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Dans un projet de loi sur la responsabilité des ministres, pris en considération par la chambre des députés, le 26 août 1824, il était dit « qu'un ministre se rend coupable de trahison, lorsqu'il fait quelque acte contre la charte constitutionnelle, et lorsqu'il contre-signe un acte de l'autorité royale qui ne devrait émaner que du concours des trois branches de l'autorité législative 1. »

Les lois secondaires ont pour objet de régler les diverses parties de l'administration et des services publics; de fixer l'état des personnes, la condition des biens; de régler l'exécution des contrats; d'assurer le bon ordre, la répression des délits. Le nombre de ces lois est infini, et varie, comme je l'ai déjà dit, suivant la diversité des objets auxquels elles s'appliquent lois criminelles, lois civiles, lois administratives, etc., etc. Ces divisions sont purement doctrinales : il ne serait d'aucune utilité de toutes les rappeler et les définir.

Ces lois secondaires, pour être bonnes, doivent, autant que les mœurs le permettent, rentrer dans l'esprit de la loi fondamentale sous la protection de laquelle elles viennent se placer. Jus privatum sub tutelá juris publici latet”.

Aucune d'elles ne peut déroger au droit naturel : civilis ratio jura naturalia corrumpere non potest 3.

Une distinction qu'il importe de ne point perdre de vue, est celle qui existe entre les lois proprement dites, et les actes qui émanent uniquement de l'autorité royale. Cette distinction existait même sous l'ancien régime. Au lit de justice tenu le 15 juin 1586, le président de Harlay disait, au nom du parlement, à Henri III: « Dans la remarque et la désignation des ordonnances qui s'observent en France, nous usons de distinction: car nous appelons les unes ordonnances du roi et les autres du royaume. »

Le roi seul fait « les réglemens et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois 4. » Mais il ne peut pas seul faire ni défaire les lois; il ne le peut qu'avec le concours des chambres. Et, si des ministres trompés, peu instruits

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ou mal intentionnés, avaient conseillé, fait rendre et contre-signé une ordonnance contraire à une loi, dans ce déplorable conflit, c'est la loi qu'il faudrait suivre de préférence. En pareil cas, on ne résiste pas à l'ordonnance, mais on obéit à la loi1.

Il en faudrait dire autant, si une ordonnance établissait un droit nouveau sur un point non encore réglé par la législation, mais qui fût de nature à ne l'être que par elle ; par exemple, si une ordonnance créait des peines afflictives ou infamantes; si elle portait une atteinte à la propriété ; si elle créait un impôt, ou si elle enlevait quelque droit légitimement acquis.

Dans ces divers cas et autres semblables où l'ordonnance serait visiblement un empiétement sur le pouvoir législatif, les jurisconsultes qui ont écrit sous l'empire de la Charte tiennent que de tels actes, quoique contre-signés par un ministre, ne détruisent pas la loi; que les tribunaux ne sont pas tenus d'y déférer; qu'enfin il ne peut y avoir de pourvoi en cassation pour violation d'une ordonnance, mais seulement pour violation de la loi2.

Ce que l'on vient de dire des ordonnances s'applique à

Les cortès d'Aragon avaient adopté une formule particulière pour repousser les actes contraires à leurs priviléges constitutionnels : « La loi, disaient-ils, sera obéie, mais non exécutée. » — Nos anciens parlemens en usaient à peu près de même.

<< Il n'y a que la loi d'exécutoire en France, » disait M. Odilon-Barrot, dans son plaidoyer devant la cour de cassation, pour le sieur Roman. D'après des dispositions formelles des joyeuses - entrées, les Belges étaient affranchis de toute obéissance à leurs souverains, lorsque ceux-ci avaient porté atteinte à leurs priviléges. L'art. 107 de la constitution belge porte: « Les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et réglemens généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. » Voici comment s'exprime le rapport de la section centrale sur cet article:

« Les réglemens ou les arrêtés auxquels donne lieu l'exécution des lois ne peuvent ni outrepasser la loi ni y être contraires, et l'autorité judiciaire ne doit les appliquer qu'autant qu'ils sont conformes à la loi. Par là vient à cesser la question si souvent agitée de savoir si l'autorité judiciaire pouvait juger de la légalité des actes de l'autorité administrative. En résolvant affirmativement cette question, le projet rend aux tribunaux toute leur indépendance, en consacrant le principe que la loi doit être la seule règle de leurs décisions. »

Ce principe, incontestable d'ailleurs, a été reconnu par M. de Corbière, ministre de l'intérieur, à la séance de la chambre des députés, de 22 février 1827. (Voyez Isambert, Recueil des lois, année 1820, pré

plus forte raison aux simples arrêts du conseil, lors même que, par abus ou par calcul, on leur aurait donné le titre d'ordonnance, et qu'ils seraient insérés au bulletin des lois.

Les principes seuls auraient dû conduire à cette solution; mais jusqu'où ne va pas la flatterie? Sous Napoléon, à une époque où l'on semblait avoir ressuscité pour lui ce texte orgueilleux de Justinien : Quis tantæ superbiæ tumefactus est, ut regalem sensum contemnat ', la cour de cassation, qui jusqu'alors avait suivi sur une question de féodalité la disposition des lois générales, crut devoir s'en écarter et casser divers arrêts, en se fondant sur un avis du conseil d'état du 13 messidor an xiii, et un décret du 253 avril 1807 qui, d'après les rapports du ministre des finances, et dans des affaires particulières, avaient adopté une nouvelle doctrine. Napoléon, informé de cette déviation de la cour de cassation, s'en expliqua en ces termes : « La cour de cassation, dit-il, a montré trop de déférence pour l'avis et le décret dont il s'agit. Cet avis et ce décret ne sont que des jugemens. Bons pour les parties qui les ont obtenus, ils ne peuvent avoir, à l'égard des autres, le caractère d'actes interprétatifs de la loi. » Voilà ce qu'a révélé le procureur-général près la cour de cassation, dans un plaidoyer prononcé devant cette cour le 15 juillet 1814 2.

