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antiques prérogatives, annuler le testament du feu roi '; et déférer la régence au duc d'Orléans. Ce duc lui-même, par un juste retour, reconnut les droits du parlement en disant à cette compagnie : « Dans tout ce que j'entreprendrai pour le bien public, je serai aidé par vos conseils, et par vos sages remontrances. »

La destinée du parlement fut celle de tous les grands corps politiques: fort avec les rois faibles, faible avec les rois forts; tantôt subjugué, tantôt vainqueur, dans la lutte sans cesse excitée par les entreprises des ministres, et entretenue par la résistance des magistrats.

Mon dessein, pour compléter l'analyse historique de l'abbé Fleury, est de rappeler succinctement les principaux actes de législation qui ont marqué les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI.

J'exposerai ensuite de quelle manière le parlement intervenait dans la législation, et comment les violences exercées contre le pouvoir parlementaire par le pouvoir ministériel ont fini par compromettre le pouvoir royal luimême, et amener une révolution.

Je reprendrai ensuite le cours des événemens, en indiquant les principaux changemens survenus dans notre législation constitutionnelle, depuis la suppression des parlemens jusqu'à la promulgation de la charte de 1830.

finances.) « Le roi était le maître de donner ou de ne pas donner la charte; nul n'avait le droit de la lui demander; mais du moment où il l'a octroyée, il a limité ses pouvoirs; elle est devenue loi fondamentale, et le roi ne peut pas la détruire. » (Disc. de M. CASTELBAJAC, à la chambre des députés, séance du 22 janvier 1822.)

Ce pouvoir élevé à tant de frais sur les ruines de toutes les énergies nationales, s'était tellement affaibli dans les dernières années de ce prince, qu'il lui échappa de dire au petit nombre de serviteurs restés au chevet de son lit: Quand j'étais roi !...

PREMIÈRE PARTIE.

Suite de l'histoire de l'ancien droit.

JI.-Ordonnances de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.

Louis XIV n'a pas créé son siècle ; mais il a eu le bonheur de naître à une époque où tout était préparé pour la grandeur de la France. Depuis François Ier, les lettres avaient été remises en honneur: au milieu même des disputes théologiques et des querelles de religion, on avait vu se développer les esprits, s'exalter les courages; l'industrie avait pris l'essor; un nouveau monde était découvert; l'imprimerie propageait les connaissances humaines, et les rendait impérissables : le grand Corneille était né 32 ans avant Louis-le-Grand; Montaigne avait devancé La Bruyère; Henri IV avait précédé Turenne et Condé sur les champs de bataille, et l'administration de Sully devenait un modèle pour celle de Colbert. La jurisprudence et la magistrature avaient déjà produit leurs plus grands hommes: Cujas et Dumoulin avaient enrichi le droit romain et le droit français de leurs savantes veilles ; le parlement avait vu à sa tête Arnaud de Corbie, Jean de la Vacquerie, Christophe de Thou, Achille de Harlay; L'Hôpital avait été chancelier, Richelieu avait régné !... Un mouvement général était imprimé à la nation. Le roi était encore mineur, et tous les grands hommes qui ont fait l'honneur de son règne étaient déjà nés; tous devaient leur éducation aux institutions préparées par les règnes précédens: Louis n'eut qu'à choisir il choisit bien; ce fut une grande partie de son génie 1.

'M. Raynouard a très bien dit :

Ce roi grand par lui-même et grand par ses sujets.

Cependant les travaux de tant d'hommes célèbres dans la science des lois, nétaient point encore parvenus à créer un système complet et régulier de législation; mais ils avaient préparé les voies. Les principes étaient expliqués dans un grand nombre de bons ouvrages; les coutumes avaient été rédigées par écrit; une longue suite d'arrêts avait fixé la jurisprudence sur la plupart des points controversés ; il ne restait plus qu'à mettre de la méthode et de l'ensemble dans les lois.

Déjà Louis XI, tout méchant roi qu'il était d'ailleurs, avait exprimé le vœu qu'il n'y eût dans le royaume qu'un seul poids, une seule mesure, une méme loi.

Dumoulin, dont la tête était éminemment législative, avait conçu le projet de refondre toutes les coutumes particulières en un seul code qui eût formé le droit commun de la France. Mais le génie de ce grand jurisconsulte avait devancé son siècle : à l'époque où il vivait, la difficulté était moins encore de rédiger un code général de lois, que de le faire recevoir uniformément partout.

Chaque province tenait à ses us et coutumes: l'intérêt chez ceux dont cette vieille législation avait sanctionné les usurpations; l'habitude et le temps chez la plupart des praticiens, des avocats et des juges; et, parmi le peuple, je ne sais quelle apathie née de l'ignorance et de la servitude, opposaient des obstacles insurmontables à cette unité si désirable de législation.

Un peu plus tard, sous le règne de Louis XII, on avait fait une tentative qui démontre la difficulté d'une telle entreprise.

