Images de page
PDF
ePub

seignement, que de proposer à ceux-là des difficultés aussi compliquées qu'à ceux-ci; comme c'en serait une, au physique, de donner à un enfant de six mois autant de nourriture qu'à un enfant de quinze ans.

Je pense donc qu'on doit, en général, s'abstenir de controverse devant les commençans. Mais devant des élèves plus avancés, on peut, sans risque, débattre tous les argumens pour et contre. Ces élèves en retireront même un grand fruit, si le professeur expose d'abord clairement et franchement les avis opposés; s'il les résume ensuite, les réduit à leur juste valeur, réfate ceux qui ne lui paraissent pas fondés, et propose une bonne solution.

SECTION IV.

Du style des leçons.

6. Les leçons ne sauraient être préparées avec trop de soin. Cujas, le plus grand des maîtres, préparait les siennes pendant huit heures. Mais les leçons ainsi préparées ne doivent pas être lues. A la vérité, ni une science, ni un art, ne peuvent être improvisés; mais la parole pour en rendre compte peut l'être.

La parole va et vient, pour ainsi dire, dans un sujet; elle se coupe au milieu d'une phrase, pour faire à cette phrase un commencement qui vaudra mieux, et qui rendra plus fortement l'idée à développer. Après avoir essayé une expression, elle en essaie une autre; elle ne peut pas effacer ce qu'elle vient de dire, mais elle le corrige en disant la même chose d'une autre manière. Tout cela, j'en conviens, ne peut pas faire des discours bien limés, mais cela est absolument nécessaire pour faire de bonnes démonstrations et de bons cours.

D'autres considérations encore se réunissent en faveur de ce mode d'enseignement.

La première condition pour enseigner quelque chose à un grand nombre d'hommes rassemblés, c'est de se rendre maître de leur attention et de la fixer; mais si l'attention du professeur lui-même est fixée avec ses yeux sur le papier qu'il lit, il ne jugera point, ou il jugera mal de celle

que l'assemblée lui accorde. Qu'elle lui échappe, ou qu'il ne la satisfasse point, dans les deux cas il y a peu de moyens de s'en apercevoir; et, comme on n'ira point interrompre sa lecture pour le lui dire, il n'a aucun moyen pour rappeler les esprits qui l'ont abandonné, et pour parler plus clairement à ceux qui ne l'ont pas complète

ment saisi.

L'homme qui parle au milieu d'une assemblée nombreuse, et que l'action de la parole agite, a l'air de créer sur-le-champ tout ce qu'il exprime; celui qui lit, au contraire, a toujours un peu l'air de lire l'ouvrage d'un autre. Cette différence est prodigieuse pour l'effet, et il ne faut pas toujours laisser les effets au charlatanisme et à l'imagination; il faut en aider la raison et la vérité.

Enfin il doit y avoir, entre les élèves et les professeurs, des conférences (pour les examens et les thèses), qui nécessairement seront improvisées, et les professeurs seront mieux préparés à ces conférences lorsqu'ils auront improvisé leurs leçons mêmes ',

7. Au reste, le professeur qui improvise ne doit pas négliger sa diction. Son style doit être clair, agréable, coulant, et se rapprocher plutôt du genre didactique que du genre déclamatoire. Il doit suivre un ordre naturel et non interrompu, fuir la prolixité, et distinguer une élocution mâle et soutenue d'une loquacité stérile et fatigante; il doit également se défendre de ce genre de débit pénible et monotone qui fait gémir l'auditeur sous le poids de l'ennui; un tel professeur

En vain, pour gagner temps, dans ses transes affreuses,
Traîne du dernier mot les syllabes honteuses.

Il hésite, il bégaye, et le triste orateur

Demeure enfia muet aux yeux du spectateur.

8. Le style est une partie si importante de l'art d'enseigner, que sans lui le professeur n'acquiert aucune gloire et ne fait point d'élèves.

Que d'exemples n'avons-nous pas de jeunes gens qui

'J'ai traité ce sujet avec plus de développement dans mon opuscule sur l'Improvisation. Voyez aussi ce que j'en ai dit dans mon Discours de réception à l'Académie.

seignement, que de proposer à ceux-là des difficultés aussi compliquées qu'à ceux-ci; comme c'en serait une, au physique, de donner à un enfant de six mois autant de nourriture qu'à un enfant de quinze ans.

Je pense donc qu'on doit, en général, s'abstenir de controverse devant les commençans. Mais devant des élèves plus avancés, on peut, sans risque, débattre tous les argumens pour et contre. Ces élèves en retireront même un grand fruit, si le professeur expose d'abord clairement et franchement les avis opposés; s'il les résume ensuite, les réduit à leur juste valeur, réfate ceux qui ne lui paraissent pas fondés, et propose une bonne solution.

SECTION IV.

Du style des leçons.

6. Les leçons ne sauraient être préparées avec trop de soin. Cujas, le plus grand des maîtres, préparait les siennes pendant huit heures. Mais les leçons ainsi préparées ne doivent pas être lues. A la vérité, ni une science, ni un art, ne peuvent être improvisés; mais la parole pour en rendre compte peut l'être.

