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envoyées à Montech pour y prendre leurs quartiers d'hiver, jusqu'à la reprise des hostilités. Elles recommencèrent au printemps de l'année 1622 par le siège de Tonneins, où le duc d'Elbeuf, le maréchal de Thémines et surtout le brave Vignolles déployèrent tant de talent et de courage. La ville fut emportée d'assaut, grâce à une action d'éclat de Lataulade, si toutefois il faut en croire Laborde-Péboué. En voici le récit, tel qu'il lui fut fait par un valet du noble baron, dont il reçut les confidences sur la place publique de Tartas. «Il faut remarquer que ledit sieur fit paroistre son courage à Tonneins, où il fit de grands combats, et entre autres un jour, le maréchal de La Force, qui tenoit le parti de la religion, y bint avec 2,000 hommes pour secourir la bille. M. de Lataulade fit commandement de mener les enfants perdus du régiment de Picardie; on lui donna quarante mousquetiers et trois regiments d'hommes tous choisis. Et en faisant son attaque dans un grand chemin, où les ennemis s'estoient retirés, estant soutenu de quatre cents hommes, il emporta le fort de ces ennemis, mais on lui tua vingt-deux sourdats et deux sergents, et ledit sieur Lataulade y fut blessé de trois mousquetades, l'une qui lui perça toute la jambe et les deux autres fort legerement blessé, et ladite ville de Tonneins se rendit le même jour. Ledit sieur de Lataulade se fit porter à Navarrenx dans un brancard, où il demeura deux mois dans le lit et fut réduit de porter les potences l'espace de deux ans entiers. »

Voilà certes qui est merveilleux; Lataulade décide à lui seul de la prise de Tonneins. Nous soupçonnons cependant la sincérité du valet; son récit a un goût de terroir qui dénote le naturel un peu vantard du gascon. Faire valoir son maître n'est-ce pas se grandir soi-même aux yeux surtout d'un pauvre bonhomme campagnard? Vignolles, qui a décrit si minutieusement le siège de Tonneins et cité tous les gentilshommes qui s'y étaient distingués, ne fait point mention de notre héros. Est-ce un oubli? Mais non, Lataulade était son compatriote.

Quoi qu'il en soit, le jeune capitaine n'y épargna point sa personne, puisqu'il y fut si cruellement blessé. Il se retira donc à Navarrenx, où son père, Bertrand de Lataulade (1), exerçait la charge de lieutenant du gouverneur.

Cette citadelle du Béarn avait alors pour gouverneur un brave et vieux capitaine protestant, d'une fidélité à toute épreuve, malgré sa religion; son nom mérite d'être cité : Jean Bertrand de Gachissans, seigneur de Salles, Gabaston, Bassillon (2), etc., etc. Lorsque Louis XIII entra à Navarrenx en 1620, Jean de Salles avait quatre-vingts ans et exerçait les fonctions de gouverneur depuis quarante ans. Il supplia le roi de lui permettre de prendre le repos auquel son grand âge et ses longs services lui donnaient droit. Louis XIII le nomma maréchal de camp, le gratifia d'une pension de 60,000 livres, et mit à sa place le baron de Poyanne, fils du gouverneur de Dax, dont nous avons retracé la vie. Nous raconterons dans la suite de notre histoire des barons de Poyanne les luttes que le nouveau gouverneur eut à soutenir contre les intrigues du duc de La Force et les menées des protestants; nous dirons seulement ici qu'il fut courageusement secondé par le père de notre héros, alors son lieutenant, et notamment dans l'affaire de la conspiration de Navarrenx et de la prise de Montgiscard; on peut en voir les détails dans le troisième volume de l'Histoire des troubles du Béarn de Poeydavant.

En arrivant à Navarrenx, Charles de Lataulade succéda à son père dans la charge de lieutenant du gouverneur; je ne puis dire si ce fut par suite de mort ou de démission, mais à partir de 1622 c'est lui qui figure sur les rôles. Les confidences du valet ne nous apprennent rien de particulier sur la vie de son maître; il la résume en ces termes pompeux : « Il s'est

(1) Bertrand de Lataulade était fils d'Etienne, seigneur de La Taulade, près Saint-Sever, et de Jeanne de Montaigne; il avait épousé en 1590 Antoinette d'Andouins, fille de Jean d'Andouins, seigneur de Doazan (Archives de Pau, E 2,008.)

(2) Il était fils de Arnaud de Gachissans, seigneur de Salles, Bassillon, gouverneur de Navarrenx, etc., etc., et de Marguerite de Sand, et petit-fils de Bertrand de Gachissanx, aussi gouverneur de Navarrenx (Archives de Pau.)

trubé pendant la guerre en France contre ceux de la religion en 52 sieges (!!) : il a esté en Italie, en Allemagne, en France, avec les armées, et aujourd'hui qu'il se porte fort bien et en bonne santé et en grand repos d'esprit, il a 60 ans. » Le temps dut manquer à ce dévoué serviteur pour raconter au gentilhomme campagnard les détails de la vie du noble baron; les archives de Poyanne nous en ont fourni quelques-uns. Nous y avons trouvé entre autres une série de lettres pleines d'intérêt, écrites par notre gentilhomme pendant un voyage qu'il fit à Paris en l'année 1646. Les affaires de la guerre et la chronique de la cour et de la ville défraient la plus grande partie de ces lettres. Elles avaient encore un autre objet, dont le louangeur valet ne dut point parler à Laborde; n'étant pas tenu à la même discrétion, nous le dirons tout à l'heure.

