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1o On peut répondre per concessionem en concédant l'argument, s'il paraît qu'il ne frappe point sur la thèse. 20 On peut aussi répondre per instantiam (comme disent les gens de l'école): ce qui se fait en prouvant, dans une espèce particulière, le contraire de ce qui est avancé dans une proposition générale, et en établissant ainsi, que cette proposition n'est pas universelle et sans exception. Par exemple, si celui qui argumente avait proposé cet argument : Nullus contractus realis est bonæ fidei. Contractus pignoris est bonæ fidei (per definitionem). Nullus ergo contractus pignoris est realis. Il est manifeste qu'il faut répondre en niant la majeure et en soutenant qu'elle n'est pas universelle, et c'est ce qu'on démontrera facilement per instantiam. Car en droit romain, le commodat et le dépôt sont des contrats réels; cependant ce sont aussi des contrats de bonne foi. De même tous les jurisconsultes tiennent que les contrats innommés sont des contrats réels; et cependant il est constant que l'échange est un contrat de bonne foi. Inst. § 28 de actionibus. l. ff. de permut.

La troisième manière de répondre se fait per inversionem, en rétorquant l'argument, si le candidat prouve que sa thèse dérive précisément de la proposition qu'on lui oppose. Supposez, en effet, que le professeur ait employé cet argument:

Quod leges ipsa contractibus consensualibus accensent id ad contractus CONSENSUALES omninò referendum est. Pignus leges contractibus CONSENSUALIBUS accensent. L. 1, ff de pignerat.) : est ergò pignus ad contractus consenSUALES referendum.

Le candidat pourra rétorquer cet argument, en disant, Quod leges ipsa contractibus REALIBUS accensent, id ad contractus REALES referendum est. Pignus leges ipsæ contractibus REALIBUS accensent. (Inst. §. 4, quib. mod. re contrah. oblig.) Est ergo pignus ad contractus REALes referendum.

Enfin, on peut répondre en proposant une distinction et une limitation. Dans ce cas, le candidat doit expliquer succinctement sa distinction, l'appliquer de suite à l'argument, et en faire sortir la limitation qu'il entend apporter à cet argument. Par exemple, on répondra convenable

ment à la mineure de l'argument (n. 43), en observant qu'il faut distinguer le cas où le mot pignus est pris dans une signification étendue, de celui où il retient sa signification propre. Dans le premier cas, lato sensu, ce mot exprime toute espèce de droit accordé au créancier sur les biens de son débiteur, et, par conséquent, il embrasse aussi l'hypothèque qui, dans ce sens, ne diffère a pignore que de nom. L. 5, § 1, ff. de pignerat. Mais le gage proprement dit, pignus strictè acceptum, est un droit réel différent de l'hypothèque, et qui ne résulte que de la tradition. L. 238. § 2, ff. de verb. signif. ( Adde code civil, art. 2076.) De cette distinction, il appert que pignus, pris dans le premier sens, peut aussi se contracter par une nue convention, par exemple par la convention d'hypothèque. Mais dans la seconde acception (et c'est dans cette acception qu'il est employé dans la thèse), la convention seule ne suffit pas, on requiert encore la tradition. Dès lors il faut limiter la mineure de l'argument et dire: si pignus (strictè dictum quatenus hypothecæ opponitur, nudá conventione citrà traditionem constituitur, actio dabitur ex solo promisso: at pignus (strictè dictum, et quatenùs hypothecæ opponitur) nudá conventione non constituitur: sic nego

minorem.

47. Il n'y a pas d'autre manière de répondre pertinemment. C'est donc en pure perte que les candidats essaient parfois de réfuter l'argument, en se jetant dans de vaines déclamations, ou même s'évertuent à prouver leur thèse, au lieu de combattre l'antithèse. Aussi, de même qu'ils peu vent ramener le professeur à la thèse, en exigeant qu'il précise son argument (n. 43), de même le professeur, de son côté, peut les astreindre à rentrer dans la question, et à répondre catégoriquement: A quelle proposition répondez-vous? l'accordez-vous, ou la niez-vous? distinguez-vous? etc.

