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monstre marin et entourée de toutes ses nymphes, défendait l'entrée de son palais contre les preux chevaliers voulant enlever le beau Roger qu'elle y tenait enfermé. Le beau Roger était Louis XIV, recouvert d'une cuirasse ruisselante de broderies d'or et de diamants.

On peut donc dire que, à son retour à Paris, Molière eut pour parrains Condé et Corneille, puisque ce fut dans Nicomède qu'il parut pour la première fois devant Sa Majesté.

Condé bientôt s'attacha à notre auteur. « Je crains, lui écrivait-il un jour, de vous distraire dans votre travail; aussi je ne vous enverrai plus chercher, mais je vous prie à vos heures vides de venir me trouver; faites-vous annoncer par un valet de chambre, et je quitterai tout pour être à vous. »

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Souvent il répétait « Je ne m'ennuie jamais avec cet homme; il fournit de tout et son jugement ne s'épuise jamais. >>

Après la mort de notre poète, Condé fit cette répartie à un abbé qui le consultait sur une épitaphe qu'il avait préparée en l'honneur de Molière :

« Ah! que n'est-il plutôt en état de faire la vôtre. »

L'annonce d'un spectacle à la Cour et par une

troupe de comédiens récemment débarqués avait mis en émoi toute la gent dramatique.

Trois troupes à cette époque se partageaient les faveurs du public; chacune avait ses clients, ses protecteurs, et aucune n'entendait se les laisser disputer ni surtout enlever.

La troupe de l'Hôtel de Bourgogne, celle du Marais et celle du Petit-Bourbon.

Au Petit-Bourbon, des acteurs italiens avaient succédé à des chanteurs de leur pays, que Mazarin y avait précédemment installés pour flatter les goûts d'Anne d'Autriche, qui aimait si passionnément les spectacles, que même pendant le deuil de son époux, elle y assistait cachée derrière une de ses dames. Les troubles de la Fronde avaient anéanti ce premier essai d'opéra en France. Les nouveaux Italiens jouaient la comédie chantante, et principalement des féeries-ballets, avec transfigurations, métamorphoses, changements à vue, ainsi que nous l'a appris Loret dans sa Muse historique, journal rimé qui paraissait toutes les semaines.

« Ceux qui font grand cas des spectacles

Qui pourraient passer pour miracles,

Il faut qu'ils aillent tout de bon

En l'Hôtel du Petit-Bourbon,

Où selon l'opinion mienne,
La grande troupe italienne,
Du seigneur Torel assistés,
Font voir de telles raretés
Par la présence de la machine,
Que de Paris jusqu'à la Chine
On ne peut rien voir maintenant
Si pompeux et si surprenant :
Des ballets au nombre de quatre,
Douze changements de théâtre,
Des hydres, dragons et démons
Des mers, des forêts et des monts,
Des décorations brûlantes,

Des musiques plus que charmantes,
La grâce et les traits enchanteurs
Des actrices et des acteurs;
Mais entre cent choses esquises,
Qui causent d'aimables surprises,
Entre quantité d'accidents,
Qui font rire malgré les dents
Et qui raviraient une souche,
C'est la table de Scaramouche,
Contenant fruits, viandes et pain,
Et pourtant il y meurt de faim,
Par des disgrâces qui surviennent
Et qui de manger le retiennent :
Et comme en tout événement
Il grimace admirablement !
Il faut voir en cette occurence
La naïve et rare excellence

De son talent facétieux

Et ma foi divertit des mieux! »

Ne dirait-on pas le compte-rendu des Pilules du Diable ou de la Biche au bois?

La plupart de ces trucs que nous croyons d'invention moderne, avaient été importés par Torel ou plutôt Torelli, célèbre artiste vénitien, machiniste hors ligne qui avait failli être pendu comme sorcier, dans son pays, un jour que, sur son théâtre, par un changement à vue et à la suite d'un coup de sifflet, il avait transformé en un clin d'œil toutes les splendeurs d'un palais en un site ravagé; il en avait été quitte pour trois doigts que la foule affolée lui avait brisés, alors qu'il se sauvait de Venise pour n'y rentrer jamais. Les décors étaient un don du marquis de Sourdéac, qui, dans son château de Neufbourg, en Normandie, avait créé un théâtre de musique qui subit le même sort que celui de Paris.

La troupe du Petit-Bourbon possédait d'excellents interprètes qui avaient les traditions de Pierrot, de Colombine et d'Arlequin. Nous avons nommé Scaramouche qui était un farceur au gros rire, aujourd'hui

le compère, personnage qui gobe tout et fait tout gober au parterre 1.

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Les comédiens du Marais, qui avaient gardé le nom de leur premier établissement au Marais, à l'Hôtel d'Argent, où ils avaient séjourné jusqu'en 1620, époque à laquelle ils se transportèrent rue Vieille - du - Temple, au-dessus de l'égout 2, jouaient la comédie burlesque; non plus de ces farces grossières, qui étaient restées aux tréteaux : leurs auteurs se nommaient Scarron, Thomas Corneille, d'Ouville.

Les acteurs avaient suivi la marche progressive de leurs auteurs et n'étaient plus des pîtres, s'ils n'étaient pas encore des comédiens.

Jodelet, le premier sujet du Marais était de race. Doué d'un physique éminemment comique, son geste, sa diction, les mouvements de son masque, tout était en harmonie; non seulement il ne dépassait pas le but, et c'était déjà beaucoup, mais encore il savait y atteindre.

1 Le cardinal-ministre était naturellement le protecteur de ses compatriotes.

2 Les frères Parfaict.

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