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on vit le même dessein se continuer. D'Aguesseau était à la tête de la magistrature; il contribua puissamment à la rédaction des grandes ordonnances qui furent promulguées sous ce règne.

L'ordonnance de 1731 sur les donations;

Celle de 1735 sur les testamens ;

Celle de 1737 sur les substitutions, remarquable en ce qu'elle eut non seulement pour but de les régler, mais aussi de les restreindre, et de diminuer par-là les inconvéniens attachés à l'inamovibilité d'un trop grand nombre de propriétés 1.

On doit encore mettre au rang des lois les plus importantes de ce règne :

L'ordonnance de 1737, sur le faux principal et incident, et sur les reconnaissances d'écriture;

Le réglement du conseil de 1738 qui, encore à présent, est le fondement de la procédure qui s'observe au conseil d'état et à la cour de cassation;

Enfin l'édit de 1771 sur les hypothèques, qui a commencé le système de publicité sur lequel repose la législation actuelle.

Toutes les parties du droit civil (en prenant ce mot dans une signification étendue) se trouvaient ainsi à peu près réglées.

Mais la société n'était point encore satisfaite; et l'attention publique commençait à se porter sur des objets d'une nature plus relevée.

Déjà, en 1765, de généreux écrivains avaient obtenu la révision de l'arrêt qui avait immolé Calas.

Dans le même temps, un procureur-général 3, jeté dans les fers, réclama la liberté de la défense, et se défendit en effet librement.

Sous Louis XVI, on vit l'ardent Dupaty signaler son

Il faut lire dans les œuvres du chancelier d'Aguesseau les Questions sur les substitutions qu'il se donna lui-même la peine de rediger, et qu'il fournit à tous les parlemens du royaume; et en général toutes les lettres de ce grand magistrat sur les ordonnances qu'il a rédigées (tom. 7 de ses œuvres).

? Et ce, malgré l'ordonnance des 85 articles promulguée à la date du 15 janvier 1826 sous le contre-seing de monsieur le garde-des-sceaux. La Chalottais.

amour pour l'humanité dans l'éloquent mémoire qu'il publia en faveur de trois hommes condamnés à la roue. Bientôt, généralisant ses idées, ce magistrat fit ressortir les principaux vices de notre législation pénale dans ses réflexions historiques sur les lois criminelles.

Un avocat-général au parlement de Grenoble, Servan, marchait dans les mêmes voies. Son discours sur l'administration de la justice criminelle en signalait les nombreux abus: son plaidoyer dans la cause d'une femme protestante intéressa tous les cœurs au sort de cette classe de citoyens.

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Servan l'avait proclamé lui-même, « l'oreille d'un bon roi est un dépôt sacré où nulle idée juste ne s'égare. Bientôt les lois les plus équitables vinrent sanctionner les conseils les plus généreux.

Louis XVI a aboli la torture 1.

Il a défendu de condamner pour les cas résultant du procès 2.

Il a ordonné de détruire tous les cachots pratiqués sous terre, « ne voulant plus (porte la déclaration) risquer que les hommes accusés ou soupçonnés injustement et reconnus ensuite innocens par les tribunaux, aient essuyé d'avance une punition rigoureuse par leur seule détention dans des lieux ténébreux et malsains 3.

Ce monarque a rendu l'état civil aux protestans 4.
Il a supprimé les corvées 5.

Il a affranchi ce qui restait des anciens serfs.

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Il s'est montré bon, humain, compatissant, libéral, ami de son peuple : pourquoi les intentions bienveillantes de ce vertueux prince ont-elles été contrariées par la fidie, l'orgueil et l'ambition des hommes? pourquoi une révolution, si elle était inévitable, n'a-t-elle pu s'accomplir uniquement par les lois ? L'histoire politique pourra répondre; je ne fais ici que l'histoire du droit.

* Déclaration du 15 février 1788.

Déclaration du 3 novembre 1789, art. 22.

3 Déclaration du 30 avril 1780.

4 Déclaration du 29 janvier 1788.

5 Déclaration du 27 juin 1787.

§ II.

De quelle manière le parlement intervenait dans la législation.

L'histoire seule du parlement de Paris serait une grande partie de l'histoire de France, et la plus importante sans doute, puisque ce serait celle de notre législation, de notre gouvernement, de notre droit public intérieur.

Mais cette histoire est encore à faire; elle est tout entière dans les registres et dans les archives: qui jamais aura la patience, le courage et le loisir de l'en tirer?...

Je n'examinerai point ici quelle fut l'origine du parlement. Long-temps ambulatoire, il fut rendu sédentaire en 1302. Dès cette époque, le parlement se montre à nous comme étant la cour des pairs. Le roi la préside; on y enregistre les édits; on y juge les grands vassaux; on y débat les grandes affaires.

