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ce que l'on appelle les Pandectes Florentines, dont la découverte réveilla l'étude du droit de Justinien; car cet exemplaire fut toujours depuis considéré comme le plus authentique. On reconnaît à plusieurs marques, qu'il est de la main d'un Grec. Aussi la province où il fut trouvé, est celle de toute l'Italie où les Grecs se sont maintenus plus long-temps. Les premiers interprètes, dans ce renouvellement du droit romain, firent seulement des gloses, des renvois, et des concordances, de lois, comme les Grecs en faisaient de leur côté sur le Basiliques. Mais les Grecs eurent toujours cet avantage, qu'ils avaient reçu le droit romain par tradition de leurs pères, au lieu que l'usage en ayant été long-temps interrompu en Occident, les Latins ne pouvaient l'entendre que très imparfaitement. De là vint que jugeant impossible, et même inutile, d'avoir une intelligence parfaite du texte, ils s'appliquèrent à en tirer des conséquences, et étudièrent le droit d'une méthode scolastique, pleine de chicanes et de fausses subtilités, comme on traitait alors toutes les sciences.

L'étude du droit de Justinien passa en France dès ces premiers temps, et on l'enseigna publiquement à Montpellier, à Toulouse, avant que des universités y eussent été érigées. Or. voulut aussi l'enseigner à Paris, mais le pape Honorius Ill le défendit par une décrétale 3 qui mérite d'être examinée.

Elle porte, qu'encore que l'église ne refuse pas le service des lois séculières qui suivent les traces de l'équité et de la justice, toutefois parce qu'en France et en quelques provinces les laïques ne se servent point des lois des empereurs romains, et qu'il se rencontre rarement des causes ecclésiastiques qui ne puissent être décidées par les canons 4 afin que l'on s'attache plus à l'étude de la sainte écriture, le pape défend à toutes sortes de personnes d'enseigner ou d'apprendre le droit civil à Paris, ou aux

Franc. Torellus præf. in Pand. Florent.

2 Cujas les appelle Castiora Digesta.

3 Cap. super pecula extra de privileg.

4 Voilà la vraie raison; le pape craignait qu'on ne donnât la préférence aux lois de l'empire, sur les lois de l'église.

lieux circonvoisins, sur peine d'être interdit de la fonction d'avocat, et d'être excommunié par l'évêque diocésain.

Je n'examine point quelle a dû être en France l'autorité de cette décrétale, si elle obligeait les laïques, et si c'est la véritable cause de ce que jusqu'à l'année 1679, il n'y a point eu de professeur de droit civil dans l'université de Paris : je veux seulement relever quelques faits qui servent à mon histoire. On voit dans cette décrétale que les ecclésiastiques mettaient les lois séculières bien au-dessous des canons; que les laïques et les ecclésiastiques vivaient encore sous différentes lois au treizième siècle; et on peut conclure de ces paroles, que les ecclésiastiques suivaient le droit romain en tout ce qui n'était point décidé par le droit canonique. Pour les laïques, il est dit qu'ils n'usaient point du droit romain, parce qu'ils suivaient leurs coutumes telles que je les ai expliquées; car quoique le droit romain fût le fond et la principale partie de ces coutumes, il y était si mêlé, qu'il n'était plus reconnaissable. Mais il faut surtout observer dans cette décrétale le nom de France, car il est pris dans une signification fort étroite, et, si je ne me trompe, pour l'Ile de France seulement; en sorte que par les autres provinces on entend la Normandie, la Bourgogne, et les parties plus septentrionales du royaume d'où l'on peut inférer que, dès ce temps, on distinguait le pays coutumier du pays de droit écrit.

Ce fut ainsi que le droit de Justinien revint au monde, qu'il se rendit plus célèbre en Italie qu'il n'avait jamais été, et s'étendit dans les autres parties de l'Europe où il n'avait point encore été connu.

C'est un grand sujet d'admiration que ces livres composés six cents ans auparavant à Constantinople, où ils n'étaient plus suivis alors, ayant été en partie abolis par les Basiliques, aient été reçus avec tant de vénération dans les pays où jamais l'empereur n'avait commandé, comme l'Espagne, la France, l'Allemagne et l'Angleterre ; sans que les puissances ecclésiastiques ou séculières les aient autorisés par aucune constitution ; et que l'on se

Non ratione imperii, sed rationis imperio.

soit accoutumé à nommer ce qu'ils contiennent, le droit écrit, le droit civil, ou le droit, simplement, comme s'il n'y avait point d'autre droit qui méritât d'être considéré. Voici toutefois les causes que j'imagine d'un événement si important.

Pendant la plus grande barbarie, on conserva toujours quelque usage de la langue latine, et quelques vestiges des mœurs romaines. Le moine Glaber, qui vivait dans le onzième siècle, appelle encore le pays des chrétiens le monde romain 2, et nomme barbares les autres peuples. Il est vrai que les Francs et les autres peuples vainqueurs avaient un grand mépris pour ceux qui se disaient alors Romains, c'est-à-dire, pour les sujets de l'empereur de Constantinople. Mais il ne laissait pas de rester une idée confuse, que tout ce qu'avaient fait les anciens Romains était excellent, que leurs lois en particulier étaient fort sages, quoique les livres de ces lois fussent rares et peu connus. Le droit de Justinien fut donc bien reçu, comme étant l'ancien droit romain; car les plus doctes de ce tempslà n'en savaient pas assez pour le distinguer d'avec leur véritable loi romaine, qui était le code Théodosien, ni pour savoir en quel temps Justinien avait commandé, et de quelle autorité étaient ses constitutions. On regarda seulement le nom d'empereur romain.

