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servée tant que l'autorité royale subsista; et les actes du temps font voir que les évêques et abbés, aussi bien que les comtes, étaient d'ordinaire donnés pour juges, envoyés dans les provinces pour faire observer les lois, et admis aux conseils d'état.

Loin que l'affaiblissement de la monarchie diminuât l'autorité des ecclésiastiques, il l'augmenta; car avant que le temps eût affermi les nouvelles seigneuries, pendant l'agitation qui produisit ce changement, il est à croire que les peuples obéissaient plus volontiers aux puissances ecclésiastiques qui n'avaient point changé, qu'aux puissances séculières encore incertaines, ou si nouvelles, que l'on voyait clairement l'usurpation. D'ailleurs, l'ignorance des laïques était si grande, qu'ils avaient besoin des clercs dans toutes leurs affaires, non seulement pour les discuter et les résoudre, mais pour lire leurs titres, ou pour écrire leurs conventions. Enfin n'y ayant plus de justice réglée entre les seigneurs, l'entremise des évêques et des abbés était plus nécessaire qu'auparavant : c'étaient eux ordinairement qui faisaient la paix, et qui provoquaient et composaient ces assemblées si fréquentes. Il est vrai que sur ce fondement de l'entretien de la paix, et du peu de justice que rendaient les séculiers, les ecclésiastiques étendirent si loin leur jurisdiction, que les laïques s'en plaignirent et s'y opposèrent : d'où vinrent enfin ces cruelles divisions qui ont si long-temps affligé l'Allemagne et l'Italie. Mais, sans m'étendre sur l'histoire de la jurisprudence ecclésiastique, il suffit d'avoir remarqué le changement qu'elle apporta à la jurisprudence, en donnant une plus grande étendue au droit canonique, et le faisant entrer dans la composition du droit français, comme une de ses plus considérables parties.

S XIX.

Origine des coutumes.

2

Voici mes conjectures sur l'origine des coutumes; et

IV. Instit. du droit ecclés. 3 part., c. I.

* Loger a fait une très bonne dissertation sous le titre de Conjectures sur l'origine du droit français, qui se trouve en tête d'un vol. in-4o, intitulé Bibliothèque des coutumes.

pour les renfermer en peu de mots, j'estime que l'ancien droit cessa d'être étudié, et continua toutefois d'être pratiqué, sans distinction des différentes lois, comme il n'y avait plus de distinction entre les peuples; qu'il reçut un grand changement par les nouveaux droits qui s'établirent, principalement en ce qui regardait la puissance publique, et par l'étendue de la jurisdiction ecclésiastique. Ce changement s'accrut par le temps, à cause du peu de commerce de chaque province, et même de chaque petit pays avec les pays voisins; car la division était telle, que du temps du roi Robert, un abbé de Cluni, invité par Bouchard, comte de Paris, à venir mettre des moines à S.-Maurdes-Fossés, regardait ce voyage comme long et pénible, se plaignait qu'on l'obligeât d'aller en un pays étranger et inconnu : ainsi les mêmes causes qui les produisirent, les produisirent différentes en chaque pays. J'appellerai ici pays, ee qui est nommé pagus dans les actes du temps de Charlemagne et de ses successeurs, c'est-à-dire le territoire de chaque cité qui était le gouvernement d'un comte, et pour l'ordinaire un diocèse. Les coutumes s'y trouvèrent différentes, par la diversité qu'il y eut dans les usurpations de la puissance publique, dans les traités des seigneurs entre eux et avec les communes, dans le style de chaque jurisdiction, dans les opinions différentes des juges. Ce sont les conjectures de Dumoulin. La division des pays y contribua, car ils ne dépendaient point les uns des autres, et étaient souvent en guerre, jusque-là que ce droit de guerre faisait une partie de leurs coutumes, et avait ses règles et ses maximes : c'est pourquoi la diversité est demeurée plus grande dans les provinces qui ont dépendu de différens souverains, comme celles que les Anglais ont possédées, et le reste de la France. La raison d'état s'y mêlait; et chaque prince était bien aise que les mœurs de ses sujets les éloignassent des sujets de l'autre, afin que la réunion fût plus difficile. Dans les pays soumis à un même souverain,la jalousie ordinaire entre les voisins, faisait que les juges et les officiers affectaient des maximes différentes, et laissaient cette émulation à leurs successeurs.

Vita Comitis Buchardi. Duchesne, tome 4.

$ XX. Renouvellement du droit romain:

La France était en cet état, quand on recommença d'étudier le droit romain. Ce n'était pas le code Théodosien, qui, avant les désordres, s'appelait la loi romaine dans les Gaules et dans les Espagnes. Il n'était plus connu que de quelques savans, et il demeura dépuis entièrement dans l'oubli jusqu'au commencement du dernier siècle. Il fut imprimé en 1528, sur trois manuscrits trouvés en Allemagne, et cette édition est celle de Charlemagne, c'est-àdire celle d'Alaric. Depuis on a retrouvé une partie du code, telle que Théodose l'avait faite 1.

Le droit romain, que l'on commença d'étudier au temps dont je parle, et que l'on étudie encore aujourd'hui, est le droit de Justinien, qui avait été jusque-là peu connu en Occident; car, du temps que l'empereur Justinien le fit publier, vers l'an 530, il n'y avait en Europe que deux provinces qui lui obéissaient paisiblement, la Grèce et la plus grande partie de ce qui dépendait du préfet du prétoire d'Illyrie. Les Espagnes et les Gaules étaient retranchées de l'empire romain depuis un siècle; la Germanie n'en avait jamais été ; et pour l'Italie, les Goths s'y défendaient encore contre Bélisaire, et les Lombards y entrèrent peu de temps après que les Goths en furent chassés. Le droit de Justinien ne fut donc observé qu'en Grèce, en Illyrie, et dans la partie de l'Italie qui obéissait aux Romains.

