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parle), d'attirer la compassion de ceux qui les haïs»saient. » Dodwel osera-t-il rejeter ce récit, et croira-t-il que Corneille Tacite veuille se rendre partial pour nous ? On nous dira peut-être que cette persécution ne s'étendit pas hors les murs de Rome, « parce que l'on ne pouvait » pas, sous la moindre couleur, faire tomber le soupçon >> de cet embrasement sur ceux qui étaient absens de Rome » lorsqu'il arriva. » Mais Dodwel s'imagine sans doute qu'il n'y eut que la seule accusation de ce crime, qui fit que l'on se saisit des chrétiens, ce qui n'est nullement la pensée de Tacite; car lorsque cet historien écrit que « Néron voulant faire cesser le bruit qui le faisait auteur de cet >> incendie, fit prendre adroitement le change aux Romains, et substitua en sa place les chrétiens, qu'il savait être >> odieux au peuple, pour leurs crimes, il nous fait assez >> connaître qu'avant même que le feu eût été mis à Rome, » les chrétiens passaient déjà pour des gens dévoués à la » haine publique. » Et en effet, l'historien ajoute, un peu après, que « si l'on les confondit avec les incendiaires, ce » n'est pas qu'ils fussent convaincus de l'être; mais c'est qu'on les regardait comme des victimes de l'aversion du » genre humain. » Suétone parlant des supplices que Néron avait fait souffrir aux chrétiens, ne dit pas un mot de l'incendie de Rome; il les nomme seulement « un genre » d'hommes qui introduisaient un culte nouveau, plein de superstitions, et qui exerçaient la magie. » Ce que cet auteur rapportant à l'occasion des ordonnances publiées par Néron, nous laisse un fort préjugé pour croire que ce prince furieux fit quelque édit contre les chrétiens, et c'est avec raison qu'il est reconnu par les Pères de l'Eglise, pour l'auteur de la première persécution. « Nous faisons gloire, dit » Tertullien (1), de ce qu'un monstre tel que Néron ait

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(1) In Apol.

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» été le premier à répandre notre sang. Et Sévère Sulpice » écrit, dans son histoire sacrée (1), qu'à la vérité on » commença à se jeter tumultuairement sur les chrétiens, comme sur les auteurs de l'incendie de Rome, mais » qu'on continua ensuite à les poursuivre dans les formes, » par des lois et des édits. » Nous avons aussi le témoignage de Paul Orose (2), qui assure en termes formels que « Néron s'appliquait dans Rome à tourmenter les chrétiens, pendant que par son ordre on les poursuivait dans » les provinces, avec une égale fureur. » Lactance nous insinue la même chose, lorsqu'après avoir rapporté que saint Pierre avait retiré de l'idolâtrie plusieurs Romains, il ajoute (3): " ce que Néron ayant appris, et que non-seulement à Rome, mais aussi dans toutes les provinces on abandon» nait en foule le culte des idoles pour embrasser la nou» velle religion, il crut qu'il ne devait point perdre de temps, et qu'il pourrait détruire ce céleste édifice, et ruiner en»tièrement la piété qui le soutenait; il fut donc le pre» mier qui persécuta les chrétiens, et il fit attacher à une » croix saint Pierre, leur chef.... mais ce ne fut pas im» punément; car Dieu regardant l'oppression de son peu» ple.... » D'où l'on peut conclure en même temps, que le motif qui engagea Néron à se déclarer contre les chrétiens, fut l'intérêt de ses dieux, qu'il voyait abandonnés de jour en jour par une multitude infinie de personnes, quoique l'incendie n'ait pas peu contribué à l'y engager encore davantage.

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(1) Lib. 2. (2) Hist. 1. 7, c. 5. (3) De mort. persecut., c. 2. cidessus p. 6.

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2. Persécution sous Domitien.

Après la mort de Néron, l'Eglise respira un peu, et demeura tranquille durant les troubles qui agitèrent l'empire; mais Domitien étant monté sur le trône, la persécution reprit de nouvelles forces. « Car cet empereur, dit Eusèbe (1), » fit gloire d'être le successeur de Néron, dans son impiété et dans la guerre sacrilége que ce détestable prince avait >> faite à Dieu. » Dodwel ne peut se défendre d'admettre cette persécution, mais il l'abrège le plus qu'il peut. Selon lui, à peine a-t-elle duré un an; il veut de plus qu'elle ait été fort modérée, qu'on n'y ait point répandu de sang, qu'on n'y ait vu ni supplices, ni tortures. Il prétend prouver son peu de durée, par un argument invincible, tiré de Brutius, rapporté par Eusèbe (2), qui raconte que Domitille, nièce du consul Flavius Clémens, fut envoyée en exil avec d'autres chrétiens, l'année du consulat de son oncle, et la quinzième du règne de Domitien. Or, ce prince entra au mois de septembre dans la quinzième année de son empire et de sa charge de tribun, et au même mois de l'année suivante il fut tué, après avoir fait cesser la persécution, ainsi que l'assure Tertullien: donc, selon Dodwel, on ne peut étendre la persécution au-delà d'une année. Voici les paroles de ce Père, dans son apologétique. « Domitien, qui avait une portion de l'âme de Néron, » avait voulu d'abord faire quelques essais de cruauté » mais il ne continua pas, et ayant rappelé ceux qu'il avait » exilés.... » Dodwel conclut de ce passage, que Domitien eut à la vérité quelque dessein de former une persécution, mais qu'il ne fit que l'ébaucher; qu'il voulut être cruel, mais qu'il ne le fut pas en effet; qu'il se contenta de relé

