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applaudi; et voilà encore comment notre héros partit pour la gloire, ayant comme tous les conscrits, son bâton de maréchal, non dans sa giberne, mais dans sa jeune cervelle.

On a rapporté que c'était la Béjart qui avait décidé de sa vocation; comme on a prétendu que sans la protection de Louis XIV, son génie serait resté dans les limbes.

Si son talent est éclos sous les regards d'une femme, il faut convenir qu'il ne s'en souvint guère à la façon dont il les a presque toutes traitées dans la plupart de ses ouvrages et «< ce roi si puissant, qui créa des ducs et pairs, ne pouvait faire un poète. » C'est Dieu qui nous les donne.

Le lendemain un nouveau nom fut inscrit dans le mémorial dramatique, pour y rester à tout jamais le premier.

Où celui qui devait le porter avec tant d'éclat avaitil été chercher ce nom? On n'a pu le savoir. Dans un souvenir de famille? au village? on n'empruntait pas, alors, le nom de son clocher pour s'en faire un panache; il est probable qu'il prit ce nom au hasard, comme au hasard il signa tantôt Molière, de Molière, Molier, ou Mollier; comme on écrivait Béjard ou

Béjart, Poquelin ou Posquelin, Tartufe ou Tartuffe avec un seul f, ou avec deux f.

L'Académie qui ne datait que de 1637, n'était guère à ce moment que le salon de Conrard, au silence prudent, a dit Boileau; l'orthographe était indéfinie; on ne bataillait pas sur le redoublement ou le non redoublement des consonnes.

Dans la première édition de son dictionnaire qu'elle publia en 1694, l'Académie n'accorda qu'un f à Tartufe; Ménage protesta, persuadé que pour baptiser son imposteur, Molière avait dû demander son nom à l'italien Tartufo ou Tartufolo, qui se traduit par truffes, tromperies; dans notre vieux langage, truffer. un ami s'est dit pour tromper un ami; et que par conséquent il fallait écrire Tartuffe avec deux ff. Le Théâtre français adopta la légende de Ménage, l'Académie maintint la sienne, et nous ne savons si la question est tranchée aujourd'hui.

Heureusement, lecteur, pour ta satisfaction et pour la nôtre, avec un f, ou avec deux f, Tartuffe n'a pas cessé d'être représenté.

Après son apparition aux Métayers, devant un public à cinq sous par tête, notre débutant dut aller faire part de son équipée à sa famille.

Ce jour-là le père Poquelin lui donna sa malédiction!

Ce n'était pourtant pas déchoir pour le fils d'un tapissier, même d'un tapissier du Roi, que d'entrer dans la carrière théâtrale, depuis un édit publié le 16 avril 1641, qui, en relevant d'anathème l'état du comédien avait déclaré que cet « état n'avait rien que d'honorable et ne faisait point déroger à la noblesse. >>

Cet édit avait été sollicité par le clergé, et cela s'explique Les représentations religieuses furent l'origine de tous les théâtres européens, comme la Fable l'avait été des théâtres anciens.

Les Grecs, ainsi que l'on voit encore les Arabes accroupis autour de leurs conteurs, avaient eu d'abord leurs rapsodes; la France, l'Italie, l'Espagne leurs trouvères et leurs troubadours; la Bretagne ses bardes; l'Allemagne ses minnesingers; les Anglais leurs ménestrels; les Scandinaves leurs scaldes; mais lorsqu'on voulut mettre en action les premiers chants populaires, tout public ne s'intéressant qu'à des personnages dont il a quelque notion, et tout peuple ne connaissant primitivement d'autre légende que celle de sa religion, on avait bien été obligé de choisir les premiers héros de la scène dans l'antiquité, parmi les

divinités du paganisme; au moyen âge dans le martyrologe chrétien.

Ce n'est que plus tard, quand une nation est née à la vie politique, qu'elle comprend la comédie aristophanesque; et quand elle s'est fait une vie intime, la comédie de caractère.

Personne, mieux que les prêtres, n'était apte à composer les mystères, ce premier moule de l'œuvre théâtral, ils s'en servirent même pour propager leur foi et se montrèrent si jaloux de leur privilège, qu'en 1378, les choristes de Saint-Paul, en Angleterre, s'étaient plaints à Richard II, de ce que les ignorants avaient osé se permettre d'interpréter l'Ancien Testament et qu'au XVIe siècle le duc de Northumberland avait établi pour règle de sa maison, qu'au nombre de ses chapelains, il y en aurait un pour composer ses intermèdes 1.

Quand les auteurs purent descendre de l'Olympe et du Golgotha et choisir leurs sujets dans des régions moins éthérées et moins hautes, le clergé n'abandonna pas la partie. Le cardinal de Richelieu donna l'Aveugle de Smyrne et Mirame; la farce de l'Avocat Pathelin sortit d'un monastère, l'abbé Perrin fut le premier

1 Guizot, Traduction de Shakspeare.

directeur de l'Opéra français, et sous Louis XV un abbé de Lagarde remplissait les fonctions de souffleur dans les petits appartements.

Ces messieurs ne voulaient pas se trouver en contact avec des damnés.

Depuis cet édit, plusieurs fils de la bourgeoisie s'étaient engagés dans cette profession relevée de roture et pour la mieux ennoblir ils avaient décoré à l'envie leurs noms de particules de L'Epy, de La Thorillière, de Brie, du Parc, du Fresne, du Croisy.

Molière fit comme les autres; le comédien s'appela de Molière, et l'auteur du Misanthrope Molière tout court.

Ce qui principalement dut affecter le père Poquelin, c'est que le moment était arrivé, pour lui, de rendre ses comptes de tutelle.

Il revenait à chacun de ses enfants du chef de leur mère, cinq mille livres.

Notre jeune comédien, son fils aîné, ne voulut prendre que six cents livres, et en même temps il renonça, en faveur de son frère cadet, à la charge héréditaire de tapissier et valet de chambre du Roi, que le Roi lui-même lui rendra plus tard.

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