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Est-il des cas où le roi soit aussi récusable? Il n'est jamais récusable comme roi, parce qu'à ce titre il représente toujours les intérêts généraux de la nation. Mais dans les contestations privées où il aurait intérêt, il ne pourrait rester juge. Le président Hénault, dans ses remarques sur le règne de Hugues-Capet, allègue un exemple contraire. Mais saint Louis, ce modèle des rois justes et consciencieux, n'hésita pas à se récuser dans le procès où le comte Hugues fut déclaré déchu de ses fiefs. On aurait pu alléguer cependant qu'en défendant ses droits, il défendait aussi ceux de la couronne. Saint Louis pensa autrement.« Il ne voulut pas être juge dans sa propre cause. Il assembla un baronage à Paris; il y exposa ses griefs contre le comte, et laissa aux barons le soin de le juger 1. »

Cette question, au surplus, ne peut guère se présenter aujourd'hui, parce que le roi ne juge plus en personne, mais par des juges inamovibles qu'il nomme et qu'il institue et par lesquels il se condamne lui-même quand il a tort dans les procès qui intéressent la liste civile contre les particuliers. Toujours est-il qu'il ne pourrait pas se donner gain de cause par ordonnance.

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Il est certain que dans les X, XIe, XIIe, XIIIe siècles, on n'observait pas exactement la formalité de la date, et que souvent on se contentait de désigner le nom du roi régnant; d'autres fois le jour du mois sans marquer l'année; ou celui de l'année sans indiquer le mois, et quelquefois aussi on ne marquait aucune date 3.

Cela tenait à l'ignorance et à la barbarie de ces siècles féodaux, que les suzerains seuls ont pu appeler le bon vieux temps.

Mais à mesure que l'on a marché vers la civilisation, on a senti le besoin de dater exactement les actes publics.

'Histoire de France, par Pigault-Lebrun, tome 3, page 305.

2 Arrêt mémorable de la cour royale de Paris, du 19janvier 1821, dans l'affaire du chevalier Desgraviers, créancier de Louis XVIII. 3 MABILLON, de Arte diplomatică.

Ce soin est surtout indispensable pour les lois. Comme elles n'ont pas d'effet rétroactif, il devient d'abord nécessaire de se fixer sur leur date, pour savoir de quel jour elles ont dû être exécutoires.

De là sont nées plusieurs difficultés sur la véritable date des lois. Par exemple, doit-on s'attacher à la date d'un décret plutôt qu'à celle de la sanction?

Dans la collection de Baudouin (in-8°), toutes les lois rendues sous la constitution de 1791 sont classées selon la date du jour où chaque décret a été adopté par l'assemblée nationale. Dans la collection dite du Louvre (in-4o), elles sont rangées dans l'ordre chronologique de la sanction royale.

Ce dernier ordre semble le meilleur, parce que la sanction, dans le cas où elle était requise, étant une formalité intrinsèque de la loi, il est vrai de dire qu'il n'y avait réellement loi qu'après que le roi avait sanctionné le dé

cret.

Ainsi, encore aujourd'hui, il n'y a pas loi même après que l'une des deux chambres a adopté le projet, car l'autre chambre peut le rejeter ou l'amender de manière à nécessiter un renvoi à la première. Il n'y a même pas loi après que les deux chambres ont voté uniformément l'adoption du projet, car le roi peut encore refuser sa sanction, comme nous le verrons au § IX.

La décision suivante se lie à la question qui précède. Le conseil d'état, consulté pour savoir si une loi prenait date du jour de sa promulgation, ou du jour où le corps législatif avait adopté le projet présenté par le gouvernement, a été d'avis, le 5 pluviose an viii, que la véritable date d'une loi était celle de son émission par le corps législatif.

S VII. -Intitulé des lois.

Il ne faut pas confondre le titre des lois avec leur intitulé. Le titre des lois est un sommaire placé en tête pour en indiquer l'objet il n'en fait point partie intégrante, et nous verrons qu'il ne peut pas même servir à leur interprétation.

Le titre des lois doit être sans emphase et sans affectation, et surtout sans artifice 1; il doit indiquer simplement l'objet de la loi. 2

L'intitulé des lois est la formule par laquelle elles commencent, et qui indique de quelle autorité elles sont éma

nées.

On n'est tenu d'obéir à un acte qu'autant qu'il est l'ouvrage de celui qui avait qualité pour le faire. Il faut donc que cet acte, pour commander l'obéissance, soit revêtu du nom de son auteur.

Aussi voyons-nous que les plus petits comme les plus grands fonctionnaires, depuis l'édile chargé de briser les faux poids jusqu'au préteur qui tient la balance où la mauvaise foi s'efforce de les glisser, tous ont soin, non seulement de signer leurs actes, mais encore de les intituler du nom de leurs charges.

L'autorité souveraine elle-même doit s'annoncer comme telle, pour obtenir des citoyens l'obéissance qu'elle est en droit d'exiger d'eux. Voilà pourquoi on ne voit point de loi sans apercevoir en même temps le législateur.

Parcourez les lois des peuples anciens et modernes, les codes des barbares et ceux des peuples civilisés, partout vous verrez l'auteur de la loi attacher son nom à son ouvrage, tellement que dans l'intitulé seul des lois se trouvent l'histoire du pouvoir et la succession des gouverne

mens.

