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SECTION VII.

Des subtilités.

31.On rencontre parfois des professeurs qui font consister toute leur habileté, non à expliquer de saines opinions, mais à fronder des maximes reçues universellement comme bonnes et utiles, et à les combattre uniquement parce que ces maximes viennent d'autres que d'eux. Ils sont possédés de la manie du sophisme, et ils étouffent la vérité sous leurs fictions, pour paraître d'autant plus subtils, et dire qu'ils ont enfin trouvé ce que tous leurs prédécesseurs n'avaient jamais soupçonné. Commentis veritatem obruunt, dit Duaren, quò aliquid paulò argutiùs nec ab aliis ante excogitatum in medium adduxisse videantur. Ils ne sont que de leur avis, et ils croiraient s'abaisser

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S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux.

Semblables à ces philosophes qui, par des raisonnemens captieux, ébranlent les fondemens de la certitude humaine, on dirait qu'ils veulent introduire dans la justice un dangereux pyrrhonisme, qui, par les principes éblouissans d'un doute universel, rend tous les principes incertains et toutes les preuves équivoques. La plupart de ces théories ne sont pas même comprises des jeunes gens; mais souvent il arrive précisément que parce qu'elles sont incompréhensibles, hardies, elles surprennent plusieurs d'entre eux, qui les admirent d'autant plus volontiers qu'ils n'y comprennent rien; se figurant que ce qui est au-dessus de leur intelligence doit être quelque chose de bien beau, et pour ainsi dire le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Au contraire, ces mêmes jeunes gens haussent les épaules lorsqu'on leur propose des vérités simples et évidentes; et parce qu'elles ont moins d'éclat que de solidité, ils les dédaignent comme des puérilités :

Omnia enim stolidi magis admirantur amantque
Inversis quæ sub verbis latitantia cernunt.

LUCRET., lib. 1, v. 642.

Pour moi, je hais les subtilités, et j'appliquerai volontiers à ceux qui les professent ce que Caton disait des arus

pices, qu'il ne concevait pas qu'ils pussent se regarder sans rire. Misérables sophistes, c'est par eux que la science du droit, qui devait être la plus aisée comme elle est la plus noble de toutes, est devenue difficile et embarrassante, au point que le plus dur travail et la plus longue vie suffisent à peine pour l'acquérir !

Au lieu de faire naître des contradictions dans les lois, qu'un bon professeur s'attache à les faire disparaître; qu'il ait toujours l'équité devant les yeux; qu'il ne sépare point le droit de la justice, et qu'il abandonne l'esprit de chicane à l'esprit d'intérêt. Jus enim semper quærendum est æquabile, neque enim aliter jus esset. Cic. de Offic. lib. 2, cap. 12, n. 4.- Qui aliter jus civile tradunt, non tam justitiæ quàm litigandi tradunt vias. Cic. de Legib., lib. 1.

SECTION VIII.

Des déclamations.

32. Je pourrais prendre un autre titre qui peut-être rendrait mieux ma pensée. L'idée m'en est suggérée par la disposition actuelle des esprits, les uns trop portés, dit-on, à l'insubordination, et les autres trop enclins à la servilité. Je ne donne la préférence à aucune de ces tendances, je les condamne et je les déplore également toutes deux.

Elles sont dangereuses chez les élèves, car les factieux et les esclaves sont de mauvais citoyens. Elles sont répréhensibles chez les maîtres, car on peut bien quelquefois excuser les écarts d'une jeunesse inexpérimentée ; mais on ne peut jamais approuver un maître qui contribuerait par ses leçons à égarer ceux qu'il est chargé de conduire.

Pour éviter des expressions plus sévères, je me contenterai de condamner, sous le titre de déclamation, toute excursion qu'un professeur essaierait de faire sur des questions étrangères au sujet de son cours, soit qu'il en prît occasion d'accréditer la doctrine inconstitutionnelle du pouvoir absolu, soit qu'il voulût s'en servir pour préconiser des idées démagogiques.

Le droit civil, le droit commercial et la procédure ne

fournissent guère matière à ces sortes d'épisodes. Il faut le vouloir avec obstination, employer ce que les rhéteurs appellent un te faciam benè venire, pour introduire des discussions politiques dans l'interprétation des lois sur les hypothèques, les saisies-arrêts et les faillites. Ainsi l'écueil est facile à éviter pour ceux qui occupent ces diverses chaires dans l'enseignement du droit.

J'admets cependant que le sujet s'élève tout à coup, et comme à l'improviste, par la rencontre d'un texte, tel, par exemple, que celui-ci : Princeps solutus est legibus. Le professeur devra sans doute faire remarquer à ses élèves que cette prétendue maxime, introduite dans la législation romaine pour flatter les chefs du Bas-Empire, est opposée aux maximes qui gouvernent les monarchies tempérées, et qu'elle est surtout incompatible avec notre gouvernement constitutionnel. Il niera donc que le caprice du prince puisse l'emporter jamais sur la volonté de la loi. Mais qu'en se montrant l'ami des lois, on ne puisse pas le soupçonner d'être l'ennemi d'une juste subordination; s'il ne doit pas mettre le prince au-dessus des lois, il ne doit pas non plus le ravaler en quelque sorte à la condition de sujet; qu'il commence, au contraire, par bien inculquer dans l'esprit de ses élèves ce que l'autorité royale a de grave et d'imposant, et ce qu'elle doit avoir de force, dans l'intérêt même de la vraie liberté; qu'il leur rappelle sans cesse que la personne du roi est inviolable et sacrée ; que le roi ne peut pas mal faire; que ses ministres seuls sont responsables; que seuls, par conséquent, ils sont criminels quand ils veulent que l'arbitraire de leurs actes l'emporte sur l'immuable volonté des lois.

