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il semble qu'ils ne faisaient point ces actes comme rois, puisque les seigneurs en faisaient de semblables dans leurs terres; et la plupart de ces anciens réglemens, ayant passé en coutumes, ont été compris dans les rédactions. S'il y avait quelque droit nouveau à établir, ou quelque question importante à décider, le roi le faisait dans l'assemblée de ces barons; et les seigneurs en usaient de même à proportion de leurs vassaux: ainsi c'était comme une convention entre eux tous, ou un jugement donné par leur conseil. On peut donner pour exemple de ces conventions, l'assise du comte Geoffroy, qui est un réglement fait en Bretagne, pour les successions des nobles en 1287, et un ancien réglement de Philippe-Auguste, pour la mouvance des fiefs partagés, fait en 1210, du consentement de plusieurs seigneurs dont le nom est mis en tête de l'acte aussi bien que celui du roi. Pour exemple des jugemens solennels, nous avons les anciens arrêts rapportés par Dumoulin à la fin du style du parlement. Ils sont nommés indifféremment édits ou arrêts; de sorte que le mot d'arrêt signifiait simplement le résultat d'une délibération, et comme on dirait aujourd'hui un arrêté 1. C'est peut-être l'origine de la grande autorité que le commun des praticiens donne aux arrêts, les considérant comme des lois; joint qu'avant la rédaction des coutumes il n'y avait point de meilleure preuve de l'usage, qu'un grand nombre d'arrêts conformes. D'où vient qu'à la fin des anciens manuscrits des coutumes, on trouve d'ordinaire des arrêts de la cour souveraine du pays.

Les ordonnances de S. Louis ont paru si considérables, que les auteurs de sa vie les ont rapportées dans leurs histoires. Il y en a sur plusieurs matières. Pour la religion: contre les Juifs, contre les blasphémateurs, contre les entreprises des ecclésiastiques. Pour la justice, du devoir des baillis, et des autres officiers. Pour la police : contre les lieux publics de jeu et de débauche. On pourrait aussi marquer ce que contiennent les ordonnances des autres rois; mais ce serait faire l'histoire de France par les ordonnances, ce que je n'ai pas entrepris. On peut voir les

1 Voyez ci-après, JURISPRUDENCE des Arrêts.

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tables chronologiques de la conférence de Guenois. Je dirai seulement que presque toutes regardent le droit public, et règlent les droits du roi, et le pouvoir des officiers. De là vient que le nombre des édits a été sans comparaison plus grand, depuis le commencement du règne de François Ier, que dans tous les temps précédens, parce que depuis ce temps l'on a établi la plupart des subsides, et créé la plupart des offices en titres pour les rendre vénaux. Il y a aussi grand nombre d'ordonnances pour régler les procédures, et les formalités de justice; mais il y en a peu qui contiennent des règles pour les affaires des particuliers, et des maximes de jurisprudence. Ainsi l'utilité du droit romain n'est pas moindre que quand on recommença à l'étudier, quoiqu'il n'y eût alors ni coutumes écrites, ni ordonnances. Car si, d'un côté, l'on en a aboli expressément quelques maximes, comme le privilége du sénatusconsulte velléien; on en a reçu d'autres expressément, comme la disposition de la loi Hac edictalis, cod. desecundis nuptiis, qui se trouve avec des explications et des ampliations dans l'édit des secondes noces; et toutes les ordonnances ont été composées par des gens savans dans le droit romain 1.

Les plus solennelles sont celles qui ont été faites dans les assemblées d'états, comme celles de Moulins et de Blois. Les parlemens et les autres compagnies dont la juridiction est souveraine, parce que le roi y est réputé présent, étaient en possession d'examiner les édits qui leur étaient adressés, et de faire des remontrances avant que d'en donner la publication, quand ils le jugeaient à propos; mais cet oubli a été aboli, et ces compagnies sont obligées d'enregistrer et de publier tout ce que le roi leur envoie, sauf à faire ensuite leurs remontrances 2.

Voilà ce que j'ai pu recueillir de plus certain de l'histoire du droit français. Si quelqu'un veut s'appliquer à cette recherche, je ne doute pas qu'il ne découvre beau

Jusqu'à la promulgation du code civil, la plupart des contrats n'ont été réglés que par le droit romain.

2 Louis XIV avait ordonné en 1657 ce qu'on a vu renouveler en 1673, que jamais le parlement ne ferait de représentations que dans la huitaine après avoir enregistré avec obéissance. LACRETELLE, t. 1, p. 113.

coup plus; mais je serai content si ceux que leur profession oblige à savoir notre droit sont excités par cet écrit à en connaître les sources.

CONTINUATION

DU PRÉCIS HISTORIQUE

DU DROIT FRANÇAIS.

Fleury termine un peu brusquement son histoire : il écrivait sous Louis XIV, ce roi absolu ', qui avait amené les choses au point d'oser dire : L'état, c'est moi.