Une grande ordonnance fut rédigée, celle de 1629. C'était une espèce de code composé de 461 articles. Elle avait été dressée sur les plaintes et doléances faites « par les députés des estats du royaume convoquez et assemblez en la ville de Paris, en l'année 1614, et sur les advis donnez à sa majesté par les assemblées des notables réunis à Rouen en l'année 1617, et à Paris en l'année 1626. » Il semblait dès lors que cette ordonnance vraiment nationale dût être reçue sans opposition. De fait, elle renfermait un grand nombre de dispositions utiles: Pothier, en la citant, ne la nomme jamais que la belle ordonnance.... Mais

plusieurs de ses dispositions choquaient l'aristocratie 1 ! On ne put réussir à la faire adopter par les parlemens. Plusieurs refusèrent net, d'autres ne cédèrent qu'à des lits de justice, ou n'enregistrèrent qu'avec modification. Bref, cette ordonnance est restée sans force d'exécution, excepté dans quelques points de pur droit civil, où elle est suivie, comme raison écrite.

Mais avec le temps, Louis XIV, étant devenu plus absolu que ses prédécesseurs, trouva le moyen de surmonter toutes les résistances, et de faire adopter plusieurs ordonnances générales, qui, par leur sagesse, ont mérité de devenir le type de notre législation actuelle.

Ainsi furent successivement promulguées :
L'ordonnance de 1667 sur la procédure civile;
L'ordonnance des eaux et forêts de 1669;
L'ordonnance criminelle de 1670;

L'ordonnance de la ville en 1672.
L'ordonnance du commerce en 1673;
L'ordonnance de la marine en 1681;
Le code noir en 1685 2.

Un des articles qui aurait le mieux mérité d'être observé, et contrelequel toutes les petites vanités se sont insurgées, est l'art. 211, par lequel il est enjoint à tous gentilshommes de signer du nom de leur famille et non de celui de leurs seigneuries, en tons actes et contrais qu'ils feront, à peine de nullité desdits actes et contrats. » — Si l'on eût tenu la main à l'observation de cette disposition, on ne verrait pas tant de gens se donner pour nobles, uniquement parce qu'ils se sont intitulés, pendant une ou deux générations, Monsieur de tel endroit.

1 On nomme ainsi le recueil des ordonnances qui ont réglé le sort et l'état des esclaves dans les colonies. Aucune de ces lois n'établit formellement ni directement l'esclavage; toutes semblent n'avoir eu pour but que de protéger l'homme dans les fers, en régularisant la traite et l'esclavage qui existaient alors, et en réprimant les excès de sévérité et les traitemens cruels que le despostime individuel exerçait sur les malheureux nègres. Mais ceux dont le code noir avait voulu prévenir ou punir les excès, ayant toujours été investis du pouvoir, laissèrent tomber en désuétude les articles des lois qui les regardaient, et maintinrent dans toute leur sévérité ceux qui comprimaient les diverses classes de gens de couleur. Voyez l'intéressant ouvrage du colonel Boyer-Peyrelau sur les Antilles françaises, tome 1, pag. 136 et 137. Cette tyrannie des colons s'est perpétuée sous l'empire de la charte. On se rappelle en effet que dans la session de 1822, on dénonça à la chambre des députés un jugement par lequel des nègres fugitifs avaient été condamnés à avoir les jarrets coupės, parce qu'en fuyant ils s'étaient rendus coupables d'une tentative de vol de leur personne.

Ces lois furent faites avec le plus grand soin. On y employa les mêmes précautions qui depuis ont été adoptées pour la confection du code civil. La marche qu'on suivit se trouve rappelée dans le préambule de l'une de ces ordonnances (celle de 1669). Le législateur, après avoir accusé l'insuffisance de la législation antérieure, s'exprime en ces termes.... « Pour consommer un ouvrage si utile et si nécessaire, nous avons estimé qu'il était de notre justice de nous faire rapporter toutes les ordonnances tant anciennes que nouvelles qui concernent la matière, afin que, les ayant conférées avec les avis qui nous ont été envoyés des provinces, nous puissions sur le tout former un CORPS DE LOIS claires, précises et certaines, qui dissipent toute l'obscurité des précédentes.

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C'est ainsi, en effet, en prenant les avis de toutes les provinces, en consultant tous les hommes éclairés de la nation, qu'on fait des lois sages, des lois qui satisfont aux besoins comme à l'opinion de tous, des lois durables et dignes de servir de modèle à tous les âges et à toutes les nations'.

Il faut cependant excepter des éloges que méritent, en général, les ordonnances de Louis XIV, l'ordonnance criminelle de 1670. Elle ne fut pas uniquement, comme les autres, l'œuvre de magistrats et de jurisconsultes : le despotisme s'y fait sentir. On voit dans la discussion l'inflexible dureté du ministre Pussort lutter contre la douce vertu du président de Lamoignon, le Fénélon de la jurisprudence; mais du moins dans ce combat du ministère contre la magistrature, ce ne fut pas une médiocre gloire pour le parlement que d'avoir résisté, autant qu'il était en lui, à l'introduction de plusieurs formes empruntées à la procédure de l'inquisition, et d'avoir réclamé, quoique infructueusement, des défenseurs et d'autres garanties pour les accusés.

Toutes les parties de la législation n'étaient pas encore refondues; mais l'impulsion était donnée; sous Louis XV,

'L'ordonnance de la marine a obtenu cet honneur. Elle a été adoptée par toutes les nations de l'Europe, et forme le droit commun des peuples

maritimes.

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