Images de page
PDF
ePub

S XVI.-Exécution des lois'.

IN LEGIBUS SALUS.

« L'inexécution des lois ayant toujours été la ruine des empires, et, au contraire, l'observation d'icelles, leur grandeur, nous fait appréhender l'une et souhaiter l'autre. » Ce sont les propres termes de Louis XIII, dans sa déclaration du 16 mars 1617 2.

Aussi Montesquieu, voulant louer Charlemagne, dit de lui : « Charlemagne fit d'admirables réglemens ; il fit plus, « il les fit exécuter 3. »

En effet, à quoi servent à un peuple les plus belles lois du monde, si les dépositaires du pouvoir négligent d'en procurer la fidèle exécution? Elles se réduisent alors à de vaines sentences, pareilles à celles qu'on peut lire dans les écrits des philosophes; mais au fond, elles ne sont d'aucune utilité à la société : sunt verba et voces, prætereàque nihil.

Les lois doivent être délibérées avec maturité, et votées avec une entière indépendance; mais elles veulent être exécutées avec fermeté on peut dire d'elles comme des contrats sunt ab initio voluntatis, ex post facto necessitatis. La liberté n'existe qu'à l'ombre des lois 4. Le pouvoir lui-même n'est en sûreté que par l'exacte obéissance dont chacun fait profession à leur égard ; et l'anarchie, avantcoureur du despotisme et de la ruine des empires, existe là où les lois cessent de régner sur les hommes, et où les hommes se font les tyrans des lois 5.

Les lois ne sont pas seulement une arme dans les mains du pouvoir contre les citoyens qui voudraient les enfrein

I Voyez mon plaidoyer pour Isambert, et l'arrêt de la cour royale de Paris, du 18 août 1826, chambres réunies, sur la dénonciation de M. le comte de Montlosier.

2 11 est dommage que cette déclaration fut donnée pour la confiscation des biens des ducs de Nevers, de Vendôme, etc., Rec. de pièces concernant l'histoire de Louis XIII, tome 2, page 76.

3 Esprit des lois, liv. 31, chap. 18. Voyez le capitulaire de l'an 803, au livre de illis qui legem servare contemnunt.

4 Préambule de la loi du 1 octobre 1789. C'est ma devise: Sub lege libertas.

5 Huitième lettre de Platon à Denys-le-Tyran,

dre, et se soustraire au lien d'une soumission légitime; elles sont aussi un bouclier placé au devant des citoyens contre les coups de l'arbitraire.

Elles obligent les fonctionnaires publics dont elles fondent l'autorité, aussi bien que les citoyens auxquels elles imposent la nécessité de l'obéissance.

Elles lient le prince aussi bien que le sujet; et j'éprouve un véritable plaisir à accumuler les autorités sur ce point, à une époque où le pouvoir absolu trouve autant d'absurdes apologistes, que les gouvernemens constitutionnels rencontrent d'injustes détracteurs.

Saint Ambroise écrivait à Valentinien : L'empereur porte des lois qu'il est lui-même tenu d'observer 1.

Tu es lié par tes propres lois, disait à un autre prince Isidore d'Espagne 2.

Un roi goth, interrogé par un juge qui le consultait sur une affaire judiciaire, lui répondit en ces termes, que pourrait envier la plus haute civilisation: « La volonté royale est écrite dans les lois; sachez vous y conformer, et c'est ainsi que vous remplirez nos intentions 3. »

Cependant Tribonien ne craignit pas d'insérer dans le code de Justinien, que le prince était affranchi des lois : Princeps solutus est legibus: détestable maxime qui devait rester aux sultans, et que les meilleurs empereurs ont eux-mêmes repoussée.

Pline dit à Trajan (et pourtant dans un panégyrique!): le prince n'est pas au-dessus des lois, mais les lois sont au-dessus du prince: non est princeps supra leges, sed leges supra principem. Et s'il le loue, c'est en effet de s'y être soumis, ipse te legibus subjecisti.

Écoutons Théodose et Valence proclamer qu'il est digne de la majesté du prince d'avouer que sa puissance est enchaînée par celle des lois, parce qu'il ne doit jamais perdre de vue que de l'autorité des lois dépend la sienne propre 4.

1 Leges imperator fert, quas princeps ipse custodit. Epist. 21, no 9. Teneris enim tu tuis legibus.

Voluntatem regiam in legibus habes: illis obtempera, et nostra cognosceris adimplere mandata. CASSIOD. Variar. lect. lib. 7, no 2. Formula præsidatús.

4 Digna vox est majestate regnantis legibus alligatum se principem

C'est aussi l'instruction que donne aux souverains Rathier, évêque de Vérone, qui vivait dans le dixième siècle. Il est juste, dit-il, que vous obéissiez aux lois. Les hommes ne pourront s'empêcher de respecter vos ordonnances, si vous les respectez personnellement : ils les mépriseront, si vous paraissez vous jouer de leurs dispositions. Mais comment pourraient-ils s'empêcher d'obéir à votre voix, si ce que vous leur défendez, vous vous l'interdisez à vous-même ? »

Quelques écrivains ont voulu introduire en France une maxime analogue à celle de Tribonien. Si veut le roi, si veut la loi, ont-ils dit, en y attachant ce sens, que toute volonté du roi devait être reçue et obéie comme une loi.

Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois.

Si tel est le sens de cet adage, il faut le rejeter absolument comme faux: il est contraire aux mœurs de la nation; il répugne à la nature de son gouvernement, qui a toujours été une monarchie tempérée par les lois.

