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« Mais j'observe que dans ce qui s'est pratiqué depuis la révolution, on avait trop subordonné l'exécution de la loi au fait de l'homme.

« Partout on exigeait des lectures, des transcriptions de la loi, et la loi n'était point exécutoire avant ces transcriptions et ces lectures. A chaque instant la négligence ou la mauvaise foi d'un officier public pouvaient paralyser la législation au grand préjudice de l'état et des citoyens.

<< Les transcriptions et les lectures peuvent figurer comme moyens secondaires, comme précautions de se

cours.

« Mais il ne faut pas que la loi soit abandonnée au caprice des hommes. Sa marche doit être assurée et imperturbable. Image de l'ordre éternel, elle doit, pour ainsi dire, se suffire à elle-même. Nous lui rendons toute son indépendance, en ne subordonnant son exécution qu'à des délais, à des précautions, commandés par la nature

même.

« Le plan des rédacteurs du projet de code joignait au vice de tous les autres systèmes un vice de plus.

<< Dans ce plan, on distinguait les lois administratives d'avec les autres, et, pour la publication, on faisait la part des tribunaux et celle des administrateurs.

« Il fallait donc, avec un pareil plan, juger chaque loi pour fixer l'autorité qui devait en faire la publication. Cela eût entraîné des difficultés interminables et des questions indiscrètes qui eussent pu compromettre la dignité des lois.

« Le projet que je présente prévient tous les doutes, remplit tous les intérêts, et satisfait à toutes les conve

nances. »

En conséquence l'article premier du code fut décrété. Cet article posait la règle; mais on sentit que son application pouvait faire naître de fréquentes contestations sur la juste étendue des distances. Pour les prévenir, du moins en grande partie, le gouvernement a fait dresser un tableau dans lequel sont indiquées les distances de chaque chef-lieu de département à la ville de Paris, qui est le lieu ordinaire de la résidence royale, et où, par conséquent, les lois sont promulguées.

On ne doit cependant pas croire que le délai nécessaire pour que la loi devienne obligatoire doive toujours se calculer à la rigueur d'après la fixation que contient cet arrêté, des distances de Paris au chef-lieu de chaque département. Car, ainsi que l'observait le premier consul, à la séance du conseil d'état du 14 thermidor an ix, « le gouvernement a la faculté de modifier cette fixation, toutes les fois que des obstacles naturels, comme un débordement de rivière, la chute d'un pont, ou d'autres semblables, interceptent les communications ordinaires, et forcent de prendre une route plus longue.

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Les mêmes raisons s'appliquent avec plus de force encore au cas où l'invasion d'un ennemi ou d'un allié empêcherait la loi de pénétrer dans une partie quelconque du territoire français. « Alors la présomption de l'article premier doit céder à la certitude des faits. (Discussion au conseil d'état, séance du 24 brumaire an x.)

De même que le délai de la promulgation peut être retardé, de même aussi il peut quelquefois être abrégé. Voyez l'ordonnance du 27 novembre 1816 et celle du 18 javier 1817. Voyez aussi ce que dit M. Locré de ces promulgations hâtives, dans son Esprit du code civil, tom. 1er, p. 139.

Le mot jour employé dans l'art. 1er du code civil doit s'entendre d'un délai de vingt-quatre heures. Ce n'est qu'après ce délai de vingt-quatre heures expiré, que la loi devient obligatoire. Le procès-verbal de la discussion au conseil d'état ne laisse aucun doute à ce sujet.

Jusqu'ici nous avons employé tantôt le mot de promulgation, tantôt celui de publication, sans faire sentir le rapport ou la différence qui pouvait exister entre eux.

Autrefois ces deux mots étaient synonymes; on les définissait l'un par l'autre. Mais le décret du 9 novembre 1789 leur assigna des significations différentes; il appela promulgation l'acte par lequel le chef de l'état attestait au au corps social l'existence de l'acte législatif qui constitue la loi ; et publication, le mode qui devait être employé pour

I PROMULGATION. Publication des lois faite avec les formalités requises. (Dictionn, de l'Académie.)

faire parvenir la loi à la connaissance de tous les citoyens.

Cette distinction entre la promulgation et la publication des lois cessa avec la constitution de 1791. C'est ce que prouve l'article 9 de la loi du 14 frimaire an 11, dans lequel on trouve encore ces deux mots confondus et identifiés.

Mais elle fut rétablie par la constitution du 5 fructidor an ш. Voyez les articles 128, 129 et 130 de cette constitution; vous y remarquerez qu'elle mettait, entre la promulgation et la publication, la même différence qu'entre la cause et l'effet; et qu'elle appelait promulgation l'acte par lequel le directoire ordonnait la publication d'une loi.

La constitution du 22 frimaire an vi attache la même idée au mot promulgation. « Le premier consul (dit-elle, art. 41) promulgue la loi, etc. »

Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII dit la même chose de son empereur.

Enfin la Charte dit aussi que « le roi seul promulgue les lois; et la formule exécutoire qui les termine enjoint aux

autorités de les faire publier: preuve évidente que la publication ne doit pas être confondue avec la promulga

tion.

L'article 37 de la constitution du 22 frimaire an vi portait que « tout décret du corps législatif, le dixième jour après son émission, est promulgué par le premier consul, à moins que, dans ce délai, il n'y ait recours au sénat pour cause d'inconstitutionnalité.

