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quelque sorte, contemporaines de la loi interprétée, à laquelle elles se rattachent par le fait même de l'interprétation '.

Ce que Bacon dit des lois interprétatives, il le dit de celles qu'il nomme confirmatives, qui ont pour objet de corroborer et de confirmer les actes antérieurs. Ces lois ne

sont pas, à proprement parler, rétroactives, car le vice caractéristique d'une loi rétroactive est de jeter le trouble dans les affaires, et d'intervertir les droits acquis, tandis que les lois confirmatives ont pour objet la pacification et l'affermissement du passé (Aphor. 49).

On peut donner pour exemple de ces sortes de lois, celle du 26 germinal au xi, et l'avis du conseil d'état du 11 prair. an xi, lequel porte que « les émigrés ou absens ne peuvent attaquer les actes de divorce faits pendant leur disparition; que les actions qu'ils intenteraient seraient également contraires au texte et à l'esprit des lois antérieures; qu'elles tendraient à perpétuer une agitation et des souvenirs qu'il faut au contraire éteindre le plus tôt possible; que les émigrés ne peuvent examiner que le point de fait, s'il existe un acte de divorce revêtu de sa forme extérieure et matérielle; mais qu'ils ne peuvent jamais être autorisés à remettre en question l'affaire et à discuter la cause du divorce. »>

Telle est encore la loi du 5 décembre 1814, dont l'article 1er porte: << Sont maintenus et sortiront leur plein et entier effet, soit envers l'état, soit envers les tiers, tous jugemens et décisions rendus, tous actes passés, tous droits acquis avant la publication de la Charte constitutionnelle, et qui seraient fondés sur des lois ou des actes du gouvernement relatifs à l'émigration. » Cette loi se reporte évidemment au passé, non pour le troubler, non ut perturbet; mais pour le consolider, ad pacem et stabilimentum eorum quæ transacta sunt, comme le dit Bacon, aph. 41. Les lois ont un effet rétroactif proprement dit, toutes les fois que le législateur, même en établissant un droit

Lex declaratoria omnis, licet non habeat verba de præterito, tamen ad præterita ipså vi declarationis omninò trahitur. Non enim tùm incipit interpretatio cùm declaratur, sed efficitur tanquam contemporanea ipsi legi. (De Retrospectione legum, aphor. 51.)

nouveau,

a imprimé à la loi une force rétroactive. Le plus souvent, ce retour sur le passé est une source d'injustices. Cependant il peut arriver qu'une telle disposition soit fondée sur des raisons d'intérêt général et même d'équité : on peut citer pour exemple la loi du 25 messidor an III, qui, en suspendant les remboursemens en assignats, a déclaré que cette suspension aurait lieu hic et nunc, à compter du jour même où la loi avait été rendue, et non du jour de la promulgation qui en serait faite. Cette précaution était nécessaire pour empêcher que, dans l'intervalle, les débiteurs de mauvaise foi ne précipitassent les remboursemens de manière à consommer la ruine de leurs malheureux créanciers.

Quoi qu'il en soit, dans les cas même les plus favorables, disons encore, avec l'arrêt de cassation du 22 avril 1806, rendu précisément au sujet de la loi précitée, que, << la rétroactivité des lois étant contre le droit commun, en renversant les droits acquis, ne doit au moins être appliquée que dans les cas où la loi l'a établie d'une manière bien positive. »

Cette doctrine est aussi celle du Montesquieu anglais, qu'on me pardonnera de citer si souvent. On ne doit jamais (dit-il, en parlant des lois rétroactives), on ne doit jamais porter de telles lois que dans des occasions rares, où elles sont réellement nécessaires, où la rétroaction en soi n'a rien d'injuste; et, même en ce cas, il faut n'agir qu'avec de grands ménagemens, car Janus n'est pas le dieu des lois 1.

Un de ces cas favorables où la loi peut rétroagir sans injustice, est, sans contredit, celui où une loi nouvelle punit un crime ou un délit d'une peine moins forte que celle qui était infligée à ce même crime ou délit par les lois antérieures. Dans ce cas, on doit appliquer la loi nouvelle de préférence à la loi ancienne. La raison en est que c'est pour l'avantage de l'accusé qu'il est défendu aux juges de faire rétroagir les lois pénales; on ne peut donc pas faire tourner cette défense à son préjudice

2

Voyez aphorismes 47 et 51.

2.

Voyez à ce sujet le code pénal du 25 septembre 1791, article dernier ;

Les lois d'amnistie sont nécessairement rétroactives, car on n'oublie que le passé; mais qui pourrait s'en plaindre? Au sujet de la rétroactivité des lois, Domat observe, avec raison, que si les lois arbitraires n'obligent et n'ont leur effet qu'après qu'elles ont été publiées, il n'en est pas de même des lois naturelles, qui ont leur effet indépendamment de toute publication, parce qu'elles sont, pour ainsi dire, innées.

