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l'influencer. D'ailleurs je le tenterais en vain; car chaque professeur, trouvant son avantage pécuniaire à fabriquer pour son compte un ouvrage qu'il vend à ses élèves, il en résulte trop souvent que ceux-ci sont forcés de préférer les rapsodies de Forcadel aux doctes élucubrations de Cujas.

J'observerai seulement que le professeur de droit français ne devrait peut-être pas choisir d'autre texte de ses leçons que le code civil. D'abord parce que nous n'avons encore sur notre droit français aucun ouvrage qui réunisse les qualités que j'ai indiquées; et ensuite parce que le code civil, par lui-même clair et concis, et distribué dans un ordre, sinon parfait, au moins meilleur que tous les abrégés du droit qui ont paru jusqu'à présent, offre encore aux étudians l'avantage inappréciable d'apprendre la loi dans la loi même, et de puiser dans la source la plus pure, la plus vive et la plus abondante de notre législation moderne.

Multùm crede mihi refert à fonte bibatur

Que fluit, an pigro quæ latet unda lacu.

CHAPITRE III.

Des examens et des thèses.

34. Les examens ont pour but de s'assurer du degré de capacité de l'élève; ils montrent aussi le degré d'habileté du professeur, puisqu'on peut juger de celui-ci par ses questions, comme on doit juger de celui-là par ses réponses.

Il est donc important de donner quelques règles sur cette matière.

Toutefois je me bornerai à parler des examens ou actes publics qui prennent le nom de thèses, parce que ceux-là seuls intéressent le public, et lui donnent à juger des professeurs et des élèves.

35. L'acte public consiste à répondre aux argumentations qui sont faites contre les propositions avancées dans la thèse. De l'attaque et du soutien de ces propositions naît une dispute qui n'est autre chose que la comparaison exacte et bien raisonnée de deux sentimens contraires l'un à l'autre, c'est-à-dire de la thèse et de l'antithèse. D'où je conclus d'abord que les contendans ne doivent pas se proposer pour but une vaine gloriole, mais la recherche

de la vérité.

36. De cette première conséquence, j'en infère une seconde, savoir: qu'on doit bannir de l'argumentation l'animosité, les surprises qui approcheraient de la mauvaise foi, et toutes les expressions qui pourraient paraître offensantes.

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Procul omnis esto
Clamor et ira.

HORAT.

37. Comme la dispute naît de la comparaison de la thèse avec une proposition contradictoire, il est évident 1o que c'est à l'élève à proposer la thèse qu'il doit soutenir, et que c'est au professeur à émettre l'argument contre cette thèse; que s'il y a quelque louche dans la thèse, l'élève doit le faire disparaître, et dissiper toute espèce d'obscurité, pour éviter de tomber dans une vaine dispute de mots 1; 30 que le professeur doit désigner clairement et positivement la proposition qu'il veut impugner. C'est de là que naît cette partie de la dispute qu'on nomme l'état de la question, et qui constitue à juste titre le premier point de

toute controversė.

En effet, si l'état de la question n'est pas bien fixé, c'est en vain qu'on disputera. Toujours des contendans s'évite

'Telle est la réflexion de Locke: « Et si les hommes voulaient dire * quelles idées ils attachent aux mots dont ils se servent, il ne pourrait " y avoir la moitié tant d'obscurité ou de dispute dans la recherche ou dans la défense de la vérité, qu'il y en a. » Essai sur l'Entendement humain, Tome 3, p. 211.

ront, et chacun d'eux, s'il ne peut échapper autrement à son adversaire, se rabattra sur des objets différens de ceux dont il s'agit. Aussi, dans nos tribunaux, on n'aḍmet le défendeur à plaider qu'après qu'il a posé des qualités, c'est-à-dire pris des conclusions contraires à celles du demandeur ; de là naît notre litis-contestation, qui revient à ce que les Romains appelaient causæ conjectio, quá litigatores antequàm ageretur causa, rem per indicem exponebant et causam in breve suam cogebant.

38. Ainsi, la fixation de l'état de la question a pour objet de montrer distinctement quelles sont les propositions non contestées, et quelle est celle qui doit faire le sujet de la dispute.

Supposons, par exemple, que dans une thèse de droit romain, le candidat se soit exprimé en ces termes : Pignus est contractus re initus, bonæ fidei, quo res à debitore creditori in securitatem crediti traditur soluto debito in specie restituenda. Il n'y a là qu'une seule proposition générale, savoir une définition: mais elle se compose de plusieurs autres propositions. C'est pourquoi le professeur, avant de l'attaquer, devra désigner quelles sont les propositions qu'il n'entend pas contester, et quelle est celle qu'il s'attachera à réfuter. Par exemple, il dira: 1o se non negare PIGNUS ESSE CONTRACTUM ; 2o multò minùs negare EUM contractum esse bonæ fidei; 3o concedere se etiam, PIGNUS TRADI POSSE; 4o et si tradatur, ID FIERI IN SECURITATEM CREDITI; 5o denique extra litem esse, PIGNUS TRADITUM SOLUTO DEBITO RESTITUENDUM ESSE. — Unam superesse quæstionem, de quá jam agendum sit, nempe AN PIGNUS OMNE SIT CONTRACTUS RE INITUS? Affirmari hoc à respondente in thesi; sibi verò veriorem videri antithesin: QUODDAM PIGNUS NON esse CONTRACTUM RE INITUM. Alors chacun verra que c'est sur cette seule proposition que porte l'objection, et que devra porter la réponse.