La nouvelle Charte ne fixe pas de délai pour la promulgation, et il résulte de l'ordonnance du 27 novembre 1816, que cette promulgation peut être pressée ou ralentie au gré du gouvernement, seul juge, en pareil cas, de l'urgence ou de l'ajournement de la promulgation.

On ne voit rien non plus dans l'ordre actuel des choses qui remplace ce recours à une autorité quelconque, pour cause d'inconstitutionnalité.

Qu'arriverait-il cependant si le garde des sceaux refusait de sceller une loi, sous prétexte qu'elle serait inconstitutionnelle? Il est clair que, par ce refus, la promulgation de la loi se trouverait arrêtée.

L'histoire offre quelques exemples d'une pareille résis

tance 1.

Ils semblent même avoir été autorisés par nos rois, ainsi que nous l'avons remarqué.

Au surplus la difficulté ne s'est pas encore présentée 2. Il est évident que la promulgation d'un acte ne lui attribue force d'exécution qu'autant que cet acte a par luimême le caractère légal. Ainsi le seul fait de la promulgation de lois abrogées ne peut pas leur rendre la vie 3.

Promulgations ecclésiastiques.

Qui n'a ouï parler des entreprises de la cour de Rome et des libertés de l'église gallicane?

Si toutes les bulles que Rome a fulminées avaient été reçues en France indistinctement et sans examen, le royaume

eût été bouleversé.

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La sagesse de nos pères, y a pourvu. En France, c'est une des plus anciennes maximes de l'état et de l'église : qu'aucune bulle, bref, rescrit, décret, ni autres expéditions de la cour de Rome, ne peuvent être reçus, publiés, imprimés ni autrement mis à exécution, sans l'autorisation du gouvernement 4. »

Vainement quelques ultramontains ont prétendu que, pour qu'une bulle fût exécutoire dans tous les états catholiques, il suffisait qu'elle eût été publiée à Rome. Cette opinion a toujours été repoussée en France 5, et nos recueils anciens et modernes sont remplis d'exemples du soin et quelquefois de la sévérité avec lesquels on a fait respecter cet article de nos libertés 6.

I

Voyez Maximes du droit public français, tome 2, chapitre 6, pages 378-400.

2 Voyez toutefois la loi du 14 septembre 1791, tit. 3, chap. 3, sect. 2, art. 10; et ci-après sous le paragraphe où nous traitons de l'interprétation des lois, ce qui doit arriver en cas de conflit entre la Charte et les lois ou ordonnances qu'on prétendrait lui être contraires.

3 Collection de lois et ordonn., par Isambert, vol. de 1820, préface, pages 3 et 5.

Libertés de l'Église gall., art. XLIV, loi du 18 germ. an X, art. 1er dans ma seconde édit., pag. 152 et suiv.

5 Dupuy, sur l'art. 17 des Lib. de l'Égl. gall. pages 71 et 72 de l'édition donnée par Lenglet-Dufresnoy, en 1715.

Voyez notamment ce qui se passa pour l'enregistrement des balles du

Lois en matière de religion.

J'ajouterai une observation particulière sur les lois en matière de religion. Malheur aux peuples et aux religions elles-mêmes1, si le législateur s'en mêle pour commander ou défendre des croyances! Il ne doit s'en occuper que pour proclamer la liberté de conscience et prévenir dans l'ordre temporel les scandales et les troubles religieux. Là se borne son ministère comme protecteur de la société civile. Cette vérité est connue du Nouveau - Monde, elle mérite d'être répétée à l'Ancien. J'emprunterai pour cela l'organe de l'homme qui, jusqu'à présent, a stipulé de la manière la plus désintéressée pour le genre humain; Bolivar, dans le discours qu'il a prononcé en présentant la Constitution de Bolivia, s'est expliqué en ces termes :

<< Dans une constitution politique, on ne devrait prescrire ni croyance ni profession de foi religieuse; la religion appartient tout entière à la morale. Elle gouverne l'homme dans son intérieur, dans le cabinet; elle a le siége de son empire dans son cœur; elle seule a le droit de demander des comptes à la conscience; les lois, au contraire, se bornent aux choses extérieures; elles se tiennent pour ainsi dire aux portes et hors la maison des citoyens.

<< Toute loi civile sur la religion en ébranle les fondemens; car, en imposant un devoir comme nécessité, la loi fait disparaître le mérite de la foi, qui est la base de la religion 2. »

cardinal Barbarin, où le roi était appelé roi de France et non roi de Navarre, dans le livre intitulé, Maxim. du dr. pub. fr., tome 1er, p. 183; Durand de Maillane, Lib. gall., tom. 1er, pag. 121 et 127, édit. de 1771, et l'explication, de cette omission dans le livre de M. Grégoire, sur les Libertés de l'Eglise, page 77. Voyez aussi sur cette matière la déclaration du 8 mars 1772; les procès-verbaux du clergé, t. 8, p. 858 et 880, et les mémoires du clergé, à la table, au mot Bulle, § 2. « Ceci est sans application en Belgique; voici comment s'exprime l'article 16 de la constitution L'état n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceuxci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. »

« Quand les rois se mêlent de la religion, au lieu de la protéger, ils la mettent en servitude. » Discours de Fénélon au fils de Jacques II. 2 Voilà pourquoi la Charte de 1830 n'admet pas de religion d'état.

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