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Cette précaution était négligée dans les républiques, où le peuple, concourant à la formation de la loi, n'avait pas besoin de s'évertuer à trouver des tournures pour justifier à ses yeux son propre ouvrage.

Il semblait d'ailleurs peu conforme à la dignité du législateur d'entrer, pour ainsi dire, en pourparler sur le mérite de sa loi, et de discuter en rhéteur là où il devait seulement commander en maître 1.

C'est ce qui fait dire à Sénèque que rien ne paraît plus froid et plus inepte qu'une loi affublée d'un prologue 2. Cependant l'usage contraire a prévalu dans les monarchies, et nous ne voyons pas une ancienne ordonnance, pas de lettres-patentes, pas un édit, qui ne soient ornés d'un bout de préambule; soit qu'il ait paru plus humain d'essayer à persuader les peuples par cette voie; soit que la politique ait donné à penser que les sujets exécuteraient plus volontiers les lois, quand on leur aurait fait confidence des motifs qui avaient déterminé le législateur à les rendre.

Il est vrai que les raisons qui sont alléguées ne sont pas toujours les véritables. Et à ce sujet, on trouve dans les œuvres du judicieux Coquille 3, une anecdote assez piquante pour mériter d'être rapportée « On a fait, dit-il, une infinité d'édits auxquels on fait parler le roi comme si c'était un orateur en une concion 4 de Grèce, avec des propos spécieux, beaucoup de langage, et rien de vérité; comme si tous les Français étaient des bétes, et qu'avec le simple sens commun, il ne fût aisé à découvrir que le contraire du contenu en ces édits est véritable. Et entre autres édits, qui tous sont pécuniers et bursaux, il s'en trouve un de fort belle apparence en faveur des laboureurs en une chère année, pour n'être contraints à payer leurs dettes; et c'était afin qu'étant déjà accablés par les guer

une locution sans effet politique, etc. » Essai sur la Charte, tome 1er, pag. 254 et 255.

Non disceptatione debet uti, sed jure. LEX VISIGOTH. lib. I, cap. 6. 2 Nihil videri frigidius, nihil ineptius quàm legem cum prologo. Epist. 94.

3 OEuvres de GUY COQUILLE, de Nivernais, tome ier, page 219, coloane re, édit, in-folio de 1703.

4 Concio, discours public.

res, ils eussent meilleur moyen de payer les tailles étrangement excessives; dont arriva que les marchands furent dégoûtés de leur prêter, et par ce moyen ont depuis enduré beaucoup d'incommodités 1. »

De tout cela, il résulte que les motifs allégués dans le préambule d'une loi ne sont pas toujours des guides sûrs pour l'interpréter 2.

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Aussi la loi du 11 août 1792 avait décidé d'une manière précise « que dorénavant les décrets seraient imprimés et publiés sans préambule. »

Mais depuis on est revenu à cette forme, soit par des motifs de déclaration d'urgence sous la constitution de l'an 1, soit sous l'empire, où l'on vit tant de déceptions surtout en législation, soit enfin depuis la restauration 3.

L'auteur de l'Essai sur la charte 4 fait à ce sujet une réflexion fort judicieuse. Après avoir remarqué que les motifs de la loi sont suffisamment exposés dans les discours prononcés, soit pour appuyer, soit pour combattre la proposition, il ajoute : « Mais si les ministres veulent absolument donner des fleurs de leur rhétorique sur les lois comme ils aiment tant à le faire dans les diplômes et les ordonnances, il est nécessaire que le préambule soit soumis à leurs colégislateurs, afin qu'il ne se trouve pas en contradiction avec les articles, comme je l'ai vu arriver 5. Rien n'est plus incohérent que d'attribuer au roi un exorde personnel et privatif, comme partie intégrante de dispositions qui n'existent que par la volonté réunie des trois branches de l'autorité législative, et dont on certifie qu'elles ont été discutées, délibérées et adoptées dans les deux chambres. >>

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Ce mot, par son étymologie, indique une chose ren

Dialogue sur les causes des misères de la France.

Voyez ci-après, interprétation, S XIX.

3 Voyez,

pour exemple, le préambule de la loi du 5 décembre 1824, et celui de la loi du 21 du même mois, relative à certaines dettes contractées en pays étranger.

4 Liv. 3, chap. 5, no 309.

5 M. Lanjuinais cite pour preuve la loi d'exception du 21 octobre 1814.

due sainte, et qu'on ne peut pas violer impunément. C'est du moins en ce sens que l'entendaient les anciens. Sancta res dicitur ob sanctionem quá res ità munita est, ut violari impunè haud possit '.

En 1790, on s'est servi du mot sanction pour désigner une forme particulière de la législation. Pour que les décrets de l'assemblée nationale devinssent lois, il fallait qu'ils fussent sanctionnés, c'est-à-dire, approuvés solennellement par le roi.

Cette sanction n'était cependant par exigée pour tous les décrets de l'assemblée: on voit, au contraire, qu'il y avait des actes non sujets à sanction, et qui pourtant étaient toujours promulgués au nom du roi 2.

Suivant la constitution de 1791, le roi n'avait pas la proposition des lois : il ne pouvait qu'accepter ou rejeter celles qui, soumises à sa sanction, étaient en même temps sujettes à son veto.

Sous la Charte de 1814 c'était tout le contraire; le roi proposait les lois, et les chambres n'avaient que la faculté de les adopter ou de les rejeter.

