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testables reproches, avec beaucoup de force et une entière évidence, comme on peut le voir par leurs apologies (1), ils ne purent toutefois en effacer entièrement l'idée dans l'esprit du peuple et des magistrats; de sorte qu'on ne manquait jamais d'attribuer aux crimes des chrétiens, les calamités publiques, comme si les dieux irrités par de telles abominations, n'eussent pu s'empêcher d'envoyer leurs fléaux sur un empire au milieu duquel elles se commettaient. « Si le Tibre, dit Tertullien (2), vient à sortir » de son lit; si le Nil ne sort pas du sien; si le ciel re» fuse de la pluie; si la faim ou la peste se font sentir on crie aussitôt : qu'on donne aux bêtes les chrétiens. » Un autre motif de l'effroyable aversion que les Gentils avaient conçue contre les chrétiens, venait de ce que ceuxci improuvaient et traitaient d'impiété les sacrifices que l'on offrait aux dieux tutélaires de l'empire, pour le salut de la patrie, pour la santé du prince et pour le bien de l'état, et de ce qu'ils ne voulaient pas jurer par le génie de la république ou par celui des empereurs. Ajoutez à cela, l'éloignement qu'ils avaient des spectacles, des jeux et des fêtes qu'on célébrait, ou pour rendre grâces aux dieux des victoires obtenues sur les ennemis, ou pour honorer le jour de la naissance des Césars. On ne doit donc pas être surpris de voir des empereurs, d'ailleurs très-religieux et portés naturellement à la douceur et à la clémence, entre prendre de détruire le christianisme, qu'ils regardaient comme une secte de gens qui semblaient n'être pas moins les ennemis de leur personne que de leurs dieux. Il entrait aussi dans cette haine, de la raison d'état; les politiques pouvaient craindre que cette diversité de religions ne fût toute propre à fomenter des divisions, et à faire naître des

(1) De Justin, de Quadrat, d'Athénagore, etc. (2) Apol. c. 40.

guerres civiles et intestines. Enfin, le peuple qui s'imaginait que les chrétiens trouvaient à redire aux largesses que les princes lui faisaient, et qu'ils blàmaient les dissolutions. qui accompagnent d'ordinaire les réjouissances publiques en quoi il ne se trompait pas, le peuple, dis-je, ne pouvait les souffrir, et avait une extrême joie lorsqu'il les voyait conduire à la mort. On peut encore joindre à toutes ces considérations, les inimitiés particulières et l'avarice des juges, qui, sous prétexte de religion et de police, s'emparaient des biens des chrétiens, soit qu'ils les missent à l'épargne du prince, soit qu'ils en profitassent eux-mêmes et qu'ils en grossissent leurs propres revenus. Mais ce qui conciliait et faisait agir tant de différens motifs, était l'envie jalouse des prêtres des idoles. Ces hommes dont le crédit était grand et l'âme fort intéressée, considéraient que le christianisme allait devenir la religion dominante, que leurs dieux commençaient à tomber dans le mépris, que la dévotion du peuple se refroidissait, qu'on n'offrait plus tant de sacrifices, qu'on ne consultait plus si souvent les oracles, et ce qui était une suite de tout cela bien affligeante pour eux, que leurs rétributions diminuaient de jour en jour. Tant de motifs rassemblés n'étaient donc que trop suffisans pour animer les princes, les grands, les magistrats, les ministres de la religon, en un mot, tout le peuple, à la perte des chrétiens. L'exil, les tortures, la mort tout semblait permis en cette conjoncture; on ne faisait plus de distinction, sur-tout dans les grandes persécutions, ni d'âge, ni de sexe, ni de dignité. Hommes et femmes, jeunes et vieux, nobles et roturiers, libres et esclaves, tout était confondu; on était digne du supplice, dès-là qu'on était chrétien. Un mot d'un saint Martyr nous fera aisément comprendre quelle était la disposition des païens envers les adorateurs de Jésus-Christ; c'est du bienheureux évêque Philéas, qui, après avoir fait le dénombrement des

divers instrumens qu'on préparait pour tourmenter plusieurs saints confesseurs, du nombre desquels il était, fait dire au juge qui les avait condamnés, « qu'on ne devait pas >> avoir la moindre considération pour ces scélérats, et >> qu'il fallait agir à leur égard comme s'ils n'étaient plus » des hommes. »