Auparavant nous avons à faire mention de quelques témoignages de la faveur royale, qui prouvent évidemment la grande réputation de Lataulade. En 1627, le Roi, « pour de bonnes considérations,» lui permet de transporter de Chalosse en Béarn les fruits de ses terres, et charge Poyanne de veiller à la sécurité des convois et d'en faciliter la vente.-En 1636 il est nommé gouverneur de Chauny dans l'Isle-de-France, et Louis XIII écrit à Poyanne :

Mons de Poyanne, ayant esté necessaire pour le bien de mon service d'envoyer en ma ville de Chaulny quelqu'un de la fidelité et courage duquel je fusse assuré, j'ay fait choix du sieur de La Taulade pour y commander et la deffendre, où il est allé à cette fin. Ce pendant j'ay commandé de pourvoir aux affaires pour lesquelles il estoit icy et faire payer vos advances, etc., etc.

Lataulade était alors à la cour, où Poyanne l'avait envoyé pour traiter avec Messieurs des finances des sommes nécessaires à l'entretien des fortifications et de la garnison de Na

varrenx.

Il resta peu de temps à Chauny; au commencement de l'an

née 1638, il revint auprès de Poyanne pour remplir ses fonctions de lieutenant, et nous allons voir comme il prenait à cœur le parti de son chef. Poyanne cumulait alors les charges de lieutenant général du Roi en Béarn, de gouverneur de Dax et de sénéchal des Lannes. Ces deux dernières charges l'obligeaient à s'absenter souvent et préjudiciaient à la marche des affaires dans la province. Pour remédier à cet inconvénient, Louis XIII donna charge au comte de Gramont, gouverneur de Bayonne, de-remplacer Poyanne pendant ses absences et lui expédia pour cet effet des lettres-patentes de gouverneur du Béarn. C'était établir deux puissances à peu près égales dans une même province et ouvrir le champ aux conflits; c'est ce qui arriva. Nous en réservons le détail pour notre histoire des Poyanne. Lataulade entra dans la querelle avec une ardeur qui lui valut toute la haine de Gramont, lequel s'avoua son ennemi déclaré; il ne fut pas longtemps à le lui prouver. Un jour que Poyanne était allé à Dax pour les affaires de son gouvernement, le comte de Gramont envoya ses gardes à Navarrenx pour visiter la place; Lataulade, qui commandait en l'absence de Poyanne, leur fit fermer les portes avec menace de tirer sur eux s'ils ne se retiraient. Outré de cette injure, Gramont aposte ses gardes, surprend Lataulade et le jette en prison. Ce fut un éclat; il fallut pour l'apaiser l'intervention du roi et du cardinal de Richelieu. Voici la lettre que Loménie de Brienne, secrétaire d'Etat, en écrivit à Poyanne :

Mons', au moment que j'ay seu que M. de Gramont avoit fait arrester M. de Lataulade, je suis allé trouver M. le cardinal pour l'en informer et ay fait prandre la resolution de mander à M. de Gramont de l'eslargir et ordonner au procureur général d'informer contre le sieur de Lataulade sur les advis qui luy seroient donnés de sa mauvaise conduite, clore et. envoyer au Roy la prosedure et de luj enjoindre de s'en venir à la suitte en cour pour y repondre de ses actions. Il a fallu arrester toutes ces choses en diligence pour le tirer en premier lieu des mains de M. de Gramont qui se déclare son ennemy; ouvrir le moyen à ses explications par la prosedure et faire

cognoistre au monde qu'on le tient peu criminel puisque on l'eslargit sans qu'il soit deschargé et qu'à luy mesme on luy donne la garde de sa conduite. Je doibs aussi vous dire que le cardinal n'a pas aprouvé la conduite de M. de Gramont, qu'il vous aime et qu'il vous estime, l'ayant déclaré en parlant au comte de Guiche, etc., etc., 4 decembre 1638. LOMÉNIE.

Le cardinal avait pris couleur pour Lataulade et désapprouvé la conduite du comte de Gramont. Louis XIII écrivit au gouverneur de Bayonne d'élargir immédiatement son prisonnier, lequel partit pour la Cour afin de présenter ses excuses. Il était justifié avant d'y arriver; le 24 février suivant (1640) le roi écrivait à Poyanne :

J'ay trouvé ledit sieur de Lataulade aussi homme de bien et fidèle serviteur que je l'avais toujours creu, et comme je me le devois promettre d'un gentilhomme nourry mon page et qui en diverses occasions m'avoit donné des preuves de son courage et de sa fidelité; et aussi je le renvoie à sa charge et fais sçavoir au comte de Gramont ce que j'ay veu des informations et le jugement que j'en fais, dont aussi tost j'ay creu vous deveoir donner advis, non tant pour vous dire que vous ayez à l'admettre en sa fonction et à le faire cognoistre dans Navarreinx, comme pour vous faire entendre la satisfaction que j'ay de ne m'estre point trompé en la bonne opinion que j'avois de luy.

Arrivons maintenant aux lettres qui sont le principal objet de ce travail; elles furent motivées par une aventure que notre rôle d'historien nous oblige à raconter, bien qu'elle ne soit pas à l'honneur du noble baron. Errare humanum est! Voici le fait en 1645, il avait été de nouveau envoyé à Paris par Poyanne pour réclamer au surintendant des finances le payement en retard des fonds ordonnés par le roi, pour la réparation des fortifications de Navarrenx et l'entretien de la garnison. Lataulade sollicite avec ardeur et obtient le payement des fonds de l'année 1644. C'était une victoire, vu l'état des finances et les grandes dépenses de la guerre. Le trésorier de l'épargne Duplessis écrivit à Poyanne :

Quelques bons offices que vos amis ayent pu vous rendre pour

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