Selon la charte de 1830, la proposition des lois n'appartient pas seulement au roi, mais elle appartient aussi aux deux chambres.

Cependant cette charte ajoute (art. 18): « Le roi seul sanctionne les lois. » D'où il suit que la proposition faite au nom du roi, quoique acceptée par les chambres, n'est pas encore loi, et ne le sera qu'autant qu'il plaira au roi de la sanctionner. Il pourrait, en effet arriver qu'une loi, urgente au jour de sa proposition, cessât d'être nécessaire à l'instant où il s'agirait de la sanctionner et de la promulguer 3: telle serait, par exemple, une loi faite en vue de la guerre, et qu'un traité de paix rendrait désormais inutile. Dans un tel cas et autres semblables où le gouver

FESTUS, voce sanctum.

Voyez acte du 13 novembre 1791, dans la collection de lois in-4o, dite du Louvre, tome 6, page 663.

3 C'est ainsi qu'autrefois, même après qu'une ordonnance ou un édit avaient été enregistrés au parlement, le roi pouvait encore les retirer et ne pas les promulguer. Max. du droit pub. franç., tome 2, page 353. Du reste, les raisons qu'on y donne de ce droit ne sont pas les meilleures possible.

nement croirait utile de ne pas aller plus loin, il le peut; car, tant que le roi n'a pas donné sa sanction, il n'y a pas encore loi. Ainsi, l'on a eu raison de dire que la sanction était le vote royal définitif 1.

Le roi sanctionne en mettant sa signature sur la minute originale de la loi.

Une fois cette formalité remplie, il y a loi, et il ne reste plus qu'à y apposer le sceau de l'état.

S X. Sceau des lois.

Le sceau ne doit pas être confondu avec la sanction. Il est sans doute la meilleure preuve que la loi a été sanctionnée; mais la preuve d'une formalité n'est pas la formalité même.

Il fut cependant une époque où le sceau tenait lieu de signature.

Anciennement, lorsque des ordonnances ou des lettresroyaux avaient passé au conseil, elles étaient écrites par un notaire du roi et portées à la chancellerie pour y être scellées. En l'absence du chancelier, on y apposait le sceau du Châtelet.

Les lettres-royaux avaient date, non du jour qu'elles passaient au conseil, mais du jour qu'elles étaient scellées : le sceau royal leur donnait force de loi sans signature 2.

Dans l'usage actuel le sceau ne dispense pas de la signature, et réciproquement la signature du roi ne dispense pas du sceau avec cette mention, vu et scellé du grand sceau; et la signature du chancelier, ou, à son défaut, du secrétaire d'état au département de la justice ayant le titre de garde des sceaux.

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C'est un devoir du chancelier ou garde des sceaux de ne point sceller les lettres surprises au prince et les actes qui seraient contraires aux lois du royaume. « Il doit, dit un ancien jurisconsulte 3, canceller, rompre, briser, révoquer, refuser et dénier toutes choses déraisonnables,

3

Essai sur la Charte, tome 1er, no 328.

2 Isambert, Recueil de lois, 1811, préface, pages 8 et 9.

Papon, 3e notaire, titre Des provisions réservées au prince, p. 325.

inciviles et préjudiciables au prince et à son peuple, encore que par lui-même de vive voix elles fussent commandées, octroyées et accordées. » - Il est, suivant Loyseau, le correcteur et le contrôleur des ordonnances et des mandemens du prince 1. Ce sont les ordonnances elles-mêmes qui ont imposé cette charge au chancelier sous le lien de l'obéissance : il y en a une disposition formelle dans l'article 44 de l'ordonnance de mars 1356, dans l'article 215 dé celle de 1413, et dans plusieurs autres. Le devoir des chanceliers à cet égard se trouve tracé d'une manière bien remarquable dans le serment qui fut prêté par le chancelier Duprat 2 entre les mains du roi, le 7 janvier 1514. « Quand on vous apportera, y est-il dit, à sceller quelque lettre signée par le commandement du roi, si elle n'est de justice et de raison, vous ne la scellerez point, encore que ledit seigneur le commandât par une ou deux fois mais viendrez devers icelui seigneur, et remontrerez tous les points par lesquels ladite. lettre n'est raisonnable; et, après que aura entendu lesdits points, s'il vous commande de la sceller, la scellerez; car alors le péché en sera sur ledit seigneur, et non sur

vous. »

α

2

La vie de l'Hospital 3 nous offre à ce sujet une anecdote assez remarquable. Après la dissolution du colloque de Poissy, le pape avait envoyé en France, en qualité de légat, Hippolyte d'Este, cardinal de Ferrare. Le chancelier lui refusa des lettres-patentes qu'il demandait pour confirmer ses pouvoirs. L'Hospital motivait son refus sur ce que ces lettres étaient contraires aux libertés de l'église gallicane. Menaces, prières, séductions, le légat employa sans succès tous les moyens pour vaincre le chancelier : celui-ci demeura inflexible; mais à force d'intrigues et de souplesse, le légat obtint du roi ce qu'il avait vainement demandé au chancelier, à condition toutefois qu'il ne ferait point usage de ses lettres. Malgré cette modification, le chancelier avait encore refusé d'y apposer le sceau de

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Des offices, liv. 4, chap. 2, no 29.

Que Dumoulin appelle Bipedum nequissimus.

Essai sur l'Hospital, par M. Dufey de l'Yonne, en tête de ses œuvres, édition de 1821, in-8°, tome 1er, page 158.

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