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COVIELLE.

Depuis avoir connu feu monsieur votre père, honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le monde.

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Je pense qu'il y a bien loin en ce pays-là.

COVIELLE.

Assurément. Je ne suis revenu de tous mes longs voyages que depuis quatre jours; et, par l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde.

M. JOURDAIN.

Quelle ?

COVIELLE.

Vous savez que le fils du Grand Turc est

ici?

M. JOURDAIN.

Moi? non.

COVIELLE.

Comment! il a un train tout-à-fait magni

fique;

tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comme un seigneur d'importan.

M. JOURDAIN.

Par ma foi, je ne savais pas cela.

COVIELLE.

Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il est amoureux de votre fille.

M. JOURDAIN.

Le fils du Grand Turc?

COVIELLE.

Oui; et il veut être votre gendre.

M. JOURDAIN.

Mon gendre, le fils du Grand Turc?

COVIELLE.

Le fils du Grand Turc, votre gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint avec mui; et, après quelques autres discours, il me dit: Acciam croc soler onch alla moustaphgidélum amanahem varahini oussere carbulath. C'est-à-dire : N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ?

M. JOURDAIN.

Le fils du Grand Turc dit cela de moi?

COVIELLE.

Oui. Comme je lui eus répondu que je vous

connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre fille : Ah! me dit-il, marababa sahem! C'est-à-dire Ah! que je suis amoureux d'elle!

M. JOURDAIN.

Marababa sahem veut dire, Ah! que je suis amoureux d'elle?

Oui.

COVIELLE.

M. JOURDAIN.

Par ma foi, vous faites bien de me le dire, car, pour moi, je n'aurais jamais cru que marababa sahem eût voulu dire, Ah! que je suis amoureux d'elle! Voilà une langue admirable que ce turc!

COVIELLE.

Plus admirable qu'on ne peut croire. Savezvous bien ce que veut dire cacaracamouchen?

M. JOURDAIN.

Cacaracamouchen? non.

COVIELLE.

C'est-à-dire, ma chère âme.

M. JOURDAIN.

Cacaracamouchen veut dire ma chère âme?

COVIELLE.

M. JOURDAIN.

Voilà qui est merveilleux! Cacaracamouchen, ma chère âme! Dirait-on jamais cela? Voilà qui me confond.

COVIELLE.

Enfin, pour achever mon ambassade, il vient vous demander votre fille en mariage; et, pour avoir un beau-père qui soit digne de lui, il veut vous faire mamamouchi, qui est une certaine grande dignité de son pays.

Mamamouchi?

M. JOURDAIN.

COVIELLE.

Oui, mamamouchi c'est-à-dire, en notre langue, paladin. Paladin, ce sont de ces anciens... Paladin enfin. Il n'y a rien de plus noble que cela dans le monde; et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre.

M. JOURDAIN.

Le fils du grand Turc m'honore beaucoup; et je vous prie de me mener chez lui pour lui en faire mes remercîmens.

COVIELLE.

Comment! le voilà qui va venir ici.

Il va venir ici?

M. JOURDAIN.

COVIELLE.

Qui; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre dignité.

M. JOURDAIN.

Voilà qui est bien prompt.

COVIELLE.

Son amour ne peut souffrir aucun retarde

ment.

M. JOURDAIN.

Tout ce qui m'embarrasse ici, c'est que ma fille est une opiniâtre, qui s'est alléc mettre dans la tête un certain Cléonte; et elle jure de n'épouser personne que celui-là.

COVIELLE.

Elle changera de sentiment, quand elle verra le fils du grand Turc; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c'est que le fils du grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, on me l'a montré; et l'amour qu'elle a pour l'un pourra passer aisément à l'autre, et... Je l'entends venir; le voilà.

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