En 1788, la maxime consacrée par un long usage était celle de roi par la grace de Dieu, formule qui n'a été critiquée que par ceux qui n'ont pas voulu en saisir le vrai sens; car« cela ne signifie autre chose, sinon que le roi ne relève de personne, et qu'il ne tient le royaume que de Dieu et de l'épée, sans en faire hommage à aucune puissance sur la terre 3. »

Cette formule, usitée principalement depuis l'époque qù l'usurpation des papes menaçait l'indépendance de toutes les couronnes, n'est donc pas une marque de servi

Essai sur la Charte, tome Ier, page 241. Voy. les exemples, ibidem. Ce sont les propres termes de la loi du 19 janvier 1791.

3 Maximes du droit public français, tome 2, page 136.

tude; prenons-la plutôt pour un signe de noblesse et de liberté 1.»

« Tout le monde, dit Durand de Maillane, sait que nos rois se qualifient rois de France par la grace de Dieu, pour marquer leur autorité et leur indépendance de toute puissance humaine. Sur quoi Lebret (en son Traité de la Souveraineté) remarque que les termes par la grâce de Dieu sont aujourd'hui si fort consacrés à cette unique signification, qu'on regarderait comme coupable de lèsemajesté celui qui entreprendrait de les insérer dans ses titres, ainsi qu'il arriva au comte d'Armagnac sous le règne de Charles VIII 2. »

«Nos rois, dit un autre auteur 3, ne tiennent que de leur épée, en ce que, ne connaissant point de juges sur la terre, c'est par la force des armes qu'ils se font rendre la justice qui leur est due, et qu'ils maintiennent leur autorité et les droits de leur couronne. »

A l'époque de la révolution on exigea l'addition, et par la loi constitutionnelle de l'état, qui rattachait l'autorité du roi au pacte social. Mais cette formule, quoique plus libérale, était impuissante pour exclure le despotisme; aussi Napoléon la conserva sans en être effarouché : nouvelle preuve, entre mille, que la liberté est dans les choses et non dans les mots 4.

A ces expressions, roi de France, on crut devoir aussi substituer roi des Français, comme ayant un tout autre sens. Cependant nos premiers rois répugnaient si peu à s'intituler ainsi, que tous les capitulaires des rois de la seconde race portent en tête dei gratiá FRANCORUM REX. On trouve même cette dernière formule employée sous la troisième race concurremment avec l'autre. Ouvrez les Ordonnances du Louvre, tome V, vous verrez, à la page 430, Carolus, Dei gratiá, FRANCORUM Rex x; et page 431, en re

1 Voyez mes Libertés de l'église gallicane, 2o édition, p. 73 et suiv. 2 Durand de Maillane, Libertés de l'église gallicane, tome 1, page 87, 3 Traités du droit français à l'usage du duché de Bourgogne, tome 1er. 4 En 1830, on a retranché la formule par la grace de Dieu, comme inutile vis-à-vis de Rome; et si l'on n'a pas rétabli les mots : Par la loi constitutionnelle, il n'en est pas moius vrai que c'est par là, et non autrement, que le roi est roi des Français. Cette formule était adoptée sous le roi précédent, elle ne l'est plus aujourd'hui.

gard, Charles, par la grace de Dieu, ROI DE FRANCE. Quelle plus forte preuve que ces formules avaient au fond la même signification?

L'intervalle entre 1792 et 1814 est rempli par le protocole de tous les gouvernemens qui se sont succédé; ainsi l'on voit en tête des divers actes insérés au bulletin: La CONVENTION NATIONALE décrète :

Le CONSEIL DES CINQ-CENTS; le CONSEIL DES ANCIENS, approuvent la déclaration d'urgence :

Le DIRECTOIRE EXÉCUTIF arrête :

Les CONSULS DE la république, etc., etc.
BONAPARTE, premier consul, ordonne :
NAPOLEON, empereur, décrète :

Le SÉNAT CONSERVATEUR, réuni au nombre de membres prescrit par la constitution, etc.

Le GOUVERNEMENT PROVISOIRE...

Enfin on revient au point de départ, à la formule rédivive: Louis, par la grace de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présens et à venir salut.

Cette formule, lorsqu'elle est en tête des ordonnances ou des arrêts du conseil, est immédiatement suivie de ces mots, Nous avons ordonné et ordonnons.

Mais, lorsqu'elle précède les lois, elle est conçue de la manière suivante, qui rappelle les élémens constitutionnels requis pour la formation de la loi : « Nous avons proposé, les chambres ont adopté, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit. »

La formule actuelle est celle-ci : « LOUIS-PHILIPPE, roi des Français, à tous présens et à venir, salut. Les chambres ont adopté et nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit.»

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Les lois sont quelquefois précédées d'un préambule qui explique à quelles causes elles ont été portées.

Cependant, comme on a abusé pour prétendre que le roi de France était le roi du sol plutôt que le chef des citoyens, on est revenu, en 1830, au titre de roi des Français.

« Cette mention spéciale de la Navarre, dit M. Lanjuinais, n'est point un affaiblissement de la Charte; c'est un pur souvenir de l'histoire; c'est

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