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AVANT-PROPOS.

(ÉDITION DE 1828.)

Je n'entreprends point un traité sur l'art de faire des lois, et de donner aux peuples, sinon les meilleures possible, du moins les meilleures qu'ils puissent recevoir. Il faut laisser ce soin aux génies d'un ordre supérieur à Platon, à Cicéron, à Montesquieu, à Bacon.

On ne trouvera point ici une utopie; je fais un livre de droit, et non un livre de législation; sans m'interdire d'indiquer parfois ce qui, selon moi, devrait être, je m'attache plus particulièrement à expliquer ce qui est.

Je le fais en bref, suivant ma coutume. Ceux qui aiment les ouvrages de longue haleine pourront m'en blámer et m'attaquer avec la formule banale: « Pourquoi n'avez-vous pas traité ce sujet en grand?» Je leur répondrai: « J'aime les petits livres, quand ils sont l'expression exacte, quoique abrégée, de ce qu'on pourrait dire avec plus de développement et de diffusion. On les lit plus volontiers ; ils se répandent davantage dans le public; ils sont plus généralement utiles.

Je continuerai donc sur le même plan, en m'efforçant de réduire à leur plus simple expression quelques notions générales sur la justice, le droit et les lois.

Si ces notions sont superflues pour les hommes habiles qui, dans tous les états, sont toujours en petit nombre, j'espère que précisément en raison de ce qu'elles sont élémentaires et tracées pour un étudiant..., elles conserveront leur utilité pour cette jeunesse laborieuse, qui se presse derrière nos rangs, et qui doit bientôt entrer en ligne avec nous.

Le temps où nous vivons est mémorable! il faut en profiter. A quelle autre époque, dans l'histoire du monde, viton, comme de nos jours, presque tous les peuples de la

terre travailler avec autant d'émulation et d'ardeur à fonder leur liberté sur l'empire des lois?

Des leçons du passé le présent se féconde :

Un monde rajeuni sort des flancs du vieux monde ;
La liberté du peuple est un décret des cieux!

Regrette qui voudra le bon vieux temps! les modernes ont devant eux un trop vaste champ pour se renfermer dans le cercle étroit où s'agitaient jadis les intérêts de l'humanité. Chacun de nos contemporains, fier du présent et plein de confiance dans l'avenir, peut s'écrier avec le poète de la jeunesse.

Prisca juvent alios: ego nunc me denique natum

Gratulor.

Déjà les rois, ceux du moins qui joignent à la conscience de leurs forces le sentiment de leurs véritables intérêts, entrent dans cette noble carrière de la civilisation, et de la liberté. Le mot royal plus de censure a passé le Rhin. Témoin cette sage réponse du nouveau roi de Bavière à l'allocution des professeurs de l'Université de Munich :

« Rien, dit ce monarque, ne m'a plu davantage dans votre discours que la manière dont vous vous êtes exprimés sur l'indépendance des études scientifiques, et sur la liberté que réclament les communications de l'enseignement.

« C'est chez moi une vive et profonde conviction que toute entrave, toute censure, même la plus équitable, ne peut avoir que de funestes effets; parce qu'au lieu d'une confiance réciproque, qui peut seule faire prospérer les choses humaines, elle crée partout le soupçon.

« Toute liberté sans doute est exposée à l'abus, comme toute loi à l'empiétement. Mais j'ai la force et la volonté de prévenir ce danger.

« Je veux la religion; mais je la veux dans les cœurs, dans les pensées, dans les actions.

« Je veux la science, mais dans tout son développement, dans toute son action; et je m'estimerai heureux de voir le pays qui m'est confié, appelé à de rapides progrès dans cette noble carrière.

« Je compte sur vos efforts pour atteindre ce but; songez que toute cette jeunesse est l'espoir de la patrie........... !

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A SON ALTESSE ROYALE

MONSEIGNEUR

LE DUC DE CHARTRES '.

Monseigneur,

Vous êtes peut-être, parmi les princes de nos jours, le seul qui entrepreniez d'étudier la jurisprudence. Cette étude, la plus négligée dans le haut rang où vous êtes placé, est cependant la plus nécessaire. J'en suis si convaincu, qu'il y a déjà trois ans (en 1825), j'avais jeté le plan d'un cours de droit à votre usage, dans un écrit que j'adressai au prince votre père, sous ce titre : De la Ñécessité, pour un prince constitutionnel, d'étudier les principes généraux du droit.

Ces idées furent accueillies, et je suis appelé aujourd'hui à l'honneur de les réaliser.

Je crois, monseigneur, qu'en vous y appliquant un peu, vous en retirerez le plus grand fruit; surtout pour l'étude de l'histoire, qui n'est jamais mieux éclairée que par les lois, et qui doit être le plus sérieux objet de vos méditations : « Car, à vrai dire, la méthode qu'on tient ès escho« les à enseigner la langue latine, fait perdre quasi meil« leure partie de la vie de l'homme. La science civile, celle

1 Précisément parce que ces leçons ont été professées à un jeune prince, devenu depuis héritier présomptif de la couronne, je n'ai pas. voulu rien changer, afin que l'on vît à quel point les principes que j'ai cherché à lui inculquer sous les règnes de Louis XVIII et de Charles X étaient constitutionnels et conformes à nos idées d'aujourd'hui. Je me suis contenté de mentionner en note les changemens apportés à quelques points par la législation postérieure à 1828.

« des mœurs et de l'histoire, sont la vraye étude et la vraye << doctrine des rois et des princes 1. »>

Si une certaine connaissance du droit est nécessaire à tous les princes, même sous les gouvernemens absolus, elle est bien plus indispensable encore aux princes appelés à vivre sous un régime constitutionnel.

Cette espèce de gouvernement, en effet, n'est autre que le règne de la loi. Son principal caractère consiste dans la Jiberté qu'a le plus obscur citoyen de dire au fonctionnaire le plus élevé, aux ministres, au roi lui-même : Vous voulez faire telle chose..... vous n'en avez pas le droit 2.

Comme prince du sang, comme pair de France, comme apanagiste, comme citoyen, vous devez, monseigneur, connaître les lois de votre pays, pour défendre les intérêts publics quand vous serez appelé à les protéger, et pour défendre vos intérêts personnels, s'ils étaient menacés. Il faut connaître son droit pour y rester ferme, et le droit d'autrui pour ne pas le blesser.

Du reste, il ne s'agit point de vous faire descendre aux dernières applications de la jurisprudence; je ne prétends ni vous surcharger de ces détails qui rapetissent les idées, ni vous proposer ces utopies où l'esprit trop facilement s'égare, mais vous tenir constamment à la hauteur de ces principes généraux, dont l'exacte intelligence suffit à un cœur droit et à un esprit juste, pour en déduire avec fermeté des conséquences nettes et des applications utiles.

Je m'attacherai en chaque matière à distinguer ce qui est du droit naturel et du droit positif. Je vous donnerai souvent la législation à deviner, et je suis sûr que vous vous rencontrerez avec le législateur partout où le législateur lui-même ne se sera pas écarté de la raison naturelle.

Mais il est temps d'entrer en matière, car je m'aperçois déjà que j'ai employé des expressions dont vous attendez la définition.

Rosier des guerres, ouvrage composé par Louis XI, pour l'éducation de son fils (Charles VIII).

2 Maximes du droit public français, tome 2, page 339.

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