48. Lorsqu'une fois l'élève a donné la solution. le professeur peut, s'il le juge convenable, prouver contre elle et la réfuter. Et d'abord, 1o si le candidat a concédé tout l'argument, le professeur devra montrer que cet argument contredit la thèse médiatement ou immédiatement; 2o si le candidat a répondu per instantiam, le professeur devra

prouver ou que les espèces prétendues contraires à la sienne n'y ont aucun trait, ou que le candidat, au lieu de prouver contre l'argument, n'a donné que son opinion; 3o si l'argument a été rétorqué, le professeur fera voir que la thèse ne résulte pas du tout de la proposition qu'il a avancée; 4o enfin si le candidat a usé de distinction, le professeur essaiera d'établir, ou que cette distinction est destituée de fondement, ou qu'elle ne reçoit aucune application à l'argument.

49. Le candidat a aussi droit d'impugner cette réplique, et de donner une nouvelle solution contre les nouveaux raisonnemens; et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'un ou l'autre des contendans n'ait plus rien de raisonnable à opposer.

Je dis, n'ait plus rien de raisonnable; car ceux qui ne disputent que pour le plaisir de disputer, ont toujours quelque chose à opposer, quoique l'auditoire, neutre dans le débat, remarque aisément celui qui est poussé à bout, et qui reste, pour ainsi dire, mat.

50. Telles sont les règles dont je crois l'observation indispensable pour attaquer et défendre régulièrement une thèse. En s'y conformant exactement, il est impossible qu'il n'arrive de deux choses l'une ou que le professeur soit réduit à ne pouvoir prouver son argument, ou que le candidat soit amené malgré lui à concéder l'argument, ou à donner dans l'absurde; ce qui suffit pour qu'on n'hésite plus à reconnaître de quel côté est la vérité.

51. Jusqu'ici nous n'avons parlé que du candidat, et du professeur qui argumente; et nous n'avons rien dit de celui qui préside la thèse. C'est en effet une personne accessoire, appelée quelquefois par honneur, et dont le devoir est de rappeler à l'ordre les jeunes gens dont le caractère est trop fougueux. Le président d'une thèse doit être homme docte et bienveillant. S'il ne réunit ces deux qualités, vainement on lui tracerait des règles qu'il ne pourrait pas suivre, quelque envie qu'il eût d'ailleurs de s'y conformer.

C'est ainsi que l'école de droit de Paris, voulant donner plus d'éclat à la réception de ses docteurs, invita M. Treilhard à présider la thèse que je soutins pour ce grade. C'était la première depuis le rétablissement des écoles de droit.

52. Je me suis étendu sur cette matière, parce que c'est une des plus importantes. Les thèses sont le couronnement des études et le triomphe de l'enseignement. Il est impossible qu'un jeune homme, né avec des dispositions, ne réponde pas d'une manière satisfaisante, s'il a suivi de bons cours et s'il est bien interrogé. C'est alors que les professeurs jouissent de leur ouvrage; c'est alors qu'en voyant de jeunes élèves exposer clairement et méthodiquement la doctrine qu'on leur a transmise, indiquer la véritable origine de cette doctrine, en donner la raison exacte, lever toutes les objections, dissiper tous les doules, et résoudre tous les argumens avec autant de force que de dextérité; le public remarque avec satisfaction que leurs études n'ont pas uniquement consisté à apprendre des cahiers ou des abrégés, mais qu'ils se sont imbus de la science au point de se l'approprier.

Un homme éprouvé de la corte est bien plus digne de l'estime et de la confiance de ses concitoyens que ceux qui, dédaignant de si nobles épreuves, se targuent d'un titre qu'ils n'auraient jamais conquis par leur propre mérite, si les circonstances du temps ne leur avaient pas permis de l'acquérir avec une autre monnaie! Enfans du hasard et de la faiblesse, la plupart d'entre eux peuvent se

dire :

Non me Praxiteles Scopasve fecit,
Nec sum Phidiacă manu politus:
Sed lignum rude villicus dolavit,
Et dixit mihi: Tu Priapus esto.

PRÉCIS HISTORIQUE

DU DROIT ROMAIN,

DEPUIS

ROMULUS JUSQU'A NOS JOURS.

In historià illustri nihil est brevitate

dulciùs.

Cic., de Clar. Orat., 142.

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