CHAPITRE IV

DE LA CONCEPTION DE JEAN LE PRÉCURSEUR

Au temps d'Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommée Zacharie, du rang d'Abia, et son épouse était des filles d'Aaron et s'appelait Élisabeth1. Et ils étaient tous deux justes devant Dieu, non comme les hypocrites qui singent la vertu devant le monde.; mais ils marchaient dans tous les commandements et dans toutes les ordonnances du Seigneur, c'est-à-dire qu'ils observaient et les préceptes moraux et les préceptes cérémoniels, sans reproche, et vivaient en paix avec le prochain. Or, ils n'avaient pas d'enfants, ni d'espérance d'en avoir, à cause de la stérilité qui était particulière à la femme et de la vieillesse qui leur était commune. Il est donc clair que la conception du Précurseur fut miraculeuse, car la nature alors fut aidée par la grâce divine. Cet Hérode né d'un père Idu

1 Saint Luc, 1.

méen était étranger, le sceptre avait donc déjà été enlevé de Juda et le temps de l'avénement du Messie approchait, car le patriarche Jacob, animé de l'esprit prophétique, avait marqué pour signe de l'avénement prochain du Christ la translation du royaume de Judée entre les mains d'un étranger: Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le roi de sa race, jusqu'à ce que vienne celui qui doit être envoyé et qui sera l'attente des nations. Moïse n'avait établi qu'un grand-prêtre auquel un autre devait immédiatement succéder après sa mort. Mais David voulant étendre le culte de la maison du Seigneur, des vingtquatre familles qui descendaient d'Aaron, avait pris vingtquatre prêtres sur lesquels régnait cependant celui que l'on appelait le Prince des prètres. Ils devaient servir dans le Temple, chacun leur semaine, d'un samedi à l'autre, et pendant ce temps-là, garder la chasteté, ne pas entrer dans leur maison, et coucher dans de petites demeures bâties autour du Temple et que l'on appelait chaires (Exedræ). Le sort désignait la semaine de leur service; or la huitième semaine échut à Abias, duquel descendait Za charie dont nous parlons. De la tribu de Lévi, il y avait aussi vingt-quatre lévites, dont le service était distribué de la même manière, et qui étaient de fonction pendant " huit jours. Or, il arriva que, comme Zacharie s'acquittait des fonctions du sacerdoce à son tour, il sortit de l'endroit où il s'était revêtu des ornements sacerdotaux et entra dans le Temple du Seigneur, pour offrir le parfum, le dixième jour du septième mois, c'est-à-dire du mois de septembre. Et toute la multitude du peuple était en

↑ Genèse, 49.

prière, hors le Temple, car il n'était pas permis au peuple de pénétrer dans le Temple; il devait se tenir à l'entrée. On voit que Zacharie était un simple prêtre et non le grand-prêtre, car il est dit qu'il entra dans le temple seulement pour offrir le parfum. Or, cela était permis aux simples prêtres, selon ce que dit l'apôtre saint Paul 1. Dans le premier tabernacle entraient tous les jours les prêtres pour y accomplir le service. Le sacrifice ayant été fait sur l'autel des holocaustes qui est à l'entrée du temple et où servaient les simples prêtres, le ministre qui s'acquittait alors de ses fonctions, prenait des charbons de cet autel, entrait dans la première partie du temple qui s'appelle le Saint et y brûlait le parfum sur l'autel; et alors le sacrifice était consommé. Or, cela se faisait tous les jours. Le sacrifice n'était consommé que lorsque le parfum était brûlé, parce que les sacrifices de l'ancienne Loi n'avaient de prix que par la foi et la charité de ceux qui les offraient; or, l'encensoir signifie la charité qui brûle les cœurs; c'est pourquoi le sacrifice était ainsi consommé. Mais le grand-prêtre seul avait le droit d'entrer dans cette partie du Temple qu'on appelait le Saint des Saints, avec le sang du bouc et du taureau qu'il offrait pour les péchés du peuple et dont il aspergeait le Propitiatoire.

