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On avait fait sur lui ce quatrain :

La perle des enfarinés,
Jodelet qui parle du nez,

Et fait grandement rire parce
Qu'il est excellent dans la farce.

Aurait-il eu moins de succès si son nez se fût contenu dans ses fonctions naturelles? on avait fait pour lui Jodelet maître, Jodelet valet, Jodelet souffleté, Jodelet prince, ce qui prouve que son nom était une attraction.

Le théâtre du Marais était le théâtre des bourgeois et des traitants.

Enfin les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne. Ceuxci parlaient le langage des dieux. Leurs auteurs étaient Racan, Rotrou, Pierre Corneille. Ils possédaient pour clients les marquis et la cour.

Parmi eux on voyait le vieux Baron, Montfleury, Beauchâteau, Hauteroche et Floridor, qui entraient si bien dans leurs rôles, s'identifiaient tellement avec les héros qu'ils représentaient que, parfois, ils se croyaient eux-mêmes sortis de la cuisse de Jupiter. Molière dans l'Impromptu de Versailles ne les a pas épargnés.

Floridor, beau, bien fait, s'exprimant aisément, était chargé de la harangue, compliment qui alors précédait la pièce, et n'a fait aujourd'hui que changer de place; c'est le couplet au public, où l'actrice, après avoir fait une risette au parterre, réclame l'indulgence pour l'auteur et ses interprètes.

Floridor était la coqueluche du quartier: il portait l'habit de qualité avec une telle distinction que les marquis, glorieux de leur Floridor, n'auraient pas permis qu'on le leur montrât dans un rôle odieux ou seulement ridicule.

Un jour, il parut sous les traits de Néron, et le lendemain Racine fut obligé de se procurer un autre fils d'Agrippine.

Les comédiens du Marais et de l'Hôtel de Bourgogne étaient comédiens du Roi. Quelle différence y avait-il entre ce titre et celui de Troupe du Roi que Louis XIV accorda plus tard si pompeusement à la troupe de Molière? Sans doute que les comédiens du Marais et ceux de l'Hôtel de Bourgogne étaient troupe de ville et avaient le droit de se montrer dans toutes les villes du royaume : tandis que la troupe du roi était les comédiens de sa maison, comme nous avons vu que les gouverneurs de province possédaient les leurs.

Le 24 octobre 1659 avait été la date choisie pour la grande épreuve au palais du Louvre.

Ce jour-là, Sa Majesté, ayant à ses côtés Monsieur et le prince de Condé, à sa suite les officiers de sa couronne, fit son entrée dans la salle des gardes, où par une faveur spéciale, Floridor avait été admis dans les bas rangs.

On commença par Nicomède; certes Nicomède n'est pas la meilleure tragédie de Corneille; mais il faut le reconnaître aussi, Molière et sa troupe n'excellèrent jamais dans le genre épique.

Nicomède marcha cahin-caha.

Les gazettes déclarèrent « qu'on fut surtout satisfait de l'agrément et du jeu des dames. »

Ce n'était qu'un succès d'estime.

Floridor était content. Les acteurs saisissent mieux que personne les impressions de la salle. Molière sentit que sa fortune était compromise, peut-être perdue à jamais, si par un coup hardi il ne se relevait de cette défaillance. Alors s'avançant sur la scène, après les saluts d'usage, dans une harangue aussi pleine de tact et de modestie que d'habileté, « il remercia Sa Majesté de la bonté qu'elle avait eue d'excuser ses défauts et ceux de sa troupe qui n'avait paru qu'en tremblant devant une assemblée aussi

auguste; puis, ajoutant que la seule envie qu'ils avaient eue d'avoir l'honneur de divertir le plus grand Roi du monde, leur avait fait oublier qu'il avait à son service d'excellents originaux dont ils n'étaient que de très faibles copies; il supplia très humblement Celui qui avait bien voulu souffrir leurs manières de campagne, d'avoir pour agréable que lui et sa troupe lui donnassent un des petits divertissements qui leur avaient acquis quelque réputation en province. >>

Cette harangue produisit un effet meilleur que celui de la tragédie.

Floridor était moins content.

On joua le Docteur amoureux, et l'on recucillit les mêmes bravos qu'on avait si souvent obtenus devant un public moins huppé mais aussi juste appréciateur. La partie était gagnée.

Floridor n'était plus content du tout.

En se retirant, Sa Majesté accorda aux protégés de son frère la permission de donner des représentations dans la salle du Petit-Bourbon.

Il n'était que temps; le lendemain la cour partait pour le Midi, où elle devait séjourner pendant trois

mois.

C'est de ce jour que date l'usage de donner

une petite pièce après la grande; de faire suivre la tragédie de l'une de ces babioles au langage simple, franc, naturel et léger c'est à Molière que nous devons de rentrer chez nous l'esprit tranquille, l'âme rassérénée, de ne plus revoir en songe Burrhus, Porus et Britannicus, de ne plus rêver de poignard ni de coupe empoisonnée.

Le théâtre du Petit-Bourbon était situé près du Louvre, en face de Saint-Germain-l'Auxerrois; dans une galerie de l'hôtel qui avait appartenu au connétable de Bourbon, tué sous les murs de Rome, et que François Ier avait fait démolir en partie pour punir le comte de sa félonie, on avait disposé une salle de spectacle petite, mais des plus coquettes, qu'on appelait une bonbonnière. « Cette salle avait dixhuit toises de longueur sur huit de largeur, la voûte semée de fleurs de lys. Son pourtour était orné de colonnes avec chapiteaux, frises, architraves et corniches d'ordre dorique. Entre icelles, des arcades en niches (les loges); à l'un des bouts, directement opposée au dais de Sa Majesté, était la scène, d'une analogue dimension. >>

Jusqu'en 1620, des tapisseries avaient servi de toiles de fond et de coulisses; mais depuis le marquis de Soudéac, cette partie de la mise en scène était

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