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il sera procédé selon les formes prescrites par la loi du 16 septembre 1807. »

Ainsi, suivant cette loi, interprétée elle-même au profit du conseil d'état, par l'avis du conseil d'état du 27 novembre 1823, ce sera le conseil d'état qui, en matière criminelle, lorsqu'il s'agira non plus seulement de la fortune et des biens, mais de la liberté, de la vie, de l'honneur d'un citoyen (et cela même en matière politique, car ce cas peut se présenter comme tout autre), statuera, non par voie de disposition générale et réglementaire, mais spécialement sur le cas donné, et par conséquent sur la tête d'un citoyen!

Toutes ces incohérences n'ont point échappé à l'habile auteur des Questions du droit administratif: mais quoiqu'il n'ait pu se dissimuler ce qu'un tel ordre de choses avait d'abusif, il se résume en ces termes 1: « D'après tous ces motifs, et en principe, je pense qu'on ne devrait pas déférer la consommation pleine et définitive du litige par voie d'interprétation doctrinale, soit aux cours royales, soit à la cour de cassation; qu'il y aurait lieu, dans le cas prévu de l'obscurité de la loi, à l'expliquer par voie d'interprétation législative; que cette interprétation ne devrait être donnée ni par la cour de cassation, ni par la chambre des pairs, ni par le ministre de la justice, ni par le conseil d'étal; mais seulement par le roi et les deux chambres, dans la forme voulue pour la présentation et la confection des lois. Toutefois la loi du 16 septembre 1807, qui attribue spécialement au conseil d'état, dans le cas donné, l'interprétation de la loi, existe, et je n'en veux d'autre preuve que la résolution elle-même qui proposait de la changer : si donc cette loi existe, elle conserve, tant qu'elle ne sera pas rapportée dans les formes constitutionnelles, une force obligatoire, à laquelle ne peuvent se soustraire ni le gouvernement qui doit la faire exécuter, ni les citoyens qui doivent y obéir. »

Assurément, j'accorde et je proclame le principe qui veut qu'on obéisse aux lois existantes tant qu'elles ne sont pas légalement rapportées ; mais, franchement, M. de Cormenin, à la capacité de qui je rends très volontiers hommage, ne commet-il pas ici une pétition de principe? Car la

'Au mot interprétation de la loi, p. 251.

question est précisément de savoir si l'on peut regarder comme loi un acte devenu incompatible avec la constitution.Au lieu d'accorder l'exécution provisoire à l'acte inconstitutionnel, ne serait-il pas plus raisonnable, comme nous le dirons bientôt, de l'accorder à la constitution? Le fait, qu'on n'a pas abrogé textuellement la loi de 1807, empêche-t-il donc qu'elle ne soit abrogée implicitement par l'article 68 de la Charte de 1814, puisque cet article a eu précisément pour objet d'abroger d'une manière générale, et toutepuissante néanmoins, les lois qui ne seraient pas d'accord avec la Charte?

Quoi qu'il en soit, si, par le fait, et jusqu'à ce que le droit ait repris son empire et qu'on soit revenu à ce que M. de Cormenin appelle, avec nous, le principe, nous ne devons attendre d'interprétation que du conseil d'état ; au moins est-il certain que ces interprétations devront être données avec l'espèce de solennité observée dans ce conseil pour les réglemens d'administration publique : et que les ministres, quoique chargés de faire exécuter les lois, n'ont pas le droit de les interpréter personnellement par simples circulaires, ni même par voie d'autorité. Il a toujours été de

On y est revenu par la loi du 30 juillet 1828, qui abroge celle du 16 septembre 1807 et porte que l'interprétation sera proposée aux chambres en forme de loi. Du reste, je ferai remarquer que, les chambres ayant, depuis 1830, l'initiative des lois aussi bien que le roi, toute loi soi disant interprétative sera en réalité une loi nouvelle qui souvent abrogera ou modifiera l'ancienne; à la différence de l'interprétation proprement dite, qui se borne à rechercher et à développer le sens propre de la loi qu'il s'agit seulement d'interpréter e d'expliquer, sans la changer. Aussi, dans ses référés, à la suite d'une seconde cassation, la cour en prononçant le renvoi au roi, à l'effet d'en provoquer l'interprétation, ajoute: S'il y a lieu.

Art. 28 de la constitution belge. « L'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'au pouvoir législatif. »

Loi du 4 août 1832, art. 23. « Lorsqu'après une cassation, le second arrêt ou jugement est attaqué par les mêmes moyens que le premier, la cause est portée devant les chambres réunies qui jugent en nombre impair. Si la cour annule le second arrêt ou jugement, il y a lieu à interprétation. >>

Art. 24. a Le procureur-général transmet les jugement et arrêt au gouvernement qui provoque une loi interprétative. »

Art. 26. Jusqu'à ce que cette loi ait été rendue, il est sursis au jugement de la cause par la cour ou le tribunal auquel elle est renvoyée. — Les cours et les tribunaux sont tenus de se conformer à la loi interprétative, dans toutes les affaires non définitivement jugées.

principe qu'une instruction ministérielle n'a aucune espèce d'autorité, de force obligatoire pour les tribunaux 1.

