Fr 33.1

Harvard College Library

SEP 29 1013
Gift of
Prof. A. C. Goolidge
J. C. Lowell fund

REVUE

DE

GASCOGNE.

CHARLES DE LATAULADE

BARON DE LAAS.

« Or veux vous parler du noble M. de Lataulade, seigneur de la jurisdiction de Marquebielle; mais avant de passer outre je veux vous dire l'estat dudit M. de Lataulade. Il vous faut croire que c'estoit un fort grand gentilhomme et de fort noble extraction. Sa renomée estoit si grande qu'il estoit cognu par toute la France, d'autant qu'il a demeuré à la cour du Roy de France l'espace de 27 ans. »>

Laborde-Péboué (1) continue sur ce ton lyrique l'histoire de ce gentilhomme, qu'il rencontra le 15 juin 1660, se rendant au pèlerinage de Maylis, dans un lourd carrosse traîné par «un bon et gros pair de beufs.» «Il est devenu si gros et si gras, ajoute le naïf chroniqueur, qu'il ne se peut pas truber en ce pays un cheval capable de le pourter, tant il est pesant, et surtout il a le ventre fort grand; on m'a asseuré qu'il pèse 405 quintaux (?) (2); mais avec tout cela il est homme de

(1) Relation véritable des choses les plus mémorables passées en la BasseGuyenne depuis l'an 1638, par Henry de Laborde-Péboué de Doazit, édition baron de Cauna.

(2) Il faut lire peut-être 4 ou 5 quintaux.

grand mérite. Il a deux de ses fils auprès du Roy, tellement qu'il est grand seigneur.

C'était en effet un grand seigneur que ce gros baron qui, en plein xvII siècle, voyageait encore à la mode mérovingienne. Il avait des châteaux à tourelles et à créneaux en Chalosse et en Béarn, rendait haute, moyenne et basse justice dans sept paroisses (1), nommait les bayles et les consuls, était patron de quatre cures, avait droit de banc, d'eau bénite et d'encens dans son église, laquelle, bien qu'elle fût la maison de Dieu, reconnaissait le noble baron pour seigneur et portait sur sa robe de pierre les insignes de la vassalité, une large litre chargée de distance en distance d'un écusson de gueules à trois poires d'argent. Son embonpoint démesuré devait même augmenter sa considération dans le menu peuple, naturellement porté à admirer tout ce qui est extraordinaire. C'était enfin un seigneur si grand, si puissant que lorsqu'il alla voir Louis XIV à Mont-de-Marsan, en 1660, « il entroit dans la chambre où le Roy estoit lougé à toute heure que bon lui sembloit. >>

A l'époque où Laborde-Péboué fit sa rencontre, Charles de Lataulade, sans autres infirmités que son obésité et ses soixante ans, s'était retiré de la vie des camps et vivait tranquille dans son château de Lataulade, comblé d'honneurs, de gloire et de mérites. Il pouvait dire, comme Marius, de ses envieux: Invident honori meo, ergo invideant labori. Il avait été initié de bonne heure à ce rude labeur de la vie du soldat. Au sortir des pages du roi, il fut pourvu d'une lieutenance dans ce fameux régiment de Picardie, le premier de France, formé de débris de l'ancien régiment des gardes, où tant de gascons s'étaient distingués avant lui. Il fut promu peu de temps après au grade de capitaine et servit en cette qualité au siège de Montauban, où son régiment fit merveille (1621).

Après la levée du siège, les compagnies de Picardie furent

(1) Lataulade, Laas, Issor, Ossages, Agès, Urgons et Marquebielle,