Avec ces préparations, le professeur n'aura pas à craindre que sa pensée soit mal saisie, mal interprétée, et désormais il pourra s'écrier avec d'Aguesseau :,« Les plus nobles images de la divinité, les rois que l'Ecriture appelle les dieux de la terre, ne sont jamais plus grands que lorsqu'ils soumettent leur grandeur à la justice, et qu'ils joignent au titre de maîtres du monde, celui d'esclaves de la loi. »

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Le professeur aura-t-il, au contraire, à expliquer une maxime libérale; celle-ci, par exemple, qu'on lit dans la

loi 106, ff. de Reg. jur. : Libertas inestimabilis res est; qu'il montre à ses élèves la honte et la nudité de l'esclavage; qu'il déverse hautement le mépris sur ces Romains qui, nés libres, avaient la bassesse de se vendre ad pretium participandum. Qu'à cette dégradation il oppose que, suivant notre code civil, on ne peut engager ses services qu'à temps; que chez nous, en effet, la liberté des personnes ne peut être mise à prix; qu'elle n'est pas dans le commerce, et qu'elle est, en quelque façon, du domaine blic libertas, non privata, sed publica res est. Ces idées élèvent l'ame de la jeunesse ; elles n'offrent aucun danger pour l'ordre public, et n'ôtent rien à la puissance de la loi.

pu

J'en dirai autant de ces autres maximes: omnes homines æquales sunt, 1. 32, ff. de Reg. juris ; et omnes liberi nascuntur. Instit. de Libertinis.. Notre professeur enseignera que ces maximes ne sont pas seulement celles des républiques, qu'elles sont aussi celles de la vieille comme de la nouvelle France; qu'on les retrouve dans les anciennes ordonnances de nos rois aussi bien que dans la charte constitutionnelle. « Comme, selon le droit de nature, chacun doit être franc....., » dit Louis-le-Hutin dans l'un de ses édits; en conséquence, il voulait «< que dans le royaume des Francs, la réalité répondît au nom. » Ces idées étaient tellement entrées dans nos mœurs, que, même sous l'ancien régime, tout esclave de nos colonies, qui abordait en France, devenait libre à l'instant. - Louis XVIII, dans sa charte de 1814, reconnaît et proclame aussi que tous les Français sont égaux, et la charte de 1830 n'a pu aller au-delà.

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Voilà, certes, la doctrine de la liberté et de l'égalité bien établie..... Mais, professeur, insistez fortement sur ce que c'est de l'égalité devant la loi qu'il s'agit, et non de cette égalité de fait qu'il n'existera jamais entre le riche et le mendiant, l'homme laborieux et le fainéant, l'homme industrieux et l'homme inavisé ; le roturier de génie et le sot d'ailleurs le mieux titré 1. Expliquez, avec une égale

La même pensée a été mieux rendue encore et par une voix qui doit faire autorité en cette matière, celle d'un roi. « L'égalité des droits, voilà

force, que la vraie liberté est fondée sur l'exacte observation des lois, sur la soumission aux magistrats, sur un profond respect pour les droits d'autrui; qu'elle n'est pas dans la licence; et que le plus sûr moyen de la compromettre, ou même de la perdre, serait d'en abuser.

Si je conseille ces justes ménagemens aux professeurs qui n'ont à traiter de sigraves sujets qu'accidentellement, et, pour ainsi dire, en passant, combien ne sont-ils pas plus nécessaires pour ceux qui enseignent le droit naturel et le droit public!....

Pour eux, surtout, je le répète, qu'ils ne se fassent point les lâches apôtres de la servitude; mais, pour l'honneur comme pour l'intérêt de la liberté, qu'on ne puisse pas non plus les accuser de prôner les doctrines insurrectionnelles d'une basse démagogie.

Plus le char de lumière qu'ils conduisent doit répandre de vives clartés, et moins ils doivent oublier les sages conseils donnés à Phaéton :

Nec preme, nec summum molire per æthera currum :
Altiùs egressus cœlestia tecta cremabis;

Inferiùs, terras: medio tutissimus ibis.
Inter utrumque tene...

SECTION IX.

Du choix d'un livre élémentaire.

33. J'ai dit que le professeur, pour faciliter aux élèves le moyen de rattacher les conséquences aux principes, devait leur indiquer un ouvrage élémentaire où ces principes fussent tous exposés avec clarté, liés avec méthode, énoncés avec précision.

Ce choix dépendra de lui, et mon dessein n'est pas de

ce que nous avons voulu que chacun puisse parvenir à tout ce que ses facultés, son éducation, ses talens, lui donnent le droit d'atteindre, et alors le véritable vœu national sera satisfait; la véritable égalité sera protégée contre toutes les exagérations qui la détruisent. Il faut nous préserver de ne savoir pas reconnaître et honorer la supériorité du talent, de la propriété, de la richesse, et enfin celle de toutes les illustrations. Montrons que si nous n'avons pas voulu de l'aristocratie du privilége nous voulons l'aristocratie de la grandeur d'ame, de l'habileté, du talent, et des services rendus à la patrie. » (Louis-PHILIPPE, aux fabricans.)

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