Images de page
PDF
ePub

J.-B. POQUELIN

Trois noms brillent d'un égal éclat au sommet de l'art théâtral dans les temps modernes. Ce sont, par ordre chronologique, ceux de Shakspeare, de Corneille et de Molière. Shakspeare créa le drame; Corneille la tragédie; Molière la comédie.

Venu le dernier, au grand siècle, Molière, sans doute, posséda une pureté d'exécution que Shakspeare · ne connut pas; mais chacun de ces illustres penseurs, dans l'étude des caractères, dans la traduction de nos sentiments, s'éleva à une telle hauteur, qu'il est difficile de les égaler, qu'il restera impossible de les surpasser.

Nous ne voulons pas établir de parallèle entre ces trois génies de la scène; il nous a semblé seulement qu'on ne pouvait parler de l'un, sans adresser un salut aux deux autres.

Celui qui avait charmé la cour et la ville, qui avait été le favori de Louis XIV, n'eut pas la même fortune sous Louis XV; sa renommée sommeilla pendant presque tout le xviiie siècle : ce ne fut qu'au commencement du XIX que ses œuvres redevinrent populaires. Alors la bourgeoisie en fit ses délices, le peuple son enseignement; et son nom répété dans toutes les familles, on voulut savoir où était né, comment avait vécu, quand était mort l'auteur de Tartuffe, du Misanthrope et des Femmes savantes.

Cette curiosité des faits de l'enfance, de la jeunesse, comme des jours éclatants de nos modèles, qui succéda à l'insouciance des siècles passés, est le cachet de notre époque.

Ce désir n'était pas aisé à satisfaire.

Saint-Simon ne s'était guère préoccupé que des ducs et pairs, Tallemant que de la bagatelle; l'auteur lui-même n'avait point écrit ses mémoires: cette maladie ne nous vint que plus tard, de Genève, en passant par Rousseau.

Pour tous renseignements, on possédait une pré

face de La Grange et Vinot '; un opuscule de Le Gallois de Grimarest 2; une comédie de Le Boulanger de Salluçay 3; un ignoble pamphlet sans nom d'auteur ; quelques notes de de Visé 5 et de Loret ; lorsque M. Beffara découvrit, sur les registres de l'église paroissiale de Saint-Eustache, l'acte de baptème de notre grand comique.

M. Beffara, qui n'était pas un lettré de profession, mais un modeste commissaire de police du quartier de la Chaussée d'Antin, mérite une mention spéciale, car ce fut lui qui indiqua la route, ой se jetèrent à sa suite de nombreux érudits, qui, dans les cathédrales, les archives de province, les études de notaires, se mirent à la recherche de quelques dates certaines, des seuls documents authentiques que l'on pouvait encore espérer de recueillir.

Voici cet acte de baptême :

« Du samedy, 15 janvier 1622, fut baptisé Jean, fils de Jean Pouguelin, tapissier, et de Marie Cressé, sa

1 Préface des œuvres de Molière, 1682.

2 Vie de M. de Molière, 1705.

3 Elomire, anagramme des noms de Molière, 1670.

↳ La fameuse comédienne, 1688.

5 Nouvelles nouvelles.

6 Muse historique.

femme, demeurant rue Saint-Honoré; le parrain, Jean Pouguelin, marchand de grains; la marraine, Denyse Lescacheux, veuve de Sébastien Asselin, vivant marchand tapissier. »>

L'orthographe véritable du nom était Poquelin, puisque ce fut celle que Molière adopta pour sa signature, quoique l'on ait écrit Pocquelin, Poclain et Pauquelin.

On ne constatait pas autrement l'existence d'un enfant nouveau-né; ce ne fut qu'en 1792 que l'Assemblée législative prescrivit aux communes d'ouvrir trois registres, pour y inscrire, séparément, la naissance, le mariage et le décès de tout citoyen français; ce qu'on appela l'état civil; jusque-là, l'état des familles était resté à la garde du clergé qui, naturellement, ne se préoccupait que des sacrements.

Cependant, quand le jour de la naissance ne coïncidait pas avec celui du baptême, on le relatait, généralement, dans l'acte paroissial.

Jean était le nom patronymique de l'une des branches de la famille Poquelin; plus tard, pour le distinguer de ses autres frères, le petit Jean fut appelé Jean-Baptiste.

On peut donc affirmer aujourd'hui que JEAN

BAPTISTE POQUELIN naquit à Paris, le 15 janvier 1622, rue Saint-Honoré, au coin de la rue des VieillesÉtuves, près de la place du Trahoir, au pavillon des Cinges.

Ces surnoms singuliers n'étaient pas rares pour les maisons de Paris; celle-ci tirait le sien d'un poteau en bois sculpté, placé à l'angle des deux rues, et représentant des singes qui grimpaient dans un pommier.

Laissons parler M. Édouard Fournier, l'historiographe du vieux Paris.

« Après avoir passé par divers propriétaires, le pavillon des Cinges fut acquis par Fabien Perreau, administrateur de l'Assistance publique Perreau, en 1667, le légua à l'Hôtel-Dieu, qui en garda la jouis. sance jusqu'en 1802, époque à laquelle il tomba en ruine.

« Le poteau cornier, à ce moment, fut transporté, par les soins d'Alexandre Lenoir, dans la cour des Beaux-Arts, où il demeura adossé aux bâtiments du Mont-de-Piété jusqu'en 1827, où il servit, sans doute, à la construction de la nouvelle école; sinon, à chauffer quelqu'employé de l'Administration. »>

La maison se composait « d'un grand corps d'hos

« PrécédentContinuer »