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celier d'Aguesseau que « la loi c'est le contrat commun ; » parce que les lois dérivent toutes du pacte social, exprès ou tacite, d'après lequel les citoyens se sont réciproquement promis d'obéir aux lois.

Enfin la loi, considérée relativement à son but, à son action sur la société, peut être définie selon les jurisconsultes de l'ancienne Rome, un commun précepte2, parce qu'il est de sa nature d'être la même pour tous, d'embrasser la généralité des personnes 3 et des choses 4, d'être portée sur ce qui arrive le plus ordinairement, et non sur de simples cas d'exception 5. En un mot, l'essence de la loi est de lier uniformément les citoyens, de les assujétir aux mêmes devoirs, aux mêmes charges, aux mêmes peines pour les mêmes délits 6; de leur conférer les mêmes droits, les mêmes facultés, les mêmes honneurs pour des services semblables; enfin les mêmes avantages sociaux, et, pour tout dire, l'égalité devant la loi 7; autrement, elle cesserait de mériter le nom de loi pour revêtir celui de priviléges. Les priviléges sont généralement odieux, parce qu'ils ne peuvent favoriser les uns qu'au détriment des autres. Ainsi l'exemption d'impôts accordée au clergé ou à la noblesse créait une surcharge intolérable pour le reste du peuple. Le monopole enrichit ceux qui l'exercent, aux dépens de l'industrie et du commerce général. Les places, les honneurs, les emplois réservés à une seule caste, dégénèrent en mortification et en injustice pour tous ceux qui, ayant la capacité et le désir de servir l'état, en seraient cependant exclus par le hasard de la raissance. Le droit d'aînesse n'a été si vivement repoussé par l'opinion publique, que parce qu'il détruisait l'égalité des partages.

Tome VII de ses œuvres, page 258.

Lex est commune præceptum. PAPINIEN, In lege I, ff. De legibus. 3 Jura, non in singulas personas, sed generaliter constituuntur. L. 8, ff. eod.

4 Communiter feruntur, id est, in omnes homines et res. Festus, In voce rogatio.

5 Jura constitui oportet in his quæ ut plurimùm accidunt, non quæ ex inopinato. L. 3, ff. De legibus.

6 Loi du 14 septembre 1791, tit. Ier, § 3.

7 CHARTE de 1814, art. Ier. (Voyez ci-dessus, enseignement du droit, page 77.)

8 Priva lex. Privilegia ne ARROGANTO. Lex XII. Tabul.

De grandes raisons d'utilité publique peuvent seules justifier les priviléges. Tels sont ceux de la pairie, où la nation espère trouver une compensation dans la protection que lui garantit l'indépendance des pairs.

Hors de ces cas toujours très rares, les priviléges doivent être bannis de la législation, et le retour au droit commun, au droit égal pour tous, est toujours favorable.

§ III. Du pouvoir législatif.

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En France, le gouvernement (je parle du droit) n'a jamais été absolu, et, dans ses phases, notre histoire atteste que la monarchie française a toujours été une monarchie tempérée.

Un ancien commentateur de la coutume de Poitou 1, atteste avoir vu dans les archives de l'abbaye de SaintMaixent, un vieux manuscrit de la loi salique, dans lequel on définissait ainsi la loi : Lex est constitutio populi, quam majores natu cum plebibus sanxerunt, statuerunt, judicaverunt, vel stabilierunt ad decernendum rectum. Et de fait, le préambule de la loi salique constate qu'elle ne s'est pas faite autrement.

Cette définition, sans doute, ne cadre plus avec la forme actuelle de notre gouvernement; mais elle prouve du moins que, dès l'origine de la monarchie, le peuple franc n'était pas exclu d'une juste participation au pouvoir législatif.

Dans les capitulaires, on trouve ce fameux texte si souvent invoqué: Lex fit consensu populi et constitutione regis; la loi se fait par le consentement du peuple et la sanction du roi.

Ne parlons point des bons temps féodaux, où il n'y avait d'absolu et de despotique que les seigneurs dans leurs seigneuries; et où les rois, bien loin d'être absolus, se trouvaient réduits à n'être seigneurs que dans leurs domaines, et, pour le surplus, simples suzerains dont l'autorité était souvent éludée et méconnue, si même elle n'était bravée par d'insolens vassaux les armes à la main.

Mais, sous la troisième race, depuis que la puissance

RAT, sur l'art. Ier de la coutume de Poitou, page 14.

royale, raffermie sur des bases moins anti-nationales, put introduire un gouvernement plus régulier, on a tenu constamment pour maxime de notre droit public, qu'en France « la puissance publique est exercée par justice et non à discrétion. »

Bossuet nous dit également que « le gouvernement arbitraire n'a pas lieu dans ce royaume. »

Sans doute, il veut parler du principe; car quel est l'état où, par le fait, il ne se commette des actes arbitraires, des abus d'autorité? L'ancien régime en effet, n'avait-il pas ses priviléges et ses lettres de cachet? Mais des actes abusifs, qui gardent cette qualification, ne changent pas le système de gouvernement, et il n'en est pas moins certain que l'ancien gouvernement de la France, malgré ses abus, était une monarchie tempérée par les lois; de même que le gouvernement actuel, malgré les abus du pouvoir ministériel, est une monarchie constitutionnelle et représentative.