De là il suit que les lois qui ne sont que déclaratives d'un principe du droit naturel, s'appliquent même au passé; car le droit naturel est imprescriptible: toute loi qui y porte atteinte n'est pas, à proprement parler, une loi, c'est un abus. L'auteur du Répertoire de Jurisprudence emploie cet argument pour prouver que « « l'assemblée constituante a pu, sans rétroactivité, abolir la servitude personnelle, la main-morte et la féodalité. »

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Le signe le moins équivoque de la rétroactivité d'une loi, est lorsqu'elle porte atteinte à des droits qui se trouvent acquis au jour de sa publication. Mais que doit-on entendre par droits acquis? GLUCK, dans son Commentaire sur la Jurisprudentia forensis de Hellfeld, tome 1er, § 21, donne à cet égard les notions suivantes : « Pour qu'un acte puisse être considéré comme passé, et que par-là il nous soit défendu de lui appliquer la loi nouvelle, il faut qu'il ne soit plus possible d'apporter un changement à cel acte, et de le modifier suivant la loi nouvelle, sans porter atteinte au droit légalement acquis par un tiers en vertu de cet acte. Par exemple, un noble m'a légué une terre pour en jouir après son décès; mais avant que l'héritier institué ait accepté la succession, une loi nouvelle vient d'être publiée, qui défend de faire passer les terres de cette espèce entre les mains des roturiers. On demande si la loi

la loi du 25 frim. an VIII, art. 18 et 19; les arrêts de cassation des 25 et 26 floréal an VIII, et 15 mars 1810; le décret du 23 juillet 1810, art. 6; l'avis du conseil d'état du 28 prairial an VIII; l'arrêt de cassation des 9 et 15 juillet 1813, cité par M. Bourguignon sur l'art. 4 du code pénal, et l'excellent traité de M. Legraverend, de la législation criminelle en France, tome 2, page 20, § 6, où il parle de la non rétroactivité des lois pénales avec cette profondeur qui se fait remarquer dans tout son ouvrage.

Traité des lois, chap. 11, n° 47.

nouvelle est applicable au legs dont il s'agit? Je crois que non. Par le décès du testateur, qui a eu lieu avant la publication de la loi nouvelle, le testament du défunt avait obtenu toute sa perfection, et j'avais acquis un droit sur l'immeuble; l'acte doit donc être considéré comme antérieur à la loi, car le droit que j'ai de réclamer la terre n'est plus subordonné qu'à l'acceptation de la succession, et la loi nouvelle ne peut ni ne doit me priver de ce droit acquis. Il en serait autrement si la loi nouvelle avait été publiée avant le décès du testateur. » L'auteur ajoute qu'on ne doit pas appliquer la loi nouvelle aux actes antérieurs, quoique conditionnels '.

Ce que Gluck dit des actes qui, avant la loi nouvelle, ont reçu toute leur perfection, il faut le dire pareillement des jugemens qui ont acquis la force de chose jugée, avant la loi qui introduit un droit nouveau.

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L'interprétation de la loi appartient naturellement au législateur 2.

Sous l'ancienne monarchie, nos rois se sont toujours réservé l'interprétation de leurs ordonnances.

Charlemagne, ayant trouvé la loi des Lombards défectueuse en plusieurs points, la réforma en 801, et ajouta que, dans les choses douteuses, il voulait que les juges eussent recours à son autorité, sans qu'il leur fût permis de les décider suivant leur caprice.

à

Il paraît qu'avec le temps les juges s'étaient dispensés de ce soin, et qu'ils s'étaient attribué le droit d'interpréter les lois à leur guise. Du moins on peut le penser ainsi, en juger par la manière dont le chancelier de l'Hospital gourmandait le parlement de Rouen en 1563. « Voici une maison mal réglée, disait-il aux magistrats de cette cour. La première faute que je vous vois commettre, c'est de ne garder les ordonnances; en quoi vous désobéissez au

Cela est tout simple, puisque « la condition accomplie a un effet rétroactif au jour du contrat. Code civil, art. 1179.

Ejus est interpretari, cujus est condere. L. 1, 9 et 12, C. de legibus.

roi. Si vous avez des remontrances à lui faire, faites-les; et connaîtrez après sa volonté. C'est votre faute aussi à vous, présidens et gens du roi, qui devez requérir l'observation des lois; mais vous cuidez être plus sages que le roi, et estimez tant vos arrêts, que vous les mettez par-dessus les ordonnances, que vous interprétez comme il vous plaît.

Pour réprimer cet abus, on inséra dans l'ordonnance de 1667 un article où l'on fait dire au roi : « N'entendons toutefois empêcher que si, par la suite du temps, usage et expérience, aucuns articles de la présente ordonnance se trouvaient contre l'utilité ou commodité publique, ou étre sujets à interprétation, déclaration ou modération, nos cours ne puissent en tout temps nous représenter ce qu'elles jugeront à propos, sans que, sous ce prétexte, l'exécution puisse en être sursise. » Titre 1, article 3.

L'article 7 ajoute « Si dans les jugemens des procès qui seront pendans en nos cours de parlement et autres nos cours, il survient aucuns doute et difficulté sur l'exécution de quelques articles de nos ordonnances, édits, déclarations et lettres-patentes, nous leur défendons de les interpréter, mais voulons qu'en ce cas elles aient à se retirer par-devers nous, pour apprendre ce qui sera de notre intention. »

Dans un ouvrage célèbre par la vaste érudition et le noble caractère qu'y déploient ses auteurs, « on ne craint pas de dire que cette disposition est manifestement un acte du pouvoir arbitraire. » (Max. du droit public français, tom. II, page 315).

Cette opinion est exagérée. C'est mal entendre l'ordonnance que de supposer qu'elle gêne en rien la liberté qu'ont naturellement les juges d'appliquer les lois aux affaires, selon le sens qui leur paraît le plus raisonnable.

On sent bien « qu'il est impossible de rendre la justice et de remplir les fonctions d'avocat, sans interpréter les lois, sans chercher à découvrir l'intention du législateur. » (Ibid., p. 516). Aussi ce n'est point ce que l'ordonnance a eu en vue de défendre; mais elle a voulu faire cesser l'abus résultant de ce que les cours transformaient quelquefois leurs arrêts en véritables lois, généralisant leurs décisions sous une forme réglementaire.

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