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Domat et les Pothier, doit, ce semble, suffire à nos docteurs modernes. 3° Quant au fond des opinions, on ne doit s'écarter des doctrines reçues que pour réformer de vieux abus ou réfuter des erreurs invétérées.

12. Mais, puisque nous parlons d'erreurs, ajoutons qu'un homme ne doit jamais rougir de reconnaître les siennes. Lors donc qu'un professeur reconnaîtra qu'il s'est trompé, il devra se rétracter sans balancer et proclamer la doctrine contraire. Qu'il imite, en pareil cas, la droiture et la modestie de Papinius, et qu'il ne craigne de dire, comme ce prince des jurisconsultes romains: Nobis aliquandò placebat, sed in contrarium me vocat Sabini sententia.

CHAPITRE II.

Application de quelques-unes des règles ci-dessus à l'enseignement du droit.

13. Les règles que j'ai proposées dans le chapitre précédent sont générales et peuvent s'appliquer à l'enseignement de toutes les sciences; il est temps d'en faire une application particulière à l'enseignement du droit.

Il serait superflu de revenir sur la nécessité de la clarté et de la méthode.

Mais j'insisterai sur la nécessité des définitions, des divisions, de l'explication des termes techniques; sur l'utilité des exemples, l'abus des citations, l'importance de la raison des principes, le danger des subtilités, et l'influence d'un bon livre élémentaire.

SECTION PREMIÈRE.
Des définitions.

14. Définir, n'est autre chose que faire connaître le sens d'un mot par le moyen d'autres expressions qui ne soient

pas synonymes.

Le but des définitions est de donner des idées nettes et analytiques des choses qu'on se propose d'expliquer.

Ainsi, rien n'est plus précieux qu'une définition exacte; mais aussi rien n'est plus difficile, surtout en droit: omnis definitio in jure civili periculosa, dit la loi 202, regulis juris. Tachons donc d'indiquer d'où elles se tirent et comment elles se forment.

S de

15. Les définitions se trouvent par l'analyse, lorsque nous examinons soigneusement une chose dans toutes ses parties, et que nous la réduisons à ses premiers principes. Elles se forment, 1o par des rapprochemens et des comparaisons, lorsque nous considérons avec toute l'attention convenable ce qu'une chose a de commun avec une autre, et ce qu'elle a de différent; 2o par l'abstraction ou l'omission de quelques circonstances, 3o par le changement de ces mêmes circonstances; 4° par leur complication.

Par exemple, lorsque je vois deux individus acheter et vendre, et que je suis leurs mouvemens, je remarque que l'un d'eux donne à l'autre une chose convenue moyennant une somme aussi convenue; et j'acquiers par cette analyse une idée nette du contrat de vente.

Si je compare ensuite ce contrat avec les autres contrats, je reconnais aisément qu'il convient avec eux, en ce qu'il exige le consentement mutuel et concordant des contractans; et qu'il en diffère en ce qu'il requiert que ce consentement porte sur une chose qui soit dans le commerce, et dont la propriété soit transférée moyennant une somme d'argent monnayé. Le résultat de cette comparaison me fournit cette définition: La vente est une convention par laquelle une chose commerçable est transférée pour une certaine somme d'argent.

Maintenant, que je supprime la circonstance d'un prix

en argent, j'aurai la définition du contrat IN GENERE: c'est une convention au sujet de la transmission d'une chose commerçable.

Si je change cette circonstance du prix, et que je suppose que la chose est transférée gratuitement, je trouve la définition de la donation.

Enfin, si j'ajoute quelques circonstances, par exemple, celle-ci : Qu'après un certain temps, le vendeur reprendra sa chose en restituant le prix; j'aurai la définition du rachat ou réméré.

SECTION II.

Des divisions.

16. Les divisions constituent la méthode, qui n'est autre chose que l'art de disposer ses idées et ses raisonnemens, de manière qu'on les entende soi-même avec plus d'ordre, et qu'on les fasse entendre aux autres avec plus de facilité.

On nomme division, la séparation d'une idée générale en plusieurs idées particulières.

On divise le tout par ses parties, le genre par ses espèces, les causes par leurs effets, etc.

Ainsi, par exemple, les jurisconsultes divisent la procédure en quatre parties principales, la demande, l'instruction, le jugement et l'exécution du jugement.

Ils distinguent la possession naturelle de la possession civile, etc.