C'était ce qu'on appelle aujourd'hui la Romagne, avec le reste des terres de l'église, le royaume de Naples, et la Sicile.

Il est hors de notre sujet de chercher ce que devint ce droit en Grèce et en Orient; il suffit de dire que pendant trois siècles, on n'y connut point d'autre droit, et que, 350 ans après, l'empereur Léon-le-Philosophe fit faire une nouvelle compilation de tous les livres de Justinien, qu'il mêla ensemble, disposant les matières dans un autré ordre, et distribuant en soixante livres tout cet ouvrage,

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Jacq. Godefroy en a donné une belle édit. en 6 vol. in-folio, avec un commentaire fort utile à l'histoire du Bas-Empire.

que l'on nomme les Basiliques. Il fut composé en grec, parce que les sujets de l'empereur de Constantinople n'entendaient plus le latin, quoiqu'ils se dissent Romains, comme font leurs descendans encore aujourd'hui. C'est donc en substance le droit de Justinien qui s'y est conservé jusqu'à la ruine de cet empire.

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Mais sa fortune a été bien différente en Occident. Il se conserva en Italie, et les lois romaines que l'on Y suivit depuis le temps de Justinien, furent les siennes, et non pas le code Théodosien, comme en Gaule et en Espagne. Il y en a des preuves dans les épîtres de Saint Grégoire qui vivait sous Maurice et sous Phocas; dans le second concile de Troyes tenu par Jean VIII; l'an 878, au lieu où il est parlé de la punition des sacriléges, la loi de Justinien est alléguée..

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Ce droit fut altéré pendant les quatre siècles suivans, par le mélange des différentes nations qui possédèrent I'Italie. Les Lombards chassèrent les exarques de Ravenne, et furent eux-mêmes assujettis par les Francs. Après la chute de la maison de Charlemagne, l'Italie fut ravagée par les Hongrois, et en même temps par les Sarrasins qui occupèrent la Sicile et le royaume de Naples, jusqu'à ce qu'ils en fussent chassés par les Normands. Enfin les rois saxons ayant été reconuus empereurs, commandèrent à la Lombardie et à la Toscane. Après tant de changemens, il resta peu de personnes qui suivissent la loi romaine, d'autant plus que pour le faire, il eût fallu s'avouer Romain. Or ce nom devint à la fin si odieux, que, selon Luitprand, qui vivait au dixième siècle, « qui disait un Romain, disait un homme corrompu, sans foi, sans courage, et sans honneur. » Toutefois le droit de Justinien était encore reconnu en Italie dans le onzième siècle, du moins aux pays que les Grecs avaient tenus le plus longtemps, je veux dire la Romagne et le royaume de Naples. On le voit par l'hérésie des Incestueux, qui voulaient suivre dans les mariages la manière de compter les degrés de parenté que les lois ont établie pour les successions, et qui furent condamnés par le pape Alexandre II,

1 Tom. 9. Conc. p. 4.

1

I

l'an 1065; mais sa constitution rapportée dans le décret de Gratien, ne parle des lois de Justinien qu'en général sans nommer ni code, ni Digeste, et ne cite qu'un passage des Institutes.

Environ 60 ans après, un Allemand nommé Irnier ou Warnier 2, qui avait étudié à Constantinople, commença à enseigner publiquement les lois de Justinien à Bologne en Lombardie. Voici quelle en fut l'occasion. Irnier enseignait à Ravenne les arts, c'est-à-dire, les humanités, quand il s'émut une dispute entre ceux qui faisaient la même profession, pour savoir ce que signifiait proprement le mot d'As 3. Ils en cherchèrent l'explication dans les livres du droit civil, et y ayant pris goût, ils s'appliquèrent à les étudier; de sorte qu'Irnier, qui était venu à Bologne sur la dispute de l'As, commença à en faire des leçons l'an 1128, suivant la tradition de cette école 4. Il expliqua d'abord le code, ensuite la première partie du Digeste, depuis la dernière, qu'ils nommèrent Digeste nouveau : il trouva ensuite la seconde qu'on a nommée l'Infortiat, et enfin les Novelles. C'est ce que rapportent le cardinal d'Ostie et Odofred, disciple d'Azon, dont le maître Bulgare fut l'un des quatre principaux disciples d'Irnier. Il commença donc à enseigner le droit romain de son autorité privée, ce qui n'empêche pas qu'il n'ait reçu depuis une autorité publique de la comtesse Matilde, comme dit l'abbé d'Usperge, ou de l'empereur Lothaire II, comme l'on croit communément.

Peu de temps après, c'est-à-dire, l'an 1137 ou environ, la ville d'Amalphi en Pouille ayant été prise sur Roger, roi de Sicile, par les troupes de l'empereur Lothaire, et du pape Innocent II, avee le secours des Pisans, ils trouvèrent dans le plillage un manuscrit du Digeste qu'ils portèrent à Pise, d'où il fut depuis porté à Florence par Gino Caponi, lorsqu'il se rendit maître de Pise en 1407; c'est

135. q. 5, cap. Al. sadam.

* Plus connu sous le nom latin d'Irnerius.

3 Holst. in cap. 1. Extra de testam, n. 2. Odof. Anch. Qui res. n. 3. C. De sacros Eccl. et L. quærebatur in fin, ad. L. Falc.

4 Odof. L. quærebut, ad. L. Falc.

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