On ne dit pas que Zacharie soit entré ainsi dans le Saint des Saints, mais il offrait seulement le parfum. Et l'ange lui apparut, se tenant au côté droit de l'autel du parfum qui est dans la première partie du Temple où peuvent entrer les simples prêtres. L'encens que le grand

1 Aux Hébreux, 9.

prêtre pouvait seul offrir dans le Saint des Saints, au jour de l'expiation, n'était pas simplement présenté, mais il s'élevait comme un nuage et couvrait le propitiatoire, lorsque le grand-prêtre l'aspergeait du sang du bouc et du taureau. D'ailleurs aucun historiographe n'a parlé du sacerdoce de Zacharie comme grand-prêtre. Zacharie signifie qui se souvient du Seigneur, et désigne ainsi un bon prêtre qui doit toujours porter dans son cœur la mémoire de celui qu'il sert, et pour son salut et pour celui de son peuple. Ce bon prêtre entre dans le Temple, conduit par l'amour du culte du Seigneur, il offre l'encens d'une dévote prière et le peuple prie, pour ainsi dire, par sa bouche et par sa sainte vie. Le souvenir du Seigneur dans l'âme doit avoir un triple objet: sa puissance, qui a tout créé; sa sagesse qui a tout racheté; sa bonté qui récompense largement les bonnes œuvres. Le premier de ces attributs est plus particulièrement rapporté au Père, le second au Fils, le troisième au Saint-Esprit. Or, l'ange Gabriel, se tenant au côté droit de l'autel du parfum, apparut à Zacharie, qui à sa vue fut saisi de crainte, parce qu'il avait l'aspect d'une nature bien plus élevée et bien plus puissante que celle de l'homme. Mais on distingue bientôt le bon du méchant, parce que le méchant continue d'inspirer l'horreur qu'il a provoquée au premier aspect, et contre cette crainte, selon le vénérable Bède 1, il n'y a pas de meilleur remède qu'une foi intrépide; mais le bon rassure et fortifie aussitôt. C'est pourquoi l'ange dit à Zacharie: Ne craignez pas, c'est-à-dire venez pour être consolé. Il ajouta: Votre prière a été

Bède, sur saint Lue, chap. 1.

exaucée. Zacharie ne demandait pas d'enfants au ciel, parce qu'à cause de son âge et de celui de son épouse, il n'osait plus espérer cette bénédiction; il ne crut même pas aux paroles de l'ange qui lui promettaient un fils; mais il suppliait le Seigneur de pardonner à son peuple, de le racheter et de lui envoyer le Messie; et parce que le salut du peuple devait venir par le Christ, l'ange annonça à Zacharie qu'il naîtrait de lui un fils, qui préparerait la voie au Sauveur, en prêchant la pénitence et la foi. Il lui indiqua aussi le nom de Jean qu'il devrait donner à cet enfant. Jean signifie dans lequel est la grâce ; or, Jean annonça le Christ par lequel la grâce et la vérité sont venues. C'est pourquoi le vénérable Bède dit: Jean signifie dans lequel est la grâce, ou la grâce du Seigneur, et ce nom annonce d'abord la grâce dont les propres parents de Jean ont été comblés, puisque dans un âge avancé, il leur est né un fils. Ce nom indique encore les faveurs du ciel prodiguées à Jean luimême, qui devait être grand devant le Seigneur et sanctifié dans le sein de sa mère par une grâce spéciale du Saint-Esprit. Enfin, la naissance de Jean était aussi une bénédiction pour les enfants d'Israël qu'il devait convertir au Seigneur leur Dieu. Cette nouvelle combla donc le père de Jean d'une sainte joie intérieure qu'il ne put s'empêcher de manifester extérieurement, ce qui arrive toutes les fois qu'un sentiment est trop vif pour pouvoir être comprimé dans l'âme. La même nouvelle apporta aussi la joie dans beaucoup d'autres cœurs, qui se félicitèrent avec le père de la naissance de ce fils de bénédiction, et c'est pourquoi le jour de la Nativité de saint Jean est solennisé

Bède, sur saint Luc, chap. 1.