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CONCLUSION

Si nous pouvions ne pas tenir compte des objections. pratiques, qui s'opposeraient aujourd'hui à nos desiderata, nous les formulerions ainsi :

1o Notre législation pénale devrait admettre, comme le font plusieurs législations étrangères, une classification bipartite et rationnelle des infractions. On pourrait appeler délits les infractions qui violent un droit et causent un préjudice, et contraventions celles qui ne causent aucun préjudice. Il serait non moins rationnel d'ajouter que les contraventions cesseront d'être punissables, lorsque l'observation de la loi qui les punit forcerait l'agent à violer un droit ou à s'abstenir d'un devoir.

2o Dans les cas où un attentat à la propriété est nécessaire pour sauver la vie ou l'intégrité corporelle du nécessité, nous voudrions qu'on reconnût à ce dernier le droit de prendre l'objet qui lui est indispensable, qu'on reconnût, en un mot, le droit de se faire justice à

soi-même, lorsque la protection que nous doit l'Etat vient à nous faire défaut.

Il va sans dire qu'il faudrait, pour que cela fût possible, un texte reconnaissant dans le devoir d'assistance une obligation stricte, une dette juridique, lorsqu'un misérable se trouve sur le point de mourir ou de souffrir une atteinte à son intégrité corporelle, faute d'un objet qu'un autre homme est seul à pouvoir lui procurer.

Ainsi, dans les deux cas où l'acte nécessaire constitue l'exercice d'un droit, il serait pleinement justifié. Il serait justifié sans mesures d'exception, par la simple application des principes généraux, qui serviraient de base à notre législation pénale.

30 Pour tous les cas de nécessité, autres que ceux-là, un texte nouveau donnerait au juge le pouvoir de punir, d'atténuer la peine ou de ne pas punir, suivant le degré d'indulgence et d'excuse que chaque délit lui paraîtrait mériter.

Mais il serait aussi présomptueux qu'imprudent de demander une refonte générale du Code pénal à propos d'une hypothèse aussi rare que l'état de nécessité. En tous cas,ce ne serait pas le moyen d'aboutir rapidement.

De plus, il faut bien compter avec la « nécessité parlementaire », dont nous parlions plus haut. Nous n'éprouvons aucune répugnance à compter avec elle, parce qu'à une époque où les doctrines socialistes font de si rapides progrès, les craintes des « législateurs »> ne nous semblent pas dénuées de tout fondement (1).

(1) Voir supra.

Ce qu'il faut, ce n'est pas une importante réforme, mais seulement la modification d'un article ou deux du Code pénal. Un texte s'appliquant à l'état de nécessité et à rien autre ; un texte assez large pour que le juge conserve un grand pouvoir d'appréciation; un texte définissant assez bien l'état de nécessité pour qu'on n'ait pas à craindre que le juge abuse trop gravement de ce pouvoir d'appréciation.

La formule recommandée par la Société générale des Prisons répond presque à tous ces besoins et serait bonne en y changeant peu de chose.

La condition exigée, que le mal causé soit moindre que le mal évité, est une petite restriction des pouvoirs du juge, incapable de le gêner beaucoup et suffisante pour tranquilliser tout le monde. Demander que le mal dont l'agent est menacé soit présent, imminent, injuste, impossible à éviter autrement (1), ce n'est même pas restreindre la faculté d'appréciation du juge, mais seulement énoncer des éléments essentiels de l'état de nécessité.

Mais il n'est pas bon, croyons-nous, que le texte futur forme un paragraphe de l'article 64. Pourquoi faire de la nécessité un fait justificatif? Pourquoi dire il n'y a ni crime ni délit ?

Il n'y a ni crime ni délit dans l'acte du marchand d'oies de Berlin qui abandonne sa carriole sur la voie publique pour poursuivre son voleur; il n'y a ni crime

(1) On pourrait supprimer le mot « présent qui fait double emploi avec « imminent ».

ni délit dans la soustraction d'aliments commise par la femme de Château-Thierry; mais le meurtre du mousse de la Mignonnette est un crime; les coups donnés dans la foule par l'individu qui fuit un incendie constituent un délit.

Tous les actes nécessaires n'étant pas justifiables, il nous semble dangereux d'employer cette formule générale « il n'y a ni crime ni délit ».

Le peuple, en effet, a une tendance très marquée à considérer la loi humaine comme l'expression de la justice absolue. Si la loi dit « je justifie tel acte », le peuple ne pense pas seulement que tel acte est permis par la loi, mais une pente insensible le pousse à penser: <«tel acte est permis, tel acte est juste ». En justifiant d'une façon générale l'acte nécessaire, on risque donc de fausser la conscience populaire et d'affaiblir le respect des droits les plus légitimes.

Ce danger est particulièrement grave avec un texte qui fait de l'importance relative des biens en conflit une condition de la justification de l'acte nécessaire. Si on laisse entendre qu'il est permis de sacrifier le bien d'autrui au sien propre, lorsque celui-ci est plus important que celui-là, n'incline-t-on pas les esprits à croire que la valeur matérielle, pécuniaire d'un droit est la mesure de son inviolabilité? Ne pousse-t-on pas à faire considérer l'intérêt (et l'intérêt individuel, quoi qu'on ait dit (1), bien plutôt que l'intérêt social) comme la loi des actions humaines?

(1) Cf. Marchand, op. cit., qui assimile le délit nécessaire à l'expropriation pour cause d'utilité publique.

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