Loysel est le premier qui ait rapporté cette prétendue règle dont il ne cite aucun garant. Il n'y joint lui-même aucune explication, et dès-lors il est permis d'y attacher le sens le plus raisonnable, celui qu'y a donné Delaunay, l'un de ses commentateurs, en disant qu'il fallait entendre cette règle en ce sens que la loi est la volonté du roi, et non pas que la volonté du roi soit une loi : à moins encore que par la volonté du roi on n'entende, comme l'expliquent les auteurs du livre intitulé, Maximes du droit public français : « Sa volonté en tant que législative, c'est-àdire, avec l'appareil, la gravité et la certitude de la lé

[ocr errors]

profiteri. Adeò de auctoritate juris nostra pendet auctoritas : et reverà majus imperio est legibus summittere principatum. L. 4, cod. de legibus.

Justum est legibus te obtemperare debere. Tecum enim jura tua ab hominibus custodienda scias, et si tu illis reverentiam præbeas. Teneris enim tu, ut dicit Isidorus, tuis legibus, nec ipse damnare contra hæc faciendo, tua debes jura quæ in subjectis constituis. Justa est enim vocis tuæ auctoritas, si quod prohibes populis, tibi licere non patiaris. Amplissima collectio monumentorum, tom. IX, coll. 912,

2 Tome 1, page 189.

« gislation. >> Ce qui comporte l'observation exacte de toutes les formes constitutionnelles.

Cette interprétation peut être soutenue par ce que disait le chancelier de l'Hospital au lit de justice tenu à Bordeaux, le 11 avril 1564 : « Le roi ne veut rien contre les lois et ordonnances du royaume 1. »

C'est aussi à cela que certains empereurs romains, plus sages que Tribonien, réduisaient leur pouvoir : Nous voulons ce que veulent les lois, nos enim volumus obtinere quod nostræ leges volunt 2.

Et les empereurs français de la première race n'en avaient pas une autre idée : témoin ce capitulaire de Pépin de l'an 793 3 ; « La volonté du roi est que la loi de chacun « soit pleinement observée à son égard; et si l'on commet quelque acte au préjudice de quelqu'un contre le texte « et le vœu de la loi, ce n'est pas la volonté du roi, et l'or « drè qui serait donné n'est point obligatoire.

[ocr errors]
[ocr errors]

J'aime à citer à ce sujet l'autorité de Louis XI; non qu'il soit compté au rang de nos bons hommes de rois, mais précisément parce qu'il est mort en odeur de tyrannie. Laissons donc de côté certaines actions de sa vie, et voyons ce qu'il écrivait dans le livre qu'il a composé pour son fils (Charles) et auquel il a donné le titre bizarre de Rozier des guerres. A la page 14, intitulée de justice, il s'exprime

en ces termes :

Quand les roys ou les princes ne ont regard à la loy, ils ostent au peuple ce qu'ils deûssent laisser, et ne leur baillent pas ce qu'ils deûssent avoir; et en ce faisant, ils font leur peuple serf, et perdent le nom de roy : car nul ne doist être regardé roy fors celui qui règne et seugneurist sur les Francs; car les Francs de nature ayment leurs seigneurs, mais les serfs naturellement les héent, comme les esclaves leurs maîtres... >>

1 Cérémonial français, tome II, page 580.

2 Novelle 82, cap. 13.

3 Baluse, tome jer, page 542.

Multi se complangunt legem non habere conservatam; et quia omninò voluntas domini regis est ut unusquisque homo suam legem pleniter habeat conservatam. Et si alicui contrà legem factum est, non est voluntas sua, nec jussio.

« Telle est la puissance des lois! on ne les viole jamais impunément : jamais les rois n'ont étendu leur autorité au mépris d'elles, qu'ils n'aient diminué leur empire sur les

cœurs . »

Le chancelier Séguier se montrait donc sujet fidèle autant que magistrat courageux, lorsque, résistant à un ordre arbitraire de Mazarin, qui voulait qu'on remît en jugement une seconde fois, pour la même action, un homme qui venait d'être acquitté, il disait à la reine mère : « Madame, cela est impossible; la loi ne le permet pas; et si on interrompt une fois le cours de la loi, ni la loi salique, ni la succession de vos enfans ne seront en sûreté; en un mot, il ne restera plus rien en France sur quoi on puisse faire fond 2.

Aussi tous nos rois, à leur sacre, juraient de gouverner selon les lois 3; ce qui emportait évidemment l'obligation de s'y soumettre et d'y conformer sincèrement leurs actions 4.

En même temps donc qu'ils doivent maintenir et défendre leur prérogative, ils doivent réprimer avec soin l'ambition des ministres, qui, sous le nom du prince, cherchent toujours à étendre au-delà des lois le pouvoir dont il leur confie l'exercice.

Ils doivent ne point faire injustice ni violence à leurs sujets, protéger les personnes, respecter les propriétés, avoir soin de payer leurs dettes 5, exécuter fidèlement leurs contrats, se soumettre aux magistrats pour le jugement de leurs procès, quand ils plaident contre leurs su

' M. Henrion, Éloge de Mathieu Molé, p. 93.

Histoire des chanceliers, par Godefroy, p. 122.

3 Sans cela ils ne pourraient pas gouverner avec justice; « car la justice n'est elle-même que l'exécution de la loi. » Avis du conseil d'état du 17 décembre 1823.

4 Le serment de Louis-Philippe, dont j'ai dressé la formule en août 1830, renferme l'engagement « de gouverner par les lois et selon les lois. »

Art. 80 de la Constitution belge.

. Il (le roi) ne prend possession du trône, qu'après avoir solennellement prêté, dans le sein des chambres réunies, le serment suivant : « Je jure d'observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire.

5 Allusion à l'affaire du chevalier Desgraviers.

« PrécédentContinuer »