modestie, de la dignité et de la bienséance, et dansez le moins que vous pourrez, de peur que votre cœur ne s'y affectionne.

Les champignons étant spongieux et poreux, attirent aisément, selon la remarque de Pline, toute l'infection qui est autour d'eux et le venin des serpents. De même les bals et les assemblées de ce genre attirent ordinairement les vices et les péchés qui règnent dans une ville, les jalousies, les bouffonneries, les que relles, les folles amours; et comme leur appareil, leur tumulte, et la liberté qui y domine, échauffent l'imagination, agitent les sens et ouvrent le cœur au plaisir, si le serpent vient souffler aux oreilles une parole sensuelle ou une galanterie, si l'on est surpris du regard de quelque basilic, les cœurs sont tout disposés à en recevoir le venin.

O Philothée, ces ridicules divertissements sont ordinairement dangereux. Ils dissipent l'esprit de dévotion, ils affaiblissent les forces de la volonté, ils refroidissent la sainte charité, et ils réveillent dans l'âme mille mauvaises dispositions; c'est pourquoi l'on ne doit jamais se les permettre, dans la nécessité même, qu'avec de grandes précautions.

On dit qu'après avoir mangé des champignons, il faut boire du vin le plus exquis; je

vous dis de même qu'après ces assemblées il faut avoir recours à quelques considérations saintes et vives qui préviennent les dangereuses impressions que le vain plaisir pourrait faire sur l'esprit ; et voici celles que je vous conseille :

1° Pendant que vous étiez au bal, plusieurs âmes brûlaient dans l'enfer pour des péchés commis à la danse ou par suite de la danse.

20 Plusieurs religieuses et plusieurs personnes pieuses étaient à la même heure devant Dieu, chantaient ses louanges et contemplaient sa divine bonté : que leur temps a été bien mieux employé que le vôtre !

3o Tandis que vous dansiez, plusieurs personnes sont mortes dans une grande angoisse; mille milliers d'hommes et de femmes en proie à des maladies violentes ont souffert les douleurs les plus vives dans leurs maisons et dans les hôpitaux. Hélas! ils n'ont eu nul repos, et vous n'avez eu nulle compassion d'eux. Ne pensez-vous pas qu'un jour vous gémirez comme eux, tandis que les autres danseront!

4o Notre-Seigneur, la sainte Vierge, les Anges et les Saints vous voyaient au bal: ah! que vous leur avez déplu en cet état, avec un cœur occupé d'un amusement si vain et si ridicule!

30 Hélas! tandis que vous étiez là, le temps s'est écoulé, la mort s'est approchée; considérez qu'elle vous appelle à ce passage affreux du temps à l'éternité, à l'éternité des biens ou des peines.

Voilà les considérations que je vous suggère; mais Dieu vous en fera naître d'autres plus fortes si vous avez sa crainte.

CHAPITRE XXXIV

Quand on peut jouer ou danser.

Pour jouer et danser licitement, il faut que ce soit par récréation, et non point par inclination; pour peu de temps, et non pas jusqu'à se fatiguer; rarement, et non point par habitude. Mais en quelles occasions peut-on jouer ou danser? Les occasions où l'on peut licitement danser ou jouer à un jeu indifférent sont plus fréquentes. Celles des jeux défendus,et qui sont bien plus blåmables et plus dangereuses, sont plus rares. En un mot, dansez et jouez

en observant les conditions que je vous ai marquées, lorsque la prudence et la discrétion vous conseilleront cette honnête complaisance pour les personnes avec lesquelles vous vous trouverez; car la complaisance, qui est comme un exercice de la charité, rend bonnes les choses indifférentes, et permet quelquefois celles qui sont dangereuses; elle rectifie mème celles qui sont mauvaises par rapport à quelque règle et c'est pourquoi les jeux de hasard, qui sans cela seraient blåmables, ne le sont pas si une juste complaisance pour le prochain y engage quelquefois. J'ai été consolé d'avoir lu dans la vie de saint Charles Borromée qu'il usait de cette condescendance avec les Suisses en certaines choses dans lesquelles il était d'ailleurs fort sévère, et d'avoir appris que le bienheureux Ignace de Loyola, ayant été invité à jouer, accepta l'invitation. Sainte Élisabeth de Hongrie jouait et se trouvait dans les réunions de la cour sans y rien perdre de sa dévotion. Les rochers qui sont autour du lac de Riette croissent à proportion qu'ils sont battus des vagues; ainsi la piété était si enracinée dans l'âme de cette sainte, qu'elle prenait de nouveaux accroissements au milieu des pompes et des vanités auxquelles son état l'exposait. Les grands feux s'enflamment au

vent; mais les petits s'y éteignent si on ne les couvre pas bien.

CHAPITRE XXXV

De la fidélité dans les grandes et dans les petites choses.

L'époux sacré dit, dans le Cantique des cantiques, que son épouse lui a ravi son cœur par un de ses yeux et par un de ses cheveux. Or il est certain que l'œil est la partie du corps la plus admirable, soit par sa conformation, soit par son activité, tandis que les cheveux en sont la partie la plus vile. Dieu a voulu nous apprendre par là que nos actions les plus petites et les plus ordinaires ne lui sont pas moins agréables que les plus grandes et les plus éclatantes, et que, pour lui plaire, il faut également le servir dans les unes et dans les autres, puisque nous pouvons également mériter son amour partout.

Préparez-vous donc à souffrir de grandes croix pour Notre-Seigneur, et même le martyre; offrez-lui tout ce qui vous est le plus