On ne doute point qu'il ne se trouve des personnes qui aient peine à comprendre que l'Eglise, battue de tant de vents contraires, exposée à un air si peu favorable, ait crú en si peu de temps jusqu'à couvrir de son ombre presque toute la terre entière, le troisième siècle de son âge. Car enfin, diront ces personnes, il est hors de toute vraisemblance qu'il se soit trouvé un si grand nombre d'hommes qui aient voulu embrasser une nouvelle religion, étrangère dans l'empire, dans le monde; qui, outre les maximes dures et austères qu'elle prescrit à ses sectateurs, ne leur dissimule point qu'ils ne doivent attendre, en la suivant, que l'exil, la perte de leurs biens, la haine de leurs proches, de leurs amis, de tout le genre humain; que les seuls avantages qu'elle peut leur procurer, sont des tourmens horribles et une mort cruelle. J'avoue que cette manière d'entendre une religion, n'a rien qui ne soit contraire aux règles de la raison et de la politique humaine; mais cependant c'est celle que Jésus-Christ a choisie. C'est la voie dans laquelle il a voulu que ses disciples marchassent, et par laquelle il a marché lui-même pour arriver à la gloire de son Père. C'est la doctrine qu'il enseignait à ses apôtres, « qui, à son exemple, non-seulement ont souf»fert la mort pour la foi et le nom de leur maître, mais qui ont souffert une mort prévue, et qui se sont fait >> suivre par des disciples qu'ils avaient soin de préparer à » la mort, et à une mort cruelle et prochaine (1). » Et si

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(1) Lactan. 1. 5, instit., c. 3.

les Martyrs portent des palmes et des couronnes, ce sont des couronnes et des palmes teintes de leur sang. Ils ont vaincu l'enfer et les tyrans, il est vrai, mais il a fallu qu'ils aient donné leur vie pour acheter cette victoire ; et lorsqu'au milieu des tourmens ils combattaient contre les démons, et contre des hommes pires que les démons mêmes, ils ne demandaient pas à Dieu de vaincre sans combattre, mais de combattre sans être vaincus (1). Certes, on a vu des chrétiens, durant que la persécution et la peste ravageaient de concert quelques provinces d'Afrique, craindre que la peste, en les faisant mourir, ne leur enlevât la couronne du martyre (2). On en a vu d'autres qui, ayant l'honneur d'être clercs, se plaignaient de l'incivilité du proconsul, qui leur préférait des laïques dans le choix qu'il faisait de ceux qu'il voulait envoyer à la mort. En un mot, « on ne se » faisait chrétien que pour être Martyr, et l'on craignait » bien moins la cruauté des juges que leur compassion. >> Tourmentez, frappez, tuez, écrasez-nous, disait Ter» tullien aux magistrats de l'empire ;.... mais sachez qu'à mesure que vous nous moissonnez, nous renaissons en plus grand nombre, sous la faux du moissonneur. C'est " une semence féconde que le sang des chrétiens (3).

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2. Miracles que Dieu opère, à la mort des Martyrs.

Mais comme la nature est trop faible d'elle-même pour pouvoir soutenir avec ces seules forces un combat si inégal, souvent Jésus-Christ, par sa présence, fortifiait ses athlètes, soit par des secours visibles qu'il leur envoyait, soit par un courage surnaturel qu'il leur inspirait, les re

(1) Cypr. de mort. (2) In Actis S. Montani. (3) Tertull. ad Scapul. Id. Apol., c. 5.

vêtant de sa force, qui les rendait quelquefois insensibles à la douleur, ou qui ne leur en laissait tout au plus qu'un léger sentiment. Saint Etienne vit les cieux ouverts, et Jésus à la droite de la toute-puissance de Dieu : le ciel fit entendre une voix à saint Polycarpe, pour le consoler; les Martyrs de Lyon exhalaient de leurs plaies une odeur toute céleste outre ces signes miraculeux, les fidèles recevaient de la part de Dieu, des avertissemens qui leur faisaient pressentir une persécution avant qu'elle arrivât, afin qu'ils se préparassent au combat. Mais ils s'y sentaient encore excités par les paroles et par les exemples de leurs évêques, et surtout par l'espérance certaine de passer immédiatement du martyre à la gloire. Ils savaient que c'est-là un privilége accordé à ceux qui sont baptisés de ce baptême sanglant. Car, comme dit saint Cyprien (1), « il y a > bien de la différence entre souffrir de longues et de cui»santes douleurs pour expirer ses fautes dans un feu qui >> brûle long-temps l'âme avant qu'elle soit purifiée, et la nettoyer en un instant de tous ses péchés dans un bain » de sang.» La vue des châtimens extraordinaires qu'éprouvaient très-souvent ceux qui abandonnaient lâchement la foi, et la crainte d'en éprouver de pareils, n'étaient pas non plus à quelques-uns un médiocre secours pour les préserver d'une aussi déplorable chûte. Un chrétien, après avoir renoncé Jésus-Christ, était devenu muet (2). Une femme s'était coupée de ses propres dents la langue dont elle s'était servie, ou pour prononcer quelque parole impie, ou pour goûter des viandes immolées aux idoles. Dieu faisait aussi quelquefois sentir la pesanteur de son bras aux persécuteurs mêmes, comme il arriva aux proconsuls Saturnin et Herminien, et enfin à ceux dont Lactance nous a décrit la mort funeste (3).

»

(1) Cypr. ad Antonian. (2) S. Cypr. lib. de laps. (3) Tertull. ad Scapul., et Lact. de mort. pers.

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