà sur le bord de la tombe, désire et réclame le sacrement de la réconciliation, nous ne lui refusons pas ce qu'il demande, mais toutefois sans être convaincus de ses bonnes dispositions pour

1 Saint Grégoire: Lib, XXV, Moralium, cap. XII.
2 Saint Augustin: Lib. de decem chordis, cap. xi.

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