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me1; et l'histoire des parlemens est pleine d'illustres exemples qui attestent que les magistrats français ont toujours mis leur devoir au-dessus de vaines considérations, et préféré la loi aux choses irrégulières qui leur étaient parfois demandées ou commandées.

Ce point est confié à leur diligence et à leur discrétion, et nous dispense de nous étendre davantage à ce sujet 2.

Il est du moins incontestable qu'aux juges appartient le droit d'interpréter les lois par voie de doctrine.

Cette interprétation doctrinale est tellement autorisée par les lois elles-mêmes, qu'elles ont pris soin de tracer quelques unes des règles qui peuvent servir à diriger le juge dans cette interprétation.

J'ai réuni les principales de ces règles dans mes PROLEGOMENA JURIS, de legibus interpretandis et applicandis3. DOMAT, dans son traité des lois, chap. 12, développe la plupart de ces règles, et montre, par des exemples bien choisis, la juste application qu'on en doit faire.

On peut aussi consulter les Elementa logica d'HEINECCIUS, 181, et seq. ; et le Comes juridicus de P. PITHOU.

Pour connaître au juste l'objet d'une loi, ce n'est jamais à son titre qu'il faut s'arrêter. Le titre d'une loi n'est point l'ouvrage du législateur : les lois se décrètent sans titre, et le titre que chacune d'elles porte dans le bulletin, n'y a été mis que par le directeur de l'imprimerie royale, sous l'inspection du ministre de la justice. C'est un point de fait dont la certitude ne peut être contestée.

Dans une contestation où les héritiers d'un ancien colon de Saint-Domingue invoquaient le sursis accordé par l'article 1er de l'arrêté du 19 frutidor an x, prorogé par le décret du 20 juin 1807, la cour de Bordeaux avait, par arrêt du 23 août 1808, décidé qu'il n'y avait pas lieu à sursis: Attendu que l'arrêté du 19 frutidor an x n'a pour objet que les colons de l'île de Saint-Dominique, et que, depuis long-temps, Demontis avait cessé d'être colon, puis

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Voyez notamment, édit de Louis XII, du 22 décembre 1499.

Voy. dans les Maximes du droit public français, le curieux chap. VI du tome II, intitulé: Obéissance due par les magistrats.

3 Voyez ci-devant page 235.

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»

qu'il s'était retiré en France dès 1768, après avoir vendu la totalité des propriétés qu'il avait à Saint-Dominique. Mais cet arrêt fut cassé le 30 juillet 1811 par ces motifs : Considérant que si, d'après le titre de l'arrêté du 19 fructidor an x, le sursis ordonné par l'article 1er de cet arrêté semble ne concerner que les colons proprement dits, néanmoins la disposition de cet article embrasse dans sa généralité tous les débiteurs pour cause de ventes d'habitations à Saint-Domingue, sans distinguer si ces débiteurs sont ou non restés habitans de cette colonie et propriétaires desdites habitations; que, lorsque la disposition littérale d'une loi ou d'un arrêté du gouvernement est expresse, générale, et ne renferme aucune modification, il n'est pas permis aux tribunaux d'en restreindre l'application à tels ou tels individus, sous le prétexte qu'eux seuls sont dénommés dans le titre de la loi ou de l'arrêté, ou d'après de prétendues considérations d'équité, que le législateur a seul droit d'apprécier, etc. »

Il y a mieux : on voit quelquefois dans le titre des lois, des expressions que le législateur n'a pas voulu placer dans le texte, parce qu'il y a vu du danger. Tel est le mot sacrilege qui se trouve dans le titre de la loi du 20 avril 1825, sur les crimes et délits commis dans les édifices consacrés aux cultes.

Le garde des sceaux, en présentant cette loi à la chambre des députés, s'est expliqué en ces termes :

« En vous proposant de punir des faits de profanation et de sacrilége, nous avons cru de notre devoir de résister aux conseils de ceux qui nous exhortaient à introduire ces mots dans le texte même du projet de loi. Vous connaissez déjà, messieurs, les motifs de notre refus. Ce n'est pas que nous craignions de confesser l'horreur que nous inspirent ces crimes; nous la manifestons assez peut-être par les châtimens que nous vous demandons de leur infliger. Mais l'expérience que nous avons acquise des avantages et des inconvéniens de notre organisation judiciaire; mais le désir d'obtenir une loi qui soit exécutée et qui devienne efficace; mais le danger des lois criminelles qui se prêteraient à des interprétations diverses, et par conséquent arbitraires, tout nous persuadait d'insister pour n'admettre

dans le texte de la loi que l'indication des faits qui constituent les crimes, et pour en exclure les termes abstraits dont l'emploi ne peut être indifférent ou utile que dans le titre qui annonce l'objet de la loi, ou dans les discours qui en démontrent la nécessité.

« Ce qui importe le plus n'est pas la dénomination du crime, mais sa répression... »

Les motifs d'une loi, quand on connaît les véritables, servent puissamment à son interprétation 1.

Cependant il ne faut pas se piquer de vouloir rendre raison de toutes les lois ; car les lois elles-mêmes nous apprennent que cette raison est souvent impossible à donner 2.

Dans le droit civil, l'analogie n'est pas exempte de danger; il est rare qu'elle soit parfaite, et l'on peut dire avec vérité de la plupart des argumens qu'elle fournit, que comparaison n'est pas raison.