La nature de cet opuscule ne permet pas de développer par quel enchaînement de causes politiques cette compagnie, en l'absence des états-généraux qui seuls constituaient une assemblée vraiment nationale, était devenue vers la fin du XVIe siècle une espèce de puissance d'opposition, au moyen de l'enregistrement, sous prétexte de la vérification des lois et par suite de l'usage des remontrances. « A qui la France était-elle redevable de cette institution? Au temps et aux circonstances, répond le vénérable président Henrion de Pansey. Elle n'aurait pas traversé tant de siècles, si elle n'eût été que l'ouvrage des hommes. Sortie pour ainsi dire d'elle-même, des mœurs, des habitudes et de l'esprit général de la nation, on pouvait dire d'elle, prolem sine matre creatam 2. »

En effet, le parlement avait dû l'accroissement successif de son pouvoir principalement aux grands hommes qui lui avaient communiqué la force de leur caractère, et qui avaient répandu sur cet illustre corps l'éclat de leurs vertus. Ce fut leur ouvrage plus que celui du législateur. Supposez qu'en 1814 on eût voulu recréer le parlement par une loi ou par une ordonnance de réformation, on aurait pu dire: art. 1. « Le parlement est rétabli; » mais, il aurait fallu pouvoir dire: art. 2. « Il y aura des Servin, des Lamoignon, des Omer-Talon, des d'Aguesseau; » ou, ce qui revient au même : « Il y aura de la vertu, de la science, de la richesse, de l'énergie, de l'indépendance, etc., etc. »

De l'autorité judiciaire, introd. § 7.

Quoi qu'il en soit de ce pouvoir formé, pour ainsi dire, par alluvion, on doit mettre au rang des maximes les plus certaines de notre ancien droit français, que les cours souveraines avaient le dépôt des lois; que les lois devaient y être vérifiées librement, que ces mêmes cours étaient en possession de délibérer des remontrances; et que les édits et ordonnances qui n'avaient pas été enregistrés, ou qui ne l'avaient été que par force, n'étaient pas véritablement des lois 1.

Si le parlement a souvent joui de ce pouvoir dans toute son étendue, souvent aussi, il faut en convenir, ce même pouvoir lui a été contesté. Mais presque toujours, on ne peut le nier, l'avantage a fini par rester au parlement, par l'adresse avec laquelle il savait mettre l'opinion publique de son côté.

M. Henrion, dans son livre de l'autorité judiciaire, sous le paragraphe intitulé: Du parlement considéré dans ses rapports avec l'administration publique, et comme cour des pairs, donne une belle idée du caractère de l'opposition déployée par ce grand corps de magistrature. Il le représente comme un utile contre-poids dont l'intervention servait à rendre l'autorité plus douce, plus mesurée, et par conséquent plus durable.

J'ai montré quel était le mécanisme de cette opposition dans un article sur les œuvres d'Omer Talon, inséré dans la Revue encyclopédique de mai 1822. J'ajouterai que cette opposition, qui ne consistait que dans la force d'inertie, dans le refus d'adhérer aux mesures qui paraissaient contraires au bien de l'état, ou dans de simples protestations propres à en signaler les vices, n'avait point pour le trône le danger qu'ont présenté quelquefois d'autres assemblées délibérantes. Un corps de juges en robe et en bonnet carré ne pouvait pas aspirer à déplacer la royauté; une telle assemblée qui n'était point une véritable représentation nationale, quoiqu'elle affectât de se dire les états-généraux au petit pied, était insuffisante pour s'attribuer la

1 Je donnerai le développement convenable à ces assertions, et je produirai les autorités qui les appuient, dans les Recherches historiques que je publierai plus tard pour servir de complément à ce Précis. a Introd. § 7.

souveraineté ; à la moindre tentative d'usurpation, elle aurait vu se soulever contre elle tout les ordres de l'état.

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Des atteintes portées à l'existence du parlement, et de sa suppression.

« Nos rois, qui succédèrent à saint Louis, » dit Pasquier, « doivent au parlement trois et quatre fois plus qu'à tous les autres ordres politiques. Et, toutes et quantes fois que, par opinions courtisanes, ils se désuniront des sages conseils et remontrances de ce grand corps, autant de fois, ils perdront beaucoup du fonds et estoc ancien de leurs majestés, étant leur fortune liée avec celle de cette compagnie 1. »

Pasquier a dit vrai : il connaissait bien les ressorts de l'ancienne monarchie. En ruinant l'autorité des parlemens, on rendra le pouvoir absolu; mais en le rendant absolu, il se trouvera moins solide rien désormais ne semblera devoir résister à l'action du gouvernement, mais aussi il n'aura plus rien pour le soutenir dans sa faiblesse, ou le défendre de ses propres erreurs 3.

Richelieu, qui avait été obligé de chercher dans des tribunaux d'exception des juges complaisans que n'avait pu lui fournir le parlement, avait légué, dans son testament politique, une haine profonde à ces robes noires.

Il ne faut pas conclure de là que je regrette les parlemens, ni surtout que je les préfère aux assemblées nationales, et surtout aux chambres telles qu'elles sont instituées par la charte. J'apprécie l'institution des parlemens eu égard au temps de leur existence. Ce temps est passé pour Loujours. Mais leur bon esprit d'opposition peut leur survivre toutes les fois que le ministère voudra exiger des cours des actes de servilité ou de despotisme.

Recherches, livre 3, chap. 22. Voy. encore le Pourparler du prince, page 1036.

3 Charles X avait dit avec raison à sa cour royale de Paris : « Je vous donne la force par ma puissance, et vous me la rendez par la justice. » M. le P. P. Séguier dans une occasion mémorable où la cour venait de justifier cette belle parole par un bel arrêt, fit bien de la rappeler au roi, et montra qu'il en avait compris tout le sens en disant cette simple expression du gouvernement de vos aïeux.... En effet nos meillears rois sont remarquables surtout en cela qu'ils voulaient que dans leurs états la puissance publique fût exercée par justice et non à discretion. LOYSEAU, des Seigneuries, chap. 2, n° 9.

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