39. Mais il ne doit pas suffire au professeur de dégager ainsi la proposition qu'il veut attaquer, de celles qu'il n'entend pas contester. Il doit opposer formellement sa proposition à celle de l'élève, et le faire par un raisonnement dont la conclusion soit l'antithèse même qu'il aura émise en fixant l'état de la question.

Ainsi, en conservant l'exemple que nous avons déjà posé, le professeur raisonnera comme il suit : 1. Qui contractus obligat ex solo consensu, contractus re initus.

is non est

2. Quidam contractus pignoris obligat ex solo consensu. 3. Quidam ergo contractus pignoris non est contractus re initus.

On voit que cette conclusion renferme précisément l'antithèse, c'est-à-dire la proposition opposée à la thèse.

40. Cela fait, le candidat doit reprendre sommairement l'argument, et le répéter. Il est nécessaire d'en user ainsi, pour s'assurer que le candidat a suffisamment saisi l'argument du professeur.

41. L'élève doit ensuite examiner si le raisonnement du professeur ne pèche pas par la forme: car, s'il n'est pas régulièrement fait, s'il pèche contre les règles de la logique, le candidat doit soutenir le professeur purement et simplement NON RECEVABLE dans son argument.

42. Quoique l'argument soit en forme, si cependant il est faux en soi, c'est qu'il renfermera dans l'une ou l'autre de ses prémisses quelque proposition inexacte: ainsi le candidat devra nier cette proposition; ou bien, s'il ne voit pas encore où tend cette proposition, il en exigera séparément la preuve.

43. Le professeur, ainsi pressé, deviendra une espèce de Protée; il se repliera dans tous les sens, et le plus souvent il essaiera de se sauver par des pétitions de principe :

Sed quantò ille magis formas se vertet in omnes,
Taniò, nate, magis contende tenacia vincla ;
Donec talis erit, mutato corpore, qualem

Videris incepto, etc.

Il faudra donc enfin que le professeur entame la preuve de son argument: ainsi, je suppose que, dans l'espèce posée, le candidat ait nié la mineure ; le professeur devra la prouver directement. Je dis directement, car il ne prouverait rien, si, au lieu d'une preuve directe et positive, il se jetait sur des lieux communs, et débitait à grands frais que, suivant le droit naturel, on doit tenir toutes ses promesses; que la distinction des contrats en quatre

espèces, suivant qu'ils se forment, re, verbis, litteris, consensu, appartiennent aux subtilités du droit romain, et que cette vérité a été reconnue depuis long-temps par les plus habiles docteurs. Il fera mieux de prouver ainsi sa mineure en peu de mots :

1. In quo contractu ex sole promisso, actio datur ad rem tradendam, in eo obligatio ex solo consensu nascitur,

2. In quodam contractu pignoris actio ex solo promisso datur ad rem tradendam.

3. Ergo quidam contractus pignoris ex solo consensu nascitur.

44. Si ce dernier raisonnement n'est pas plus juste que le premier, le candidat devra encore en indiquer les défectuosités, ou exiger une nouvelle preuve de la prémisse contestée; et il en usera de la sorte tant qu'il ne sera pas parvenu à remonter au principe sur lequel le professeur à construit son argument.

Soit donc que le candidat nie la mineure du second syllogisme, le professeur la prouvera par la loi 1. in pr. § 1. de pignerat. act. Et partant, il argumentera en ces

termes :

1. Si pignus contrahitur nudá conventione citrà traditionem, actio dabitur ex solo promisso ad rem tradendam. At contrahitur nudá conventione citrà traditionem per l. 1. pr. ff. d. t. Actio ergo tunc dabitur ex solo promisso. 2. Si quis aurum ostendens æs creditori dedit, ad aurum tradendum conveniri potest; sequitir, ut ex solo promisso citrà traditionem nascatur actio illa pigneratitia. At prius verum est per dictam l. 1. § 1. Ergo et posterius.

De cette manière, les choses sont amenées au point que le candidat voit clairement sur quoi repose l'argument qui lui est proposé, et se trouve à son tour dans l'inévitable nécessité de résoudre cet argument par sa réponse.

45. Cette réponse doit contenir la solution de l'argument, et renfermer la négation de quelqu'une des propositions avancées contre la thèse ; car nous avons vu que la subversion de l'une ou de l'autre des prémisses entraînerait la ruine de l'argument.

46. Il faut que la réponse soit catégorique; elle peut l'être de diverses manières.

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