De plus, l'utilité de ces lois était grande. On y voyait les principes de la jurisprudence bien établis, non seulement pour le droit particulier des Romains, mais encore pour les droits qui sont communs à toutes les nations; car il n'y a guères de maxime du droit naturel, ou du droit des gens, qui ne se rencontre dans le Digeste; on y trouve d'ailleurs un nombre infini de décisions particulières très judicieuses. Mais il était principalement avantageux pour les princes, qui y trouvaient l'idée de la puissance souveraine en son entier, exempte des atteintes mortelles qu'elle avait reçues dans les derniers siècles. Ils y trouvaient même de quoi fonder de belles prétentions. L'empereur d'Allemagne avait droit à la monarchie universelle, suivant

'Ou mieux encore, la raison écrite.

Orbis Romanus.

l'application que les docteurs lui faisaient de ce qui est écrit dans ces lois; et d'autres docteurs disaient aux rois qu'ils étaient empereurs dans leurs royaumes. Enfin tout l'esprit de ces lois tendait à rendre les hommes plus doux, plus soumis aux puissances légitimes, et à ruiner les coutumes injustes et tyranniques que la barbarie y avait introduites. Il ne faut done pas s'étonner si ce droit, qui fut d'abord mis au jour par la curiosité de quelques particuliers, et par l'autorité des savans, s'établit insensiblement par l'intérêt des princes et par le consentement des peuples.

§ XXI. Effet de l'étude du droit romain.

Il a toutefois été reçu différemment selon la disposition des pays. Les Italiens l'embrassèrent avec ardeur sitôt qu'il parut, parce que cela arriva dans un temps où, lassés de la domination des Allemands qu'ils tenaient pour barbares, quoiqu'ils ne le fussent guère moins eux-mêmes, ils s'efforçaient de rétablir le nom romain, et de rappeler la mémoire de leurs ancêtres, ou, pour mieux dire, les anciens Italiens. D'ailleurs ils ne craignaient plus, en devenant Romains, de devenir sujets de l'empereur de Constantinople, puisque ce fut environ dans le même temps que Constantinople fut prise par les Français ; et comme les deux empires d'Orient et d'Occident se trouvèrent alors entre les mains de ceux que l'on appelait d'un nom général, Franes ou Latins, pour les distinguer des Levantins et des Grecs, ce fut une grande raison pour étendre les lois romaines par toutes leurs terres. Il est vrai néanmoins que l'étude du droit romain est entrée fort tard en Allemagne, et vers le quinzième siècle seulement : mais aussi son autorité s'y est répandue universellement, à cause du nom de l'empire.

Pour nous renfermer dans la France, il a été considéré comme loi qui oblige dans les lieux où la loi romaine avait jeté, pour ainsi dire, de plus profondes racines, comme le Languedoc, la Provence, le Dauphiné et le Lyonnais,

IV. Herman. Coring. de origin. Juris Germanici.

parce que ces pays avaient été les premières conquêtes des Romains et les dernières des Français, et parce que la plus grande partie reconnaissait alors l'empereur d'Allemagne comme souverain direct; joint que le voisinage d'Italie leur donnait plus de commodité pour étudier le droit romain. De là vient qu'encore que, dans ces provinces, il soit resté beaucoup de coutumes différentes de ce droit, elles n'y sont pas fort opposées, et ont peu d'étendue. Au contraire, dans le reste de la France, les coutumes ont prévalu, et le droit romain n'est point observé dans tous les cas où la coutume y est contraire, qui sont en très grand nombre. C'est la différence du pays coutumier d'avec le pays de droit écrit. De savoir si le droit romain est le droit commun en pays coutumier, pour les cas qui ne sont point exprimés par les coutumes, c'est une question fameuse agitée par les savans des derniers temps : le président Liset tenait l'affirmative; le président de Thou la négative, et je ne sache pas qu'elle soit encore décidée.

L'étude du droit de Justinien apporta un grand changement au droit français, qui ne consistait alors qu'en coutumes. On jugea le droit romain si nécessaire, tout mal entendu qu'il était, que dans toutes les affaires on ne se servait plus que de ceux qui l'avaient étudié, soit pour juger, soit pour plaider, soit pour rédiger par écrit les conventions et les traités. De sorte que tous les officiers de justice, jusques aux procureurs et aux notaires, étaient gradués en droit, et clercs par conséquent; car les laïques n'étudiaient pas encore. Ces gens, soit pour se rendre nécessaires, soit de bonne foi, croyant faire mieux que leurs prédécesseurs, changèrent toutes les formulės des actes publics. Jusque-là ils étaient simples et n'avaient rien de superflu, sinon quelques mauvais préambules : mais, depuis l'an 1250 ou environ, on commença à surcharger les actes d'une infinité de clauses, de conditions, de restrictions, de renonciations et de protestations, pour se mettre à couvert des règles les plus générales, et bien

Voyez notamment un petit volume in-12, généralement attribué à Grosley, et intitulé recherches pour servir à l'histoire du droit français.

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