Images de page
PDF
ePub

LE PROTESTANTISME A SOLOMIAC

ET AUX ENVIRONS (1).

La vicomté de Fezensaguet, dont Mauvezin (Gers) était le chef-lieu, faisait, à l'époque où nous devons reprendre la monographie de Solomiac, partie du domaine de la maison d'Albret. Il avait pour souveraine, au plus fort de la guerre religieuse du xvre siècle, Jeanne, reine de Navarre, l'ardente huguenote, qui déploya tant d'activité et d'énergie pour propager les nouvelles doctrines et qui n'épargna aucune violence pour substituer le calvinisme à la foi et au culte catholiques dans tous les lieux de sa dépendance. C'est ce qui explique les rapides progrès que fit l'hérésie dans ces contrées et la durée exceptionnelle à Mauvezin de l'établissement qu'elle y forma. Forts de l'appui de Jeanne et des encouragements qu'elle leur donnait, les prédicants y abondèrent; et de Mauvezin, un centre d'action d'où ils pouvaient rayonner au loin, ils se répandaient partout dans les lieux environnants et firent une multitude d'adeptes, particulièrement dans la haute classe et dans la classe bourgeoise. Dans le chef-lieu ils se rendirent complètement maîtres. Leurs partisans devinrent si nombreux et si puissants qu'ils dominèrent absolument dans la ville. Les catholiques demeurés fidèles furent opprimés; ils virent leur église détruite, les ordres religieux poursuivis et expulsés, leurs maisons démolies, et les temples des sectaires construits

(1) Chapitre v de la Monographie de Solomiac (Voyez Fondation de Solomiac, dans la Revue de l'an dernier, t. xx, p. 101, 175). Ce travail, trop longtemps interrompu par suite de circonstances accidentelles, ne tardera pas à s'achever dans les pages de la Revue de Gascogne. L. C.

Tome XXI.

[blocks in formation]

avec les matériaux provenant des démolitions (1). Les lieux voisins, Touget, Monfort, Solomiac, eurent le même sort; sans compter les ravages, les dévastations, les démolitions d'églises qui marquèrent le passage des huguenots dans presque toutes les paroisses rurales.

En ce qui concerne Solomiac, objet spécial de nos études, il est certain que les prédicants hérétiques s'y firent entendre et que ce ne fut pas sans succès. Une partie considérable de la population se laissa séduire et abandonna la religion de ses pères pour suivre la nouveauté. Les documents écrits qui nous restent de cette époque ne disent pas dans quelle proportion; mais il paraît qu'elle fut considérable. Une tradition qui se perd et dont nous avons recueilli les derniers échos disait qu'il fut un temps où les protestants étaient presque en nombre égal avec les catholiques et que le cimetière avait été partagé entre les deux communions (2). Ce qui est certain, c'est que la population calviniste ne tarda pas à décroître, si bien qu'insensiblement elle a fini par disparaître complètement. Depuis soixante-dix ou quatre-vingts ans il n'y a plus de protestants à Solomiac. M. Dalbenque, du Camusat, et Mlle Gariepuy, d'en Donnet, ont été les derniers représentants de la secte. Ils étaient l'un et l'autre célibataires et sont morts au commencement de ce siècle, après avoir cons

(1) Dans le procès-verbal de démolition de l'ancien temple protestant, bâti en 1592, démolition qui fut faite en vertu d'un arrêt du Parlement de Toulouse, le 9 septembre 1684 et jours suivants, sous les yeux et par les soins d'Irénée Daspe, juge-mage au présidial d'Auch, commissaire député, on lit ce qui suit : « Et en démolissant les arceaux, avons vérifié que la plus grande partie de la pierre a servi à la construction de quelque église. Ce qui paraît par la sculpture et par les figures qui y sont représentées, comme des anges et autres ouvrages. Lesquelles figures étaient cachées dans les arceaux où nous avons trouvé l'image de la Vierge à demi corps, autrement buste, travaillée sur de la pierre. Un autre buste, aussi de pierre, représentant saint Dominique, mutilé en plusieurs endroits du visage quasi défiguré, qui était encore caché du côté de la sculpture. Lequel (sic) image de la Vierge avec l'autre buste nous avons fait transporter dans l'église des Révérends Pères jacobins. > (Extrait de la relation du commissaire chargé de faire exécuter l'arrêt du Parlement)