La parole va et vient, pour ainsi dire, dans un sujet; elle se coupe au milieu d'une phrase, pour faire à cette phrase un commencement qui vaudra mieux, et qui rendra plus fortement l'idée à développer. Après avoir essayé une expression, elle en essaie une autre; elle ne peut pas effacer ce qu'elle vient de dire, mais elle le corrige en disant la même chose d'une autre manière. Tout cela, j'en conviens, ne peut pas faire des discours bien limés, mais cela est absolument nécessaire pour faire de bonnes démonstrations et de bons cours.

D'autres considérations encore se réunissent en faveur de ce mode d'enseignement.

La première condition pour enseigner quelque chose à un grand nombre d'hommes rassemblés, c'est de se rendre maître de leur attention et de la fixer; mais si l'attention du professeur lui-même est fixée avec ses yeux sur le papier qu'il lit, il ne jugera point, ou il jugera mal de celle

que l'assemblée lui accorde. Qu'elle lui échappe, 'ou qu'il ne la satisfasse point, dans les deux cas il y a peu de moyens de s'en apercevoir; et, comme on n'ira point interrompre sa lecture pour le lui dire, il n'a aucun moyen pour rappeler les esprits qui l'ont abandonné, et pour parler plus clairement à ceux qui ne l'ont pas complètement saisi.

L'homme qui parle au milieu d'une assemblée nombreuse, et que l'action de la parole agite, a l'air de créer sur-le-champ tout ce qu'il exprime; celui qui lit, au contraire, a toujours un peu l'air de lire l'ouvrage d'un autre. Cette différence est prodigieuse pour l'effet, et il ne faut pas toujours laisser les effets au charlatanisme et à l'imagination; il faut en aider la raison et la vérité.

Enfin il doit y avoir, entre les élèves et les professeurs, des conférences (pour les examens et les thèses), qui nécessairement seront improvisées, et les professeurs seront mieux préparés à ces conférences lorsqu'ils auront improvisé leurs leçons mêmes 1.

7. Au reste, le professeur qui improvise ne doit pas négliger sa diction. Son style doit être clair, agréable, coulant, et se rapprocher plutôt du genre didactique que du genre déclamatoire. Il doit suivre un ordre naturel et non interrompu, fuir la prolixité, et distinguer une élocution mâle et soutenue d'une loquacité stérile et fatigante; il doit également se défendre de ce genre de débit pénible et monotone qui fait gémir l'auditeur sous le poids de l'ennui; un tel professeur

En vain, pour gagner temps, dans ses transes affreuses,
Traîne du dernier mot les syllabes honteuses.

Il hésite, il bégaye, et le triste orateur
Demeure enfia muet aux yeux du spectateur.

8. Le style est une partie si importante de l'art d'enseigner, que sans lui le professeur n'acquiert aucune gloire et ne fait point d'élèves.

Que d'exemples n'avons-nous pas de jeunes gens qui

'J'ai traité ce sujet avec plus de développement dans mon opuscule sur l'Improvisation. Voyez aussi ce que j'en ai dit dans mon Discours de réception à l'Académie.

n'ont abandonné l'étude du droit que par l'incurie avec laquelle se faisaient les leçons! Ceux-là surtout dont l'imagination est plus riche et plus ardente, l'esprit plus pénétrant et plus vif, fuient une étude qu'on leur présente sous d'aussi tristes couleurs, et se réfugient dans le temple du goût. C'est ce qu'éprouva l'Arioste: l'ineptie et la négligence de ses maîtres lui firent déserter leurs cours. Ne pouvant les supporter, dit-il, je me suis échappé de leurs mains, et je me suis jeté dans les bras des muses, qui m'ont fait le plus aimable accueil.

[ocr errors]

9. Qu'aucun professeur ne monte donc à sa chaire qu'après avoir long-temps et profondément médité ce qu'il doit dire et comment il doit le dire.

SECTION V.

De l'esprit d'innovation.

10. Il est des professeurs qui sont possédés de la manie des innovations. C'est même l'appât qu'emploient quelquefois les nouveaux docteurs pour amorcer les jeunes gens; semblables à ces rhéteurs dont Pétrone nous a révélé le secret, en faisant dire à l'un d'eux : « Sachez que, dans la << manière d'instruire, la faute ne vient pas des profes<< seurs, qui sont contraints de s'accommoder à la manie de «< ceux qu'ils enseignent, parce que si tout ce qu'ils avan« cent n'était au goût de leurs écoliers, comme dit Cicé«ron, leurs classes demeureraient désertes. »

11. En cela, comme en tout, il faut éviter les extrêmes. De même qu'on ne doit pas toujours préférer l'ancien au nouveau, de même aussi le nouveau ne doit pas toujours l'emporter sur l'ancien.

Voici donc les règles que je propose : 1o Il ne faut pas innover quand rien n'en fait une nécessité, et rien n'en fait une nécessité, quand la nouvelle méthode ne procurerait pas plus d'avantages que la première; 2o éviter le neologisme, manie fatale qui n'est propre qu'à jeter de l'obscurité dans le discours, en mettant des mots mal définis à la place d'expressions consacrées par le temps. La langue du droit, fixée par les Cujas et les Heineccius, les

« PrécédentContinuer »