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fication des lois et leur libre enregistrement étaient devenus une forme essentielle de la législation en France.

Cette proposition, qui n'a aujourd'hui qu'un intérêt purement historique, pourrait se démontrer par une foule d'exemples, et notamment par un grand nombre de lois restées sans exécution, faute d'avoir été enregistrées, ou pour ne l'avoir été que forcément.

Depuis la suppression des parlemens, la constitution de l'état ayant changé, et le point de résistance, ou, si l'on veut, d'opposition, ayant cessé d'être placé dans les cours de justice, si l'on a continué d'envoyer les lois aux cours et tribunaux, ce n'a plus été pour leur donner le droit de les examiner, mais seulement pour les rendre plus notoires.

Les formules exécutoires ont, comme tout le reste, éprouvé beaucoup de variations. Elles sont conçues tautôt au nom de la nation, tantôt au nom de la république ; une autre fois, au nom du peuple français.

La formule usitée sous la restauration est ainsi conçue : « Si donnons en mandement à nos cours et tribunaux, préfets, corps administratifs et tous autres, que les présentes ils gardent et maintiennent, fassent garder, observer et maintenir, et pour lés rendre plus notoires à tous nos sujets, ils les fassent publier et enregistrer partout où besoin sera car tel est notre plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre scel. »

Il ne faut pas confondre la formule que nous venons de transcrire, avec les formules qu'on met ordinairement en tête et à la fin des actes et des arrêts pour les rendre exécutoires. Ces formules ont leur protocole particulier 3, elles ont dû changer avec chaque gouvernement. Mais comme elles ont été établies par la loi, le seul fait qu'un gouvernement nouveau a été substitué à l'ancien, n'a pas suffi pour

Voyez ci-dessus Précis hist. du droit français, p. 185 et suiv. Depuis 1830, et notamment dans le mandement qui accompagne le texte de la Charte, on a supprimé les mots nos sujets.

3 Voy. lois du 6 octobre 1791, art. 14; loi du 15 août 1792, art. 7 et 9; Joi du 25 ventose an XI, sénatus-consulte du 28 floréal an XII, arrêté du 7 avril 1814, arrêté du 25 juin 1815, ordonnance royale du 30 août 1815.

changer la formule auparavant en usage: c'est comme une sentinelle qu'il faut relever. Ainsi tant qu'on ne rencontre pas une loi nouvelle qui ait changé la formule préexistante, on doit tenir pour constant que tous les actes expédiés conformément à l'ancienne, sont valables, et que les poursuites faites en vertu de ces actes sont régulières 1.

FORMULE : car tel est notre plaisir.

Cette formule, qui termine souvent les ordonnances et lettres-patentes de nos rois, et que l'on retrouve encore aujourd'hui dans le si donnons en mandement placé à la suite des lois 2 ne signifie pas car tel est notre caprice, notre fantaisie 3; mais telle est notre volonté.

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C'est, en vieux français, la traduction du nobis placet dont les jurisconsultes romains se servaient pour exprimer leurs avis et donner leurs consultations.

Les juges disaient aussi nobis placet 4, comme ils disent à présent nous condamnons.

Dans la plupart des capitulaires on lit la formule : Placuit atque convenit inter Francos et eorum proceres.

Voilà pourquoi les lois elles-mêmes sont souvent appelées placita 5.

Or, jamais les gens de bonne foi n'ont inféré de toutes ces formules, que les jurisconsultes en donnant leurs consultations, les magistrats en jugeant, et les princes en ordonnant, agissaient arbitrairement, et sans autre raison que leur bon plaisir.

Dans les anciens conciles, les évêques exprimaient par le mot placet leur adhésion aux décisions sur le dogme ou la discipline. En a-t-on jamais conclu qu'ils se fussent dé

'Loi du 15 août 1792, art. 9; ordonnance royale du 30 août 1815. * Rendues sous la restauration.

3 Pibrac entendait la formule en ce sens, dans ce célèbre quatrain :
Je hais ces mots de puissance absolue,
De bon plaisir, de propre mouvement;
Ils ont aux lois premièrement,

Et puis aux rois leur puissance tollue.

4 La sentence prononcée par le proconsul, contre saint Cyprien, était ainsi conçue: In Tascium Cyprianum gladio animadverti PLACET. Adde loi 40, ff. de pænis; loi 88, ff. de legatis; loi 30, ff. de pactis dotalibus.

5 Exemple: les Placites de Normandie.

terminés par caprice, sans connaissance de cause, et uniquement parce qu'ils le voulaient ainsi?

Il y a une foule de choses qu'on ne critique et qu'on ne blâme que par prévention ou faute de les bien entendre. Peut-être aussi quand des locutions ont vieilli au point de rendre équivoque pour un grand nombre de gens le sens qu'elles ont pour but d'exprimer, il vaudrait mieux les changer, et y substituer des termes mieux définis. C'est ce que nous avons fait en 1830.