Une ordonnance inédite du 16 septembre 1814, sur les formes des actes de l'autorité royale, distingue parmi ces actes, 1oles ordonnances données pour la sûreté de l'état ; 2o les réglemens donnés pour l'exécution des lois et pour l'exercice de la police générale et locale; 3o les ordonnances en forme de déclarations interprétatives dans les cas qui ne sont pas expressément réservés aux chambres. On prétendit alors qu'il s'agissait de l'interprétation doctrinale en matière législative3, et même de l'interprétation d'autorité quant aux ordonnances et réglemens; 4o les lettres-patentes données pour l'exercice des attributions

face

, p. xvj, et les autorités sur lesquelles l'auteur s'appuie. Voyez aussi ce que nous dirons, en revenant sur ce sujet, au S xix.

Loi II, au code De legibus et constitutionibus.

• RÉPERT. DE JURISP. Additions, vol. 15, 4o édition, au moi Rentes seigneuriales.

Nous reviendrons sur ce sujet en traitant de l'interprétation.

gracieuses du pouvoir royal, tels que majorats, exercice du droit de grâce, etc; 5o les arrêts du conseil, qui sont les jugemens rendus sur avis du comité contentieux, et toutes les décisions des autres comités du conseil d'état, pour le contentieux du ministère; 6o les provisions, qui sont les institutions des juges à vie; 7° les commissions, qui sont les nominations à des places révocables; 8° et les brevets, qui sont des promotions dans l'armée de terre et de

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Aucun de ces divers actes n'a le caractère de loi, et ceux qui sont insérés au bulletin des lois', n'en acquièrent pas plus d'autorité; c'est uniquement un moyen de publicité.

Si le roi seul en son conseil d'état, ou les ministres sous le nom du roi, ne peuvent, par forme d'ordonnance, disposer sur des objets réservés au pouvoir législatif, il est encore plus évident qu'aucun corps administratif ou judiciaire ne peut usurper les fonctions législatives; et si l'un de ces corps prenait un arrêté ou une délibération, ou rendait un arrêt sur quelque matière législative, il y aurait forfaiture, et l'arrêté, la délibération ou l'arrêt ne seraient pas exécutoires pour les citoyens 3.

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Le roi 4 propose la loi (Charte de 1814, art. 16).
La proposition de loi est portée, au gré du roi, à la

En Angleterre, les actes du gouvernement sont imprimés dans un recueil distinct de celui où se trouvent les actes du parlement. Nous avons adopté cette forme depuis 1830.

2 Décret du 28 août 1793, dans mon Recueil des lois de compétence, tome 1er, page 400.

3 M. Henrion de Pansey, Compétence du juge de paix, chapitre dernier. M. Isambert a donné en tête de son Recueil des lois et ordonnances, années 1819 et 1820, une dissertation intéressante sur les limites qui séparent le pouvoir législatif du pouvoir réglementaire ou exécutif. Оп y trouvera le développement des principes que je viens d'énoncer. II faut y joindre la dissertation qu'il a mise en tête du volume de 1821, sur les arrêts du conseil.

4 Par la Charte de 1830, la proposition des lois appartient aussi aux deux chambres. - (Article 15.) « L'initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif. Néanmoins, toute loi relative aux recettes ou aux dépenses de l'état, ou au contingent de l'armée, doit

chambre des pairs ou à celle des députés, excepté la loi de l'impôt, qui doit être adressée d'abord à la chambre des députés (art. 17, art. 47).

Cette proposition est ordinairement accompagnée d'un discours ministériel qui contient l'exposé des motifs que l'on donne à la loi proposée.

Toute la loi doît être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux chambres (art. 18).

Le roi seul sanctionne et promulgue les lois (art. 22, art. 69, de la const. belge), comme nous le verrons en parlant plus amplement ci-après de la sanction, § XI, et de la promulgation, § XV.

Ainsi, sous l'empire de la Charte, il est vrai plus que jamais de dire que la loi est le contrat commun. On y trouve tous les élémens des conventions. Le roi propose la loi : voilà la pollicitation, solius offerentis promissio. Si les chambres rejettent, il n'y a point de contrat, point de lien, point de loi. Elles acceptent sans amendement ou avec un amendement consenti; le roi sanctionne, voilà le contrat formé, duorum vel plurium in idem placitum consensus. Alors il y a loi.

Une question s'est élevée : les députés et les pairs sontils récusables (au moins dans le for intérieur ), lorsqu'ils ont un intérêt personnel et exceptionnel à la question? Si, par exemple, il s'agit de voter, par exception au droit commun, une indemnité dont quelques pairs ou députés sont appelés à profiter personnellement, doivent-ils s'abstenir de voter ? On a soutenu l'affirmative à l'occasion de la loi du 27 avril 1825, d'après la règle d'équité, que nul ne peut être juge dans sa propre cause. Et je le crois ainsi dans les causes d'argent. Mans dans les questions d'un autre ordre, par exemple en cas d'offense envers la chambre, chacun des membres, quoiqu'il puisse se croire offensé, peut très licitement rester juge. On ne présume pas qu'il en veuille déposer le caractère : c'est ainsi que les tribunaux ordinaires restent juges des insultes et des outrages commis envers les membres dans l'exercice de leurs fonctions.

d'abord être votée par la chambre des représentans. » (Art. 27 de la constitution belge.)

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