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Sa dynastie était fondée; elle paraissait solidement établie.

Sous l'empire, la grandeur du chef rejaillissait sur les délégataires de sa puissance; les fonctions publiques étaient la source d'une grande considération.

La Légion-d'Honneur, fondée sous le consulat, et décernée avec mesure et discernement, devint le principe d'une immense émulation.

L'ordre judiciaire reçut un grand éclat par l'institution et l'organisation plus développée des cours impériales qui, depuis l'an VIII, avaient commencé, sous le titre plus modeste de tribunaux d'appel, à remplacer les simples tribunaux de district.

Il institua une cour des comptes.

Le tribunal de cassation, à l'exception du titre de cour qui lui fut attribué par un sénatus-consulte du 28 floréal an X, n'eut besoin que de rester avec les attributions dont la loi de son institution l'avait investi, pour conserver la haute considération qu'il s'était acquise dès les premiers temps de son existence.

L'ordre des avocats fut rétabli ; et la première dignité de l'état, celle d'archichancelier, fut environnée d'un grand lustre dans la personne de Cambacérès, célèbre comme jurisconsulte avant de monter au rang de prince de l'empire.

Le conseil d'état comptait dans son sein les jurisconsultes les plus instruits. Avec leur secours, Napoléon poursuivit l'œuvre de sa législation : il promulgua successivement les codes de procédure, de commerce, d'instruction criminelle, et pénal.

Cette législation fut un bienfait réel. Sans doute elle avait ses défauts; mais elle nous tira du chaos d'une foule de lois incohérentes et de difficile application. Nulle autre volonté que celle de Napoléon n'eût pu faire aussi bien et aussi promptement.

Pourquoi cet homme extraordinaire a-t-il abusé de son pouvoir! Pourquoi, donnant des lois, n'a-t-il pas su les respecter! Auteur de la constitution de l'an VIII, il l'a renversée. Fondateur de l'empire, il n'a voulu rester lié par aucune des conditions attachées à son élévation. Il a sup

primé le tribunat, réduit le sénat conservateur à l'impuissance de rien conserver. Malgré la docilité bien éprouvée du corps législatif, il aima mieux procéder par de simples décrets. Il interpréta les lois selon son caprice, les changea de sa propre autorité, étendit outre mesure l'usage des conflits de juridiction, poussa jusqu'à l'impunité F'exécution de l'article 75 de sa constitution, pour couvrir de son égide les fonctionnaires qui violaient les lois au profit de son despotisme. Il violenta quelquefois les jugemens, ne respecta pas toujours la décision même des jurés! D'autres fois, il disposa des hommes, de leur liberté, de leurs propriétés, de leurs droits, sans forme ni apparence de jugement!

S'il méconnaissait le droit constitutionnel de son propre état, et le droit privé des citoyens à l'intérieur, il ne respectait pas davantage le droit des gens. Sur mer, il ordonna des prises illicites; sur terre, après de glorieux combats pour la défense du territoire français, la soif des conquêtes s'empara de lui, il se rua successivement sur les peuples, fit la guerre pour la guerre, non seulement à tous ses voisins, mais si loin, que, malgré tout l'héroïsme de son armée, tant de gloire n'aboutit qu'à ameuter contre nous tous les peuples de l'Europe, à attirer sur la France de terribles représailles, et finalement à rendre possible la restauration des Bourbons, devant lesquels il abdiqua le 11 avril 1814.

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Ramené par l'étranger, Louis XVIII se croyait dans la plénitude de ce qu'il n'avait jamais cessé de regarder comme son droit propre, le droit de sa naissance, le droit de ses ancêtres, son domaine.

Il était cependant trop éclairé pour céder à la cohue de ses co-émigrés, qui auraient voulu lui voir rétablir l'aneien régime par ordonnance.

Il comprit que la chose n'était pas possible; et, pour éviter l'initiative du sénat, qui s'était hâté de demander la conservation de la noblesse nouvelle et de toutes ses pensions, il donna la déclaration de St-Ouen.

Cette pollicitation (Solius offerentis promissio) fut bientot suivie de la promulgation d'une charte.

Dans le préambule de cet acte royal, Louis XVIII ne dissimule pas que « une charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume. Nous l'avons promise, dit-il, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, nos prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice suivant la différence des temps. » Louis XVIII consentira donc à modifier la sienne, et la charte sera octroyée.

A ces causes, dit-il à la fin d'un assez long préambule, nous avons volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, accordé et accordons, fait concession et octroi à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs et à toujours de la charte constitutionnelle qui suit. »

Du reste, il faut le dire, si cette forme d'octroi blessait le sentiment national, la charte, en soi, parut en général répondre suffisamment aux besoins de la situation.