Ce principe n'était pas inconnu aux parlemens, témoin ce passage des remontrances adressées, le 28 juin 1754, par le parlement d'Aix à Louis XV :

« Lorsque votre chancelier parle avec la raison et la loi et qu'il s'appuie encore sur le prince, tous ces témoignages se certifient mutuellement, et forment un corps d'autorité. Lorsqu'il parle sans loi, il ne peut être garant, il est sans garant lui-même. Lorsqu'il parle contre la raison et la loi, la déclaration qu'il fait au nom du prince, bien loin de fortifier le commandement ne sert qu'à le rendre plus suspect. La volonté qu'il prétend avoir recueillie ne peut être qu'une volonté supposée, ou une volonté momentanée, qui ne suffit point en France pour faire changer la règle, et qui est d'ailleurs mal certifiée 2. »

Les bons chanceliers n'avaient pas besoin qu'on leur objectât ces règles; ils savaient bien d'eux-mêmes s'y conformer. Ainsi le chancelier de l'Hospital, qui faisait la leçon au parlement de Rouen, la faisait également aux ministres, lorsqu'il disait : « J'ai cet honneur de lui être chef de justice (au roi); mais je serais bien marri de lui faire une interprétation de moi-même et de ma seule autorité. » (Discours précité.)

M. Lanjuinais parle de ces instructions et circulaires ministérielles avec la double autorité de pair de France et de jurisconsulte. « Les deux chambres dit-il 3, doivent être attentives à exercer leur surveillance et sur ces instructions et particulièrement sur les ordonnances de même nature. Il n'appartient qu'aux volontés qui font les lois d'en émettre des interprétations générales obligatoires: autrement le roi, ses ministres et leurs agens seraient des constitutions, des lois vivantes : il n'y aurait plus, à vrai dire, ni constitution ni lois. On souffrit à Rome que les préteurs donnassent des édits pour suppléer au silence des lois et en fixer le sens, adjuvandi vel supplendi juris civilis gratiá :

Recueil des lois et ordonnances, vol de 1819, préf. pag. xx1. Projet de constitut. du 29 juin 1815, art. 92.

2 Remontrances du parlement d'Aix, 28 juin 1754.

3 Essai sur la Charte, tome 1er, pag. 259.

bientôt ils s'arrogèrent effectivement et littéralement le droit de les corriger. »

Ceci tient à une question qu'il importe d'examiner en termes généraux : que décider, s'il se rencontre une loi qui soit en contradiction avec la Charte constitutionnelle ? ou si l'on excipe d'une ordonnance contraire soit à la charte, soit à toute autre loi?

En principe, la loi fondamentale tient toutes les autres lois sous sa dépendance. Aussi, l'article 68 de la Charte nous dit-il que les autres lois ne sont maintenues qu'autant que celles-ci ne lui seraient pas contraires. Dans le conflit entre ces lois et la Charte, c'est donc à la Charte, comme étant la mère de toutes les lois, la reine loi, que l'on doit donner la préférence.

Cela est incontestable pour les lois antérieures à la Charte: l'article 68 est précis sur ce point.

Quid juris si la contradiction résultait d'une loi qui lui fût postérieure?

Que décider encore si la contrariété se trouvait établie entre la Charte et une simple ordonnance? Louis XVIII, à la vérité, a bien recommandé à l'un de ses gardes des sceaux, en les lui remettant, de ne s'en servir que pour sceller des lois et actes conformes à la Charte constitutionnelle; mais enfin si, par événement, un garde des sceaux, par trop de hardiesse ou simple inattention, scellait quelque acte qui ne fût pas de cette nature, devrait-on donner la préférence à cet acte irrégulier sur la loi fondamentale?

La constitution de l'an vi avait indiqué le moyen de sortir d'embarras, en autorisant le recours au sénat dit conservateur, pour décider si la loi était ou non inconstitutionnelle. A la vérité on n'en a jamais fait usage; mais enfin, légalement parlant, il y avait un remède indiqué; et c'est aussi parce que cette voie légale existait, que la Cour de cassation a décidé que lorsqu'on n'y avait pas eu recours, y avait présomption légale que l'acte n'était pas inconstitutionnel.

il

Mais la Charte ne renferme aucune disposition analogue à la constitution de l'an vi, pour sortir de ce genre de perplexité. Cette omission est à regretter; car on ne peut se dissimuler que ces sortes de questions peuvent, selon

les circonstances, être fort graves, et présenter de sérieuses difficultés, même pour les hommes les plus instruits. D'un autre côté, le code civil, article 4, dit que le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, sera coupable de déni de justice: il est donc, dans tous les cas obligé de prononcer.

Dans cette position, et en l'absence de règle spéciale, il devra donc se décider d'après les principes généraux du droit.

Or, en principe:

1o Un ministre ne peut pas déroger par ses décisions personnelles aux lois qu'il est simplement chargé de faire exécuter;

2o Par la même raison, les ordonnances ne peuvent pas déroger aux lois, dont elles doivent seulement assurer la marche (Charte, art. 14);

3o Les lois elles-mêmes faites par des législateurs qui ont juré obéissance à la Charte, ne peuvent pas déroger à cette loi fondamentale.

En cela, les partisans de la dérogation ne peuvent pas dire qu'on désobéit ; la réponse est qu'on obéit à la Charte, comme étant la loi qui parle plus haut et plus net. Le juge n'abroge pas l'acte qu'on suppose contraire; mais il décide une question de droit, il pense que cet acte n'est pas applicable: non videtur judex contra constitutiones pronuntiasse, si existimavit causam per eas non juvari.

M. Henrion de Pansey, dans la dernière édition de sa Compétence des juges de paix, nous fournit un exemple analogue en parlant de certains arrêtés par lesquels les maires et les préfets excédant leurs pouvoirs, auraient, de leur chef, établi des peines en cas de contravention. Les tribunaux n'ont pas le pouvoir d'annuler ces arrêtés; mais ils ne sont pas tenus de les appliquer, s'ils pensent, comme l'indépendance de leur magistrature leur en fait un devoir, qu'ils ne doivent appliquer de peines que celles qui sont prononcées par les lois.

Notre ancienne législation offre une multitude d'ordonnances, édits et lettres-patentes de nos rois, qui ont autorisé les magistrats à résister même aux ordres les plus précis qui seraient contraires au droit et aux lois du royau

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