(2) Où était ce cimetière? Avant la destruction de l'église, il est hors de doute qu'il était attenant à l'église même. Dans les siècles chrétiens, tout le monde le sait,

titué pour leurs héritiers des serviteurs catholiques qui cultivaient leurs propriétés à titre de colons partiaires.

L'année 1589 fut particulièrement remarquable par les excès de tout genre auxquels se livrèrent les sectaires et par leurs continuelles excursions sous la conduite du capitaine Sus, qui commandait à Mauvezin. Dans les lieux environnants, ils semaient partout la dévastation, pillaient les campagnes, enlevaient les bestiaux, incendiaient les habitations après avoir dévalisé les habitants et s'acharnaient surtout aux églises, dont un grand nombre furent alors brûlées et démolies jusqu'aux fondements. Nous avons la preuve de leurs funestes exploits dans les délibérations de la communauté d'Aubiet à cette époque, dont nous avons ici même donné une analyse assez développée à l'occasion de nos recherches sur cette localité. (Revue de Gascogne de 1866, t. vii.)

Solomiac ne fut pas oublié; son tour arriva le 3 septembre de cette année 1589. Les protestants s'en emparèrent par surprise. On dit même que la trahison ne fut pas étrangère à ce coup de main, qu'ils avaient des intelligences dans la place

on ne séparait pas l'un de l'autre. D'ailleurs cela résulte évidemment de la relation des experts nommés pour en vérifier les ruines, dont nous parlerons plus loin. Il y est dit expressément : Ne comprenant en ce les frais que conviendra faire à tirer la ruyne qui est tombée dans ladite esglise et cimetière d'icelle, pour raison de laquelle dans iceluy ne se peult estre ensevely aulcun trespassé. » Cet état de choses se prolongeant indéfiniment par suite du désaccord qui existait au sujet de la réparation de l'église entre l'abbé de Gimont et la communauté de Solomiac, on fut obligé de prendre un autre lieu pour les inhumations. C'est alors que le cimetière dut être transporté au chastel, sur le midi de cette maison et au couchant de Solomiac. On y construisit une chapelle, sous le vocable de saint Laurent, dont ce quartier finit par prendre le nom qu'il conserve aujourd'hui. Les murailles en ruine de cette chapelle subsistaient encore au commencement de ce siècle, et il y a dans l'église de Solomiac un tableau de saint Laurent qui lui a appartenu. Nous nous souvenons d'avoir vu disperser les dernières pierres provenant de ses ruines pour servir à paver les chemins. C'est dans ce cimetière de saint Laurent que dut être assigné à chaque communion le local respectif où elle devait ensevelir ses morts.

Dans le cours du XVIIIe siècle, ce cimetière avait été abandonné à cause de son éloignement de l'église et du mauvais état des chemins y conduisant, qui le rendait inabordable en hiver. On transforma en cimetière la partie de l'église restée découverte, et c'est là que se sont faites depuis les inhumations jusqu'à l'inauguration du cimetière actuel, il y a environ soixante ans.

avec les religionnaires qui s'y trouvaient et qui la leur livrèrent. De ce fait nous n'avons pas trouvé de preuve écrite. Nous n'avons pour garant que la tradition locale, qui doit bien avoir quelque fondement.