Deux chambres, impossibles avec succès en 1791, promettaient de bons résultats en 1814. La prérogative royale était fortifiée sans être excessive; les droits publics des Français, comme hommes et comme citoyens, étaient reconnus et proclamés, la liberté de la presse, le jury, les autres institutions nées du sein de la révolution étaient maintenues par la lettre de la charte; son esprit n'y paraissait pas contraire : on était tenté de croire que Louis XVIII avait conservé un peu de cet esprit libéral dont il se montrait animé le 26 déc. 17892; on ne demandait qu'une exécution sincère; et, de fait, la charte était acceptée.

Mais un parti incorrigible, qui n'avait rien oublié ni rien appris, se mit à maudire la charte comme il avait détesté la révolution. Les inquiétudes qu'il causa ramenèrent Napoléon et les cent-jours. Au second retour de Louis XVIII, et lorsqu'il reconnaissait lui-même que son gouvernement

Ce qui du moins n'avait point été sans contradiction. Vide suprà, p. 141. Voyez ci-dessus, p. 153.

avait fait des fautes, il aurait dû chercher à les éviter : loin de là, ce même parti, qu'on aurait pu croire timide à ne juger que le passé, montra une fureur implacable. De vieux souvenirs furent exhumés; l'oubli promis par la charte fut révoqué; des proscriptions eurent lieu sous couleur d'amnistie par une loi menteuse, et par ordonnance du roi sans jugement! Les proscrits furent encore les plus heureux : ils échappèrent! A l'intérieur les cours prévôtales furent instituées, le fatal tombereau parcourut les départemens du Rhône et de l'Isère; le télégraphe porta des arrêts de mort; on alla de réaction en réaction, et toute celle période fut marquée par une suite non interrompue d'accusations politiques, de condamnations et de supplices! A aucune époque le barreau n'eut de plus grandes causes à défendre que sous la restauration.

Bientôt ce parti, qu'on supposait entièrement politique, se couvrit du manteau religieux. Les jésuites et leur influence, toujours funeste au repos des états, se révélèrent par l'existence de la fameuse congrégation, qui, répandue dans tous les rangs de la société, cernait les fonctionnaires de toutes les hiérarchies, les dominait ou leur imposait, agitait les masses par les missions; préparait les associations d'ouvriers, et gagnait jusqu'à l'armée !... Cette faction, que l'illustre et courageux Montlosier nomma le parti-prêtre, poussait à l'absolutisme! La charte lui faisait obstacle, soit parce qu'elle consacrait la liberté des cultes et le principe d'une égale protection pour chacun d'eux, soit parce qu'elle admettait la liberté de la presse, et celle de la tribune, adversaires si puissans du fanatisme et de l'hypocrisie !

Tant que Louis XVIII a vécu, la congrégation appelée aussi gouvernement occulte, ne pouvait pas prétendre au renversement de la charte dont ce monarque était l'auteur. Mais on le poussait à en fausser sans cesse l'application, par les lois qu'on nomma sous ce règne, lois d'exception, parce qu'elles prenaient la place des règles et du droit

commun.

Aussi l'on suspendit la liberté individuelle, on renouvela la loi des suspects, et l'on poussa la tyrannie jusqu'à poursuivre devant les tribunaux les honorables citoyens qui

avaient ouvert une souscription en faveur de ceux qui seraient détenus sans jugement!

La liberté de la presse, sans cesse entravée par de gênantes restrictions, fut à plusieurs reprises opprimée par une censure étroite et bigote.

Du reste, aucune loi importante au civil ne fut portée, si ce n'est le droit donné au clergé de recevoir des donations immobilières, et la loi qui abolit le titre du code civil relatif au divorce; changement que j'approuve en luimême comme acte de morale et de bonne législation, mais que je signale à cause de la couleur purement catholique, apostolique et romaine, qu'on affecta, dans la discussion, de donner à cette abolition.

En 1824, Charles X monta sur le trône, qu'on affectait plus que jamais d'appeler le trône de saint Louis! Charles X, le prédestiné de l'émigration, le messie du parti jésuitique!

Cependant ses prémisses semblèrent démentir de mauvais antécédens ; à son entrée dans Paris il avait prononcé un mot heureux, « Point de hallebardes, plus de censure! » On lui en sut gré. De sinistres appréhensions semblèrent s'évanouir; on lui supposait tant de bonne foi, qu'on le surnomma le roi-chevalier. Ce nom lui fut donné pendant quelque temps.

A son sacre, il jura la charte! Eut-il alors ou depuis des dispenses pour la violer plus tard?...

Quoi qu'il en soit, son instinct dévot et aristocratique ne tarda pas à prendre le dessus.

Une première loi rétablit les communautés religieuses de femmes : c'était un pas pour arriver au rétablissement des couvens et des moines.

Une autre loi institua des peines atroces contre le sacrilége, malgré les éloquentes réclamations de M. Royer-Colard. Les émigrés, fidèles compagnons d'exil du roi-chevalier, reçurent un milliard à titre d'indemnité.

La charte cessa d'être imprimée dans l'almanach royal. A des accusations jusque-là précises et caractérisées contre la presse, on vit succéder des procès de tendance... dont l'indéfini pouvait tout atteindre, si les corps judiciaires eussent voulu s'y prêter !

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