A cette époque en effet, la noblesse, jadis si indépendante et si fière, avait été forcée de quitter ses châteaux où elle commandait, pour venir prendre du service à la cour du prince; elle avait échangé son pouvoir politique contre la livrée du chambellanage : les preux s'étaient faits courtisans 2.

En 1674.

2 Richelieu avait mis la noblesse si bas qu'on trouve dans son testament politique, un chapitre intitulé: « divers moyens d'avantager la noblesse pour la faire subsister avec dignité. » Louis XIV n'était pas homme à rendre aux nobles le pouvoir que le cardinal premier-ministre leur avait enlevé il détestait le gouvernement aristocratique, et ne cessa d'en poursuivre la destruction. On peut voir à ce sujet les mémoires qu'il composa pour l'instruction de son fils. « Il a ravalé les grands jusqu'à leur ôter le pouvoir et l'émulation de se distinguer.» (D'Argenson, gouvern. de la France.) Bref, il en fit les domestiques de son palais; et toute la noblesse de France fut condamnée à servir de pépinière pour recruter les courtisans. (M. de Barante, des communes et de l'aristocratie, chap. 3, ce qu'a été l'aristocratie.)

Dans le recueil des pièces concernant l'histoire de Louis XIII, tome 3, page 233, on lit encore ce qui suit : « Tel est depuis long-temps l'aveuglement des seigneurs et gentilshommes français. Eblouis de la moindre récompense que la cour leur montre, ils travaillent eux-mêmes à l'établissement du pouvoir qui les ruine et qui les accable. Guise, Vendôme, Montmorenci et Épernon furent bien punis sous l'impérieux cardinal de Richelieu de leur basse complaisance : l'un mourut par la main du bouret les autres furent mis en prison ou relégués. C'est donner au gouvernement des armes contre soi-même et contre sa famille, que de le servir à se rendre maître de tout. » (Max. du dr. pub. franç. tom. 2, pag. 313.)

reau,

Le pouvoir du parlement avait aussi reçu quelque atteinte le jour où le roi y était entré le Zurriago à la main, et avait forcé par sa présence l'enregistrement des édits.

Par cette violence faite au droit public de la France, l'ancien principe' qui ne faisait considérer comme lois que celles qui avaient été soumises à la vérification libre des parlemens, semblait abrogé, et voilà pourquoi Fleury n'hésite point à dire : Cet usage a été aboli.

par

Heureusement l'histoire de France ne finit point avec Louis XIV. Ce monarque avait pu se rendre absolu le fait; mais l'ancienne constitution de l'état n'avait pas cessé de subsister par le droit. Il l'avait ébranlée; mais elle n'était pas détruite; et, dans l'opinion des peuples, c'était encore une des maximes les plus anciennes, comme une des vérités les plus certaines de notre droit public, que le prince ne pouvait pas, de sa seule autorité, changer les lois fondamentales du royaume 2.

Aussi à peine Louis XIV eut-il rendu le dernier soupir, qu'on vit ce même parlement dont Fleury vient en quelque sorte de célébrer les obsèques, reprendre l'exercice de ses

« Les lois et ordonnances des rois doivent être publiées et vérifiées au parlement; autrement les sujets n'en sont pas liés. » COQUILLE, instit. au droit français, § du droit de royauté.

« Dans la remarque et la désignation des ordonnances qui s'observent en ce royaume, nous usons de distinction; car nous appelons les unes les ordonnances du roi; et les autres du royaume. » (Le P. DE HARLEY, au lit de justice, 15 juin 1586.)-« Les lois fondamentales, dit Fénélon, se forment par des conventions, et c'est à ce titre qu'elles sont obligatoires. Qui pourra se fier à vous, si vous y manquez? dit-il au roi. (Direct. pour la conscience d'un roi. Direct. 29.) Seyssel, archevêque de Turin, dit en parlant des lois fondamentales, lesquelles tendent à la conservation du royaume; » et si ont été gardées par tel si long temps, que les princes ne entreprennent point d'y déroger; et quand le voudroient faire, l'on n'obéit point à leur commandement. » (De la monarchie franç. part. 1, chap. 8.) «S'il est vrai qu'à mesure que le pouvoir devient immense, sa sûreté diminue, corrompre ce pouvoir jusqu'à lui faire changer de nature, n'est-ce pas un crime de lèse-majesté contre lui? » Esprit des lois, liv. 8. chap. 7, in fine.) — Louis XI, à son lit de mort, se repentit d'avoir changé l'ordre ancien du royanme qui était de ne point lever de deniers sans l'octroi des peuples. (MÉZERAI, Abrégé Chronol. tom. 4, pag. 610.) Philippe II, roi d'Espagne, fit encore mieux, et ceci est très remarquable dans un despote tel que lui: il exigea Ja rétractation d'un prédicateur qui, pour le flatter du pouvoir absolu, avait avancé qu'il était le maître de la vie et des biens des citoyens. (De l'instr. de monseigneur le dauphin, par LAMOTTE LE VAYER, chap. des

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