Maîtres de la ville, les protestants n'eurent rien de plus pressé que d'y mettre le feu; la partie sud, qu'ils rencontraient à leur arrivée de Mauvezin et par laquelle ils étaient entrés, eut particulièrement à souffrir et fut dévorée par l'incendie. C'est là que se trouvait l'église; c'est sur elle que s'abattit surtout leur fureur. Ils ne l'abandonnèrent qu'après l'avoir démolie de fond en comble, ne laissant debout qu'un pan de mur à la dernière chapelle de l'angle nord-ouest, près de la porte d'entrée, et les piliers de buttée du sanctuaire, au nombre de trois, dont un même était fort endommagé et devait être reconstruit. C'est ce qui est constaté d'une manière bien authentique dans l'acte de vérification des ruines faite par les experts nommés d'office, d'autorité du Parlement de Toulouse, sur requête des consuls et de la communauté, de Solomiac, à l'effet de contraindre l'abbé de Gimont, comme décimateur de la paroisse, à pourvoir au rétablissement de l'église en son état primitif. Cette pièce, qu'accompagnent un devis des réparations à faire et l'estimation des dépenses qu'elles doivent occasionner, est importante à plus d'un titre, et c'est pourquoi nous croyons qu'une simple mention ne suffit pas et qu'il est bon de la reproduire intégralement dans sa forme et teneur. Nous la donnerons en appendice à la fin de ce chapitre; nous y joindrons un acte de syndicat des consuls et habitants de Maubec, qui nous fera connaître également la destruction de l'église de cette paroisse par les religionnaires.

Ces nouveaux vandales, après s'être emparés de Solomiac, ne se pressèrent pas de le quitter. Ils en firent pour cette contrée leur centre d'opération et de pillage, d'où ils se répandaient au loin dans les paroisses circonvoisines, tant en deçà qu'au-delà de la Gimone. Maubec, petit village fortifié sur

une éminence, vis-à-vis et à une faible distance de Solomiac, dont il est séparé par la Gimone, qui sert de limite entre les deux paroisses, devait avoir naturellement leur première visite. L'attaque néanmoins en fut différée jusqu'au mois de février 1590. Durant les cinq mois qui s'écoulèrent jusqu'à ce moment, on fut, aux environs comme au-dedans, dans de continuelles alarmes. Qu'on en juge par l'extrait qu'on va lire, emprunté à une pièce originale de l'époque. C'est un acte attestatoire délivré par les consuls de Maubec à un certain Sanson Viviès, mandataire de Bernard Dorleans, fermier du domaine du roi de Navarre en Maubec et Gariès, à l'effet d'obtenir, à raison du dommage qui lui avait été porté du fait de la garnison, décharge de la rente qu'il devait à son maître.

Ces consuls, «juges ez causes politiques, criminelles et partie civile pour le Roy notre sire, » étaient alors Pierre Gause, Jehan Bacalerie et Guilhem Gibert. Sanson Viviès se présente devant eux et, au nom de Bernard Dorleans, il les prie de lui délivrer un acte attestatoire, en forme de notoriété, qu'il dit lui être nécessaire pour constater

<< Comme la ville de Solomiac fut surprinse par le sr de Sus et ses adhérants le 3 de septembre dernier (1589) tenant le party de ceulx de la religion. Et le dit Maubec estant fort proche et tenant le parti catholique, occasion de quoy ceulx de la garnison de Solomiac auroient fait des embuches dans le moulin qu'est sur la riviere de Gimone, appartenant à Sa Majesté et dépendant du dit afferme, prins et ravagé plusieurs choses en icelny, mesme trois asnes, avec leurs charges de farine que n'auroit esté possible de recouvrer, quelles diligences que le dit rentier, principaux et Messieurs, en ayent fait faire, tant en l'endroit du dit s de Sus que de Panissault commandant au dit Solomiac. Et non contents de ce, les gens de guerre de l'ung et l'autre party auroient rompu le pont et passage du dit moulin, tellement que l'on n'y peult passer ny repasser pour aller faire mouldre au dit moulin, et auquel aussy on ne ose aller pour la continuelle frequentation que ceux de Solomiac y font et ez chemins et adveneues d'iceluy. Et mesme que le revenu du dit moulin consiste dans le charroy que le dit meusnier est accoustumé faire, d'autant que

« PrécédentContinuer »