Mais c'est dans le droit criminel que l'analogie est affreuse, quand elle s'avise de régler les délits et les peines. L'auteur des Lois criminelles, liv. 1, tit. 1, no 9, autorise les juges à suppléer au besoin aux dispositions de la loi pour les cas qu'elle n'aurait pas prévus.

La doctrine de Montesquieu est bien différente; suivant lui: «Il n'y a point de citoyen contre qui l'on puisse interpréter une loi, quand il s'agit de ses biens, de son honneur ou de sa vie 3. »

Bacon est dans les mêmes principes. A ses yeux, «c'est la plus horrible des injustices que de tordre les lois pour torturer les hommes: on ne doit donc pas, dit-il, étendre les lois pénales, surtout les capitales, aux délits nouveaux 4. »>

Telle est la jurisprudence anglaise. Elle est judaïque en matière criminelle. Qu'on critique tant qu'on voudra le vingt-deuxième statut de Charles II, chap. 1, appelé l'acte de Conventry: il n'en est pas moins certain qu'il vaut mieux qu'un délit imprévu et non spécifié par la loi reste impuni,

Voyez ci-devant, page 17, un passage de d'Aguesseau.

Non omnium quæ à majoribus instituta sunt, ratio reddi potest. L. 20, ff. de legibus; adde 1. 21, ff. cod., et l. 2, ff. de origine juris. 3 Esprit des lois, liv. 6, chap. 3.

4 Aphor. 12.

sauf à statuer pour l'avenir, que de voir l'honneur, la sûreté et la vie même, soumis à un arbitraire qui peut tout enchaîner par l'analogie.

Tout accusé a raison de répéter en pareil cas, le mot de sir Robert Wilson: « Monsieur le juge, je m'oppose à la logique de l'induction. »

Le savant auteur de la Législation criminelle en France, t. 2, p. 19, § V, de l'application des lois pénales, M. LË GRAVEREND, professe aussi «qu'il n'est pas permis aux tri« bunaux d'appliquer ces lois, par induction d'un cas prévu, à un autre cas qui ne l'a pas été. »

Le projet de code pénal, rédigé par M. Livingston, par ordre de l'état de la Louisiane, et publié à Paris en 1825, par M. Taillandier, contient (à la page 137) deux dispositions remarquables sur l'interprétation des lois pé

nales :

Art. 7. «La législature seule a le droit de déclarer ce qui constitue un délit. En conséquence, il est défendu de punir aucunes actions ou omissions non condamnées par la loi, sous le prétexte qu'elles offensent les lois de la nature, de la religion, de la morale ou toute autre loi que la loi écrite. »

Art. 8. « Il est expressément défendu aux cours, de punir aucune action ou omission non condamnée par la lettre de la loi, sous le prétexte qu'elles le sont par l'esprit de la loi. Il vaut mieux que des actes répréhensibles restent momentanément impunis, que si les tribunaux usurpaient le pouvoir législatif, acte plus criminel en luimême qu'aucun de ceux qu'on prétendrait réprimer par ce moyen. Il n'y a donc point de délits interprétatifs (constructive offences). La législature, quand elle le jugera nécessaire, étendra la lettre de la loi à ces actes qui lui paraîtront devoir être punis.

Prost de Roger, dans son excellent dictionnaire de droit, au mot argument, no 13, argument de la loi, explique comment et dans quels cas on peut argumenter à simili, à contrario, à consequentia, à majori, ad minùs. Il existe aussi un traité spécial de l'interprétation des lois, par M. Mailher de Chassat, dont la deuxième édition a paru en 1825, in-8°.

S XX.

Du droit de critiquer les lois.

« On peut, disait M. de Serres, alors garde des sceaux ' contester la justice ou la convenance d'une loi pénale, comme de toute autre loi; on peut en solliciter le changement.»

Dans mes Observations préliminaires sur l'accusation portée contre M. Bavoux en 1819, j'ai montré, par un assez grand nombre d'exemples empruntés à l'ancien et au nouveau droit, jusqu'où pouvait aller ce droit de critiquer les lois, qui devient presque toujours la source de leur amélioration 2.

Du reste, je posais en principe que, s'il est permis de désirer le changement ou l'abrogation des lois qu'on croit mauvaises, on doit toujours le faire avec une certaine mesure; on ne doit surtout jamais exciter les citoyens à y désobéir tant qu'elles ne sont pas abrogées.

Prenant Servan pour modèle, il faut s'écrier avec lui : « Hommes sages, dites-moi si j'outrage les lois parce que j'en demande de plus parfaites! Je le déclare aux hommes timides adorateurs de tout usage antique; je le déclare aux hommes violens qui mettent la tête de la justice dans un nuage, et ne laissent voir que ses bras; je le déclare à tous: tant que nos lois criminelles subsisteront, je ne cesserai jamais de les respecter comme citoyen, je ne cesserai jamais de travailler à les faire respecter comme magistrat ; mais, comme ami de l'humanité, j'en désirerai souvent la réformation. »

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« Un roi est bon et noble qui en son royaume ôte la mauvaise loy, pour y mettre la bonne, et se garde de rompre la loy qui est profitable à son peuple; car le peuple obéit toujours au bienfaisant 3. »

I

Exposé des motifs du projet de loi sur la liberté de la presse, présenté aux chambres le 22 mars 1819.

a J'ai usé personnellement de ce droit de critique, dans mes Observations sur la législation crim.; et je ne me fais point faute d'en user en soute occasion où je le crois utile, sauf meilleur avis.

3 Le Kosier des guerres, page 14, de justice.

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