17. L'utilité des divisions consiste à faciliter l'intelligence des idées complexes. Mais pour que la division procure cet avantage, il ne faut pas s'en tenir à décomposer ces mêmes idées : il faut encore expliquer en détail chacune des idées partielles que la division a pour objet de faire ressortir, et les mettre dans une sorte d'opposition.

C'est ce qui paraîtra par l'exemple suivant : Les choses sont corporelles ou incorporelles. Cette division est bonne; mais elle devient meilleure en lui donnant plus de développement, et en définissant ce qu'on entend par choses cor

porelles et incorporelles. Les choses corporelles sont celles qu'on peut toucher, qua tangi possunt; les choses incorporelles, celles qu'on ne peut pas toucher, quæ tangi non possunt. Ces définitions, ainsi opposées, font ressortir d'autant mieux la différence qui existe entre les deux membres de la division. Autrement, si l'on disait que les choses corporelles sont celles qu'on peut toucher, quæ tangi possunt; les incorporelles, celles qui consistent dans un droit, quæ consistunt in jure; cette définition serait aussi vraie que la première; mais l'opposition, étant moins directe, serait aussi moins sensible.

18. Pour qu'une division soit bonne, il faut, 10 que, ses membres embrassent le tout qu'on divise; 2° que ces membres soient distincts et n'empiètent pas l'un sur l'autre; 3o qu'avant la division on ait pris soin de dégager de toute obscurité l'idée à diviser.

19. Il faut appliquer aux subdivisions les règles de la division on doit seulement éviter de les multiplier sans nécessité; car les trop petites choses sont aussi difficiles à comprendre que les choses trop étendues, et les divisions poussées trop loin sont aussi vicieuses que le manque absolu de division. C'est la remarque de Sénèque. Dividi illam, non concidi, utile est. Nam comprehendere quemadmodum maxima, ita minima, difficile est. Quidquid in majus crevit, facilius agnoscitur, si discessit in partes: quas, ut dixi, innumerabiles esse et parvas non oportet. Idem enim vitii habet nimia, quod nulla divisio. Simile confuso est, quidquid usque in pulverem sectum est. Epist. 89.

SECTION III.

De l'explication des termes techniques.

20. On appelle termes ou mots techniques les mots qui ont été inventés pour exprimer ce qui appartient aux arts et aux sciences.

'De là il résulte qu'on ne doit pas appeler division, mais seulement distinction, l'opération qui ne divise pas un tout en ses parties, mais qui indique seulement les diverses acceptions d'un mot.

On doit les définir avec exactitude. En effet, comme ces mots sont, pour l'ordinaire, inconnus aux élèves, il arrive qu'ils les confondent entre eux, ou qu'ils y attachent un sens différent de celui que le professeur a eu en vue, et les fausses idées arrivent à la suite. Il est donc du devoir des professeurs d'éviter cet inconvénient et de soigner leurs définitions. On ne doit pas regarder comme minutieux des détails sans lesquels on ne peut pas arriver à des résultats plus importans; car, je le demande, avec quel succès un professeur enseignera-t-il le droit, s'il n'explique pas les termes d'art qu'il sera forcé d'employer? par exemple, ceux-ci : cautionnement, aval, hypothèque, usufruit, solidarité, et mille autres sembla⚫bles 1.

SECTION IV.

Des exemples.

21. Rien n'est plus utile pour l'intelligence des règles générales du droit, que les exemples dont on se sert pour les autoriser, les confirmer, ou les modifier. Mais il faut savoir se borner: Est modus in rebus. De même que les juges doivent prononcer suivant les lois, et non pas suivant des espèces particulières ; de même aussi le professeur doit enseigner d'après les lois, et non pas d'après des gloses ou des commentaires. Il ne doit faire servir les exemples qu'à l'intelligence des règles qu'il a puisées dans les sources de la législation, et il doit s'arrêter aussitôt que ces règles sont suffisamment éclaircies. Le droit est limité: jus finitum et potest esse et debet. L. 2, ff. de juris et facti ignor. Mais les espèces sont tellement infinies, que depuis qu'il y a des jurisconsultes, on n'a jamais vu se représenter deux espèces parfaitement semblables. C'est donc une illusion que de prétendre épuiser toutes les conséquences d'un principe.

C'est parce que je suis profondément convaincu de l'utilité des définitions, surtout pour les commençans, que j'ai fait entrer dans le plan de ce Manuel, un Vocabulaire des termes de Droit.

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