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Anciennement, aussitôt qu'une loi nouvelle était rendue, nos rois avaient coutume d'ordonner qu'on en fit plusieurs copies pour en assurer la conservation et en accélérer la publication. Charlemagne ayant fait, en 812, un capitulaire adressé aux commissaires envoyés dans les provinces pour lever des troupes, ordonne, dans le chapitre 8, « de faire quatre copies de ce capitulaire; une pour les commissaires, une autre pour le comte dans la province duquel on agira, afin que les commissaires et le comle s'y conforment également; la troisième sera entre les mains de ceux à qui nous confierons le commandement de l'armée, et la quatrième restera par-devers notre chancelier. »

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Louis-le-Débonnaire, dans l'épître circulaire sur la formule de l'institution canoniale, qu'il envoya dans les différentes provinces de sa domination, en 816, ordonna de renfermer dans l'armoire de son palais un exemplaire de cette formule, afin qu'il servît pour convaincre d'infidélité ceux qui ne le copieraient pas exactement, ou ceux qui seraient assez hardis pour l'altérer en quelque partie. »

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Le même prince, dans le privilége qu'il accorda aux Espagnols qui s'étaient réfugiés en France pour se soustraire à la cruauté des Sarrasins, ordonna de faire plusieurs exemplaires de cette constitution. «Il y en aura, dit-il, un exemplaire à Narbonne, un autre à Carcassonne, un troisième à Roscillon, un quatrième à Empuries, un cinquième à Barcelonne, un sixième à Gironne, le septième à Béziers; et il en sera conservé un exemplaire dans

l'archive de notre palais, afin que les Espagnols conservent au milieu d'eux sept exemplaires de la concession, et que l'exemplaire qui sera conservé dans notre palais serve à décider plus facilement les contestations qui pourraient survenir sur le même sujet.»

On conçoit combien, dans ces premiers temps, il était difficile de multiplier ces copies autant qu'il aurait fallu pour les mettre à la portée, je ne dis pas de tous les citoyens, mais même de tous les fonctionnaires.

Lorsqu'on voulait avoir une expédition des capitulaires, il fallait envoyer un copiste muni de parchemin '.

Et encore dans le petit nombre de copies qu'il était possible d'exécuter ainsi, combien ne devait-il pas se rencontrer de fautes qui en corrompaient le véritable sens, et qu'on ne pouvait rectifier qu'en recourant à l'archive du roi!

C'était sans doute alors un bon métier que celui de copiste, et l'on ne doit pas s'étonner si, lors de la découverte de l'imprimerie, les écrivains publics présentèrent requête au parlement contre les novateurs qui s'étaient rendus coupables de cette admirable invention 2.

Ce qui doit plutôt surprendre, c'est que cette compagnie ait accueilli une pareille opposition 3, et contrarié par-là, autant qu'il était en elle, les premiers essais d'un art dont les progrès, si utiles aux sciences et aux lettres, n'ont pas été moins favorables à la législation, à la justice, à la liberté.

L'imprimerie une fois découverte, on a pu multiplier les exemplaires de chaque loi, et en répandre la connaissance autant qu'on l'a voulu.

Cependant, cette extrême facilité d'imprimer et de publier les lois ne tarda pas à entraîner des inconvéniens. On vit des imprimeurs avides ou ignorans se hâter de faire im

1 Mitte scriptorem cum pargameno, ut de armorio nostro ipsa capitula accipiat atque conscribat. Recueil général des anciennes lois françaises, par Isambert, tome 1er, page 75.

Hist. du parlement de Paris, chap. XI.

3 Je rends d'ailleurs assez de justice au parlement de Paris, pour être en droit de remarquer qu'il s'est opposé à l'établissement de plusieurs bonnes institutions; par exemple, l'imprimerie, la réforme du calendrier, l'académie française, etc.

primer et débiter les lois avant même qu'elles eussent été promulguées par le législateur, et donner ainsi des éditions fautives qui pouvaient égarer les citoyens, leurs conseils et quelquefois même les magistrats.

Le parlement y pourvut en ce qui concernait la publicité de ses actes, par un arrêt rendu le 7 juin 1549, qui, sur les conclusions du procureur général, «défendit d'imprimer et d'afficher aucuns arrêts de la cour ordonnés être lus, publiés, et affichés, qu'au préalable la lecture et publication n'en eussent été faites par le juré-crieur ou les jurés trompettes de la ville de Paris. >>

Plusieurs fois aussi l'autorité a défendu le débit d'éditions inexactes des lois et ordonnances. Ainsi, par arrêt du conseil du 14 septembre 1669, on supprima l'édition que le libraire Léonard avait donnée de l'ordonnance des eaux et forêts. Elle était remplie de fautes graves. On en fit faire une autre sur la minute originale délivrée par deux commissaires à ce commis par M. le chancelier.

La nécessité de prendre de semblables précautions pour les lois se fit surtout sentir au commencement de la révolution, lorsque la malveillance se plaisait à répandre comme officiels des actes qui n'avaient aucune existence légale. Pour remédier à cet abus, on rendit, le 26 février 1790, un décret dont l'article 1er porte que «nul ne pourra, sous peine d'être puni comme un perturbateur du repos public, se prévaloir d'aucun acte prétendu émané du roi et de l'assemblée nationale, s'il n'est revêtu des formes prescrites par la constitution, et s'il n'a été publié par les officiers chargés de cette fonction. >>

Depuis, on fit mieux encore en ordonnant, le 14 frimaire an II, l'impression d'un bulletin officiel dans lequel toutes les lois seraient transcrites, et qui serait adressé à toutes les autorités constituées; et comme l'abus auquel le décret de 1790 avait porté remède s'était renouvelé, au point qu'on se hâtait quelquefois d'imprimer les lois avant même qu'elles n'eusssent été adoptées par le corps législatif, un décret du 6 juillet 1810 défendit de nouveau à toutes personnes d'imprimer et de débiter des sénatus-consultes,

Voyez mon Code du commerce de bois, tome 1er, page 19 à, la note.

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