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(1) Hist. lib. 1, c. 17. (2) Brutius apud Eus., lib. 3, c. 18.

guer ceux qui confessèrent Jésus-Christ, sans répandre leur sang ni leur ôter la vie; et si l'on en veut croire cet apologiste des tyrans, les monumens de l'Eglise les plus certains ne peuvent nous fournir, durant ce petit intervalle, que des noms de chrétiens exilés.

Mais toute l'induction qu'on peut tirer de cet endroit de Brutius, dont Dodwel se sert pour prouver le peu de durée de cette persécution, ne conclut autre chose, sinon que la tempête excitée par Domitien contre l'Eglise, l'ébranla avec plus de violence, la quinzième année de cet empereur, mais qu'elle avait déjà commencé à l'agiter, plusieurs années auparavant. Et Eusèbe lui-même, qui sans doute avait lu Brutius (car nous devons à Eusèbe tout ce qui nous reste de cet auteur); Eusèbe, dis-je, en met le commencement deux ans avant l'exil de Domitille, et il est suivi en cela par l'auteur de la chronique pascale. Le savant Père Pagi, marchant sur les traces de ces deux anciens historiens, le fixe en l'année 93, quoique le cardinal Baronius le fasse remonter deux ans plus haut. Saint Jérôme n'est pas moins contraire à l'opinion de Dodwel, puisqu'il attache le martyre de saint Jean à la quatorzième année de Domitien. Et certes il y avait déjà longtemps que ce prince impie voulait passer pour Dieu et se faisait rendre les honneurs divins, ainsi que nous l'apprenon-seulement d'Eusèbe et des autres auteurs chrétiens, mais des païens mêmes. Enfin les Actes de saint Ignace, martyr, écrits par un auteur contemporain et reconnu par Dodwel, prouvent invinciblement que cette persécution a été beaucoup plus longue qu'on ne prétend : ces Actes portent qu'Ignace soutint plusieurs tempêtes que la fureur de Domitien avait excitées contre l'Eglise. Il importe donc peu que les chrétiens exilés par Domitien, aient été rappelés du vivant de cet empereur, comme Tertullien semble l'insinuer, ou du règne de son successeur Nerva、

nons,

Eusèbe attribue ce rétablissement à ce dernier, sans s'arrêter au passage de Tertullien, qu'il ne laisse pas de citer; et il appuie son sentiment sur le témoignage de ceux qui ont écrit l'histoire de ce temps-là. Clément d'Alexandrie dit la même chose (1), et Dion de Xiphilin fait rappeler par Nerva, ceux qui avaient été convaincus d'impiété sous son prédécesseur; c'est ainsi qu'il nomme les chrétiens. Enfin saint Jean ne retourna de son exil à Ephèse, qu'après que Domitien eut été tué, et que le sénat eut cassé tout ce qui avait été fait par cet empereur.

Au reste, le seul exemple de saint Jean montre assez que cette persécution ne demeura pas dans les bornes qu'il plaît à Dodwel de lui prescrire, et qu'elle fut, au contraire, poussée jusqu'à répandre le sang des fidèles; car, quoique la vie de cet apôtre eût été conservée par un miracle, il n'en avait pas été moins condamné à la perdre. L'Apocalypse a consacré la mémoire du martyre de saint Antipas, qui souffrit à Pergame, dans le même temps. Dodwel veut que ce fut par une émotion populaire; mais d'où l'a-t-il appris? Du moins les Actes de ce Martyr portent qu'il fut à la vérité arrêté par un peuple furieux et animé contre les chrétiens, mais ils ajoutent qu'il fut conduit devant le juge. Ce magistrat le menaça de lui faire endurer les supplices prescrits par les lois romaines, s'il n'obéissait aux édits des empereurs, et s'il continuait à mépriser le culte des dieux. Et sur le refus qu'il en fit, il fut traîné devant le temple de Diane, et enfermé dans un taureau d'airain, qu'on avait fait rougir au feu, où il finit sa vie. Tout cela, ce me semble, a fort l'air d'une persécution ouverte. Mais rien n'est plus à notre avantage, que ce que Brutius dit, dans la chronique et dans l'histoire

(1) Lib. de divite salvando.

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