Les convocations des états-généraux, quoique faites de loin en loin, et dans les plus grandes nécessités de l'état, prouvent encore d'une manière éclatante que la nation n'était point déshéritée de ses anciens droits. Les parlemens, par le titre même qu'ils s'arrogeaient, d'états-généraux au petit pied, interrompaient la prescription et conservaient le feu sacré. Une suite de précédens, non interrompus, quoique parfois contestés, avaient érigé en principe fondamental qu'en France les parlemens et cours souveraines avaient le dépôt des lois; qu'ils étaient chargés d'examiner et de vérifier celles qu'il plaisait au roi de leur adresser; de faire les remontrances que l'intérêt de l'état ou l'utilité des citoyens pouvaient rendre nécessaires; et qu'ils pouvaient même porter leur zèle et leur fidélité jusqu'au refus d'enregistrer dans les occasions où il leur semblait qu'ils ne pouvaient se prêter à l'exécution de la nouvelle loi sans trahir le devoir et la conscience 3.

Je ne rappelle pas ici les diverses formes de législation

I LOISEAU, Des Seigneuries, chap. 2, no 9.

2 Cité dans les Maximes du droit public français, tom. II, p. L. 3 Maximes du droit public français, tom. II, p.

introduites par les constitutions de 1791, de l'an III et de l'an VIII. Je passe immédiatement à cette charte aujourd'hui (en 1828) notre loi fondamentale. Son auteur voulant «lier tous les souvenirs et toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes 1, y a inséré cet article qui, en effet, rappelle l'ancien texte des Capitulaires : « la puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la chambre des pairs et la chambre des députés des départemens. » (Article 15.)

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Le pouvoir législatif est de sa nature incommunicable : « Il ne peut, dit un noble pair 2, être délégué ni au roi ni à d'autres. Il y a abus ou superfluité dangereuse dans tous les articles de la loi ou du projet de loi qui déléguent au roi le pouvoir de faire des réglemens sur tel ou tel sujet. Si l'on n'entend, dans ces clauses, que respecter le droit constitutionnel du roi, de réglementer les détails vraiment réglementaires comme le temps, le lieu, la forme, et tout ce qui ne préjudicie pas aux droits individuels, ce qui ne crée ni des crimes, ni des délits, ni des peines; on fait une disposition inutile et tendant à énerver l'autorité réglementaire constitutionnelle du roi. Si l'on entend déléguer un autre droit que cette même autorité réglementaire dans les limites conformes à la charte et à son esprit, on blesse la constitution, on opère la confusion des pouvoirs légis latif et exécutif, on détruit les garanties publiques 3. »

La législation offre cependant une exception de fait à ce principe dans l'art. 34 de la loi du 17 décembre 1814, en matière de douanes; cet article est ainsi conçu : « Des ordonnances du roi pourront provisoirement et en cas d'urgence, 1o prohiber l'entrée des marchandises de fa

I Préambule de la Charte de 1814.

Essais sur la Charte, par M. le comte Lanjuinais, no 359.

3 Lanjuinais, avait raison; car deux ans plus tard, les fameuses ordonnances de juillet 1830, prétendues basées sur l'art. 14 de la Charte, ont renversé la constitution. Mais aussi, à l'instant même, le peuple a ren versé la royauté; et pour qu'à l'avenir un autre roi, membre de la nouvelle dynastie, ne crût pas trouver le même droit dans la Charte, à ces mots: Le roi fait les réglemens nécessaires pour l'exécution des lois, on a ajouté ceux-ci : Sans pouvoir jamais ni suspendre les lois ellesmémes, ni dispenser de leur exécution. « Ces mots ont été textuellement reproduits par l'art. 67 de la constitution belge. »

brication étrangère ou augmenter à leur importation les droits de douane......; 2o diminuer les droits sur les matières premières nécessaires aux manufactures; 3° permettre ou suspendre l'exportation des produits du sol et de l'industrie nationale, et déterminer les droits auxquels ils seront assujétis, etc., etc. »

Mais, d'une part, on voit que la délégation n'est faite que pour un cas d'urgence qui ne comporterait pas le délai d'assembler les chambres; et, d'autre part, que l'effet de l'ordonnance n'est que provisoire. En effet, l'article 34 précité est terminé par la disposition suivante, qui fait tout rentrer dans l'ordre légal : « Toutes les dispositions ordonnées et exécutées en vertu du présent article, seront présentées en forme de projet de loi aux deux chambres avant la fin de leur session si elles sont assemblées, ou à la session la plus prochaine, si elles ne le sont pas 1. »

SIV. Des diverses espèces de lois.

Les lois positives sont de plusieurs sortes. Elles se divisent principalement en lois fondamentales et lois secondaires.

Les lois fondamentales établissent et définissent les pouvoirs; elles constituent le pacte social. Telle est, parmi nous, la charte constitutionnelle.

Les lois fondamentales de l'état sont réputées immuables, non pas tant par l'impossibilité que par la difficulté et le danger de les changer; parce que ces changemens, de quelque couleur qu'on les pare, à moins qu'ils ne viennent à la suite d'une longue expérience, et qu'ils ne soient vivement et généralement réclamés par l'opinion publique, remettent en question, non seulement ce qu'il s'agit d'abroger, mais les objets mêmes auxquels on déclare ne vouloir pas toucher. On diminue ainsi dans l'esprit des peuples l'idée qu'ils doivent garder de la stabilité de leur gouvernement : c'est là surtout « qu'à côté de l'avantage d'améliorer, se trouve le danger d'innover. »

Plus précise encore, la loi de finance de 1834 veut que cette présentation ait lieu au commencement de la session.

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