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Mais, si tel est 'office du juge, on ne peut se dissimuler qu'il ne peut le remplir dans toute son étendue, qu'autant que les lois et les institutions lui en offrent les moyens.

Sans cela, on ne s'expliquerait pas pourquoi la justice, qui en soi est toujours la même, est cependant plus ou moins administrée, selon les temps, les lieux, la forme des législations et l'esprit des gouvernement.

C'est ce qui m'a décidé à jeter un coup d'œil sur les magistrats d'autrefois, les magistrats de la révolution, et les magistrats à venir.

On a trouvé que le portrait que je traçais des anciens magistrats était flatté; que je leur prêtais une perfection imaginaire. Quand cela serait vrai, qu'importe? Si j'ai donné le modèle, même idéal, des vrais magistrats, l'utilité n'en demeure-t-elle pas la même? Il s'agit toujours de les imiter.

Lorsque j'ai parlé des magistrats de la révolution, je n'ai pas prétendu confondre les époques, ni appliquer à des temps devenus meilleurs ce qui n'a dû se dire que des époques les plus désastreuses; et même pour celles-ci, je suis loin d'exclure les exceptions honorables que peuvent réclamer un petit nombre d'hommes justes qui, dans tous les temps, valent mieux que les institutions qu'ils sont destinés à faire marcher.

Je n'ai rien dit des magistrats actuels 1. S'ils réalisent par avance, autant qu'il est en eux, les espérances de l'avenir, ils savent bien aussi que l'organisation judiciaire est loin d'avoir atteint la perfection dont elle est susceptible. D'ailleurs on conçoit que je n'ai point eu à traiter la question des personnes, mais uniquement celle des institutions,

vitatis, debereque ejus dignitatem et decus sustinere, servare leges, jura describere, ea fidei suæ commissa meminisse. Cic. de Officiis 1, 124. I Année 1824.

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dont l'appréciation peut seule, sans inconvenance, devenir l'objet d'une honnête critique.

Les améliorations que je propose, toutes prises dans l'intérêt de l'ordre judiciaire, ne sont point des vues qui me soient personnelles, et que l'on puisse supposer n'avoir point été réfléchies. Mes conversations avec plusieurs hommes distingués par leur savoir et leur expérience m'ont dès long-temps convaincu que les changemens que j'indique auraient l'assentiment de la magistrature. Sur le plus grand nombre des points que je discute, je ne suis que l'interprète du vœu public et d'un besoin assez généralement senti pour être hautement exprimé :

Questi non sono pensieri del solo autore, ma del pubblico.
GIORDANI.

Les lois, quelles qu'elles soient, doivent toujours être exécutées tant qu'elles existent; mais il n'est pas défendu d'en désirer de meilleures. Il est bon même qu'avant d'opérer des changemens, ils aient été longuement médités. Et je ne me dissimule pas cette vérité : « qu'à côté de l'avantage d'améliorer est le danger d'innover. »

Mais pour que le législateur lui-même soit plus à portée d'apprécier les besoins et les vœux du public, il importe que ceux qui croient les avoir aperçus, les présentent et les expriment avec sincérité.

LOYSEAU avait décrit les abus des justices de village long-temps avant l'époque où elles furent supprimées.

Avec moins d'habileté que ce grand maître, mais autant d'amour pour la justice et de respect pour la magistrature, il est permis de désirer aussi des améliorations appropriées, au temps où nous vivons.

Si je me suis trompé, mes intentions n'en auront pas moins été pures; si mes vues sont justes, elles seront

utiles à mon pays, et j'aurai rempli mes devoirs de jurisconsulte et de citoyen.

J'eusse pu faire sur ce sujet un gros volume : mais à quoi bon? Il ne s'agit pas de réformer tous les abus; mais quelques-uns, mais les plus graves. Un petit nombre de pages suffit toujours pour les signaler ; quelques instans suffiront pour les lire ; le lecteur, me saisissant avec plus de facilité, me jugera peut-être avec plus d'indulgence : el ceux-là mêmes qui trouvent que tout est bien, me sauront gré de n'en avoir pas dit davantage :

Magis offendit nimiùm quàm parùm.

DES MAGISTRATS DE LA RÉVOLUTION,

DES MAGISTRATS A VENIR.

1. Dès que les Romains eurent chassé les Gaulois, leur premier soin fut de rétablir le culte des dieux protecteurs du Capitole, de rassembler les traités de paix et d'alliance jurés avec les peuples voisins, et de reviser leurs lois 1. Les sages qui gouvernaient ce grand peuple étaient trop éclairés pour ne pas voir qu'il ne suffisait pas d'avoir relevé des édifices et réparé des toits, si en même temps on ne rappelait pas les maximes fondamentales de l'état; et si l'on négligeait de consolider les institutions qui avaient fait la gloire et la prospérité de la nation. Ils pensaient, avec raison, que ce n'est pas avec des changemens perpétuels qu'on assure la félicité des peuples, et que la stabilité de la république dépendait du maintien des mœurs antiques et du respect pour les hommes qui avaient vieilli au service de la patrie.

Moribus antiquis stat res romana, virisque.

Ainsi nous avons vu qu'après avoir donné la paix à la France, Louis XVIII s'est hâté « de chercher les principes de notre Charte constitutionnelle dans le caractère français et dans les monumens vénérables des siècles passés. (Préambule de la Charte.)

2. Et ce fut sagement sait; car, à mon avis, il en est des peuples comme des individus : chacun d'eux se distingue des autres par une humeur particulière, un caractère propre, un naturel à part, que rien ne saurait altérer, vaincre, ni changer; qui peut être contrarié, retenu, comprimé quelque temps; mais qui tôt ou tard fermente, renaît et

1li ex interregno cùm extemplò magistratum inissent nullá de re priùs, quàm de religionibus senatum consuluêre. In primis, fœdera ac leges conquiri jusserunt, etc. TIT.-LIV. Decad. 1, lib. 6, cap, 1.

se manifeste avec plus d'impétuosité, d'éclat et d'énergie 1. Le Français est tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps: inconstant, léger; mais brave, généreux, loyal, passionné pour la gloire; enthousiaste de ses bons rois 2 mais ennemi déclaré de la servitude et de l'injustice : il est et sera toujours FRANC.

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Nos rois, francs et français comme nous, ont eu leurs défauts aussi; mais nos qualités nationales n'ont jamais brillé plus éminemment que chez quelques-uns d'entre eux; et la France s'enorgueillit également de la sagesse et de la piété de saint Louis, de la popularité de Louis XII, des manières chevaleresques de François Ier, de la bonté de Henri IV et de la grandeur de Louis XIV.

3. Mais ce qui forme le caractère distinctif, et comme le fond du cœur de nos meilleurs rois, c'est cette attention soutenue qu'ils ont constamment apportée à ce que dans leurs états la puissance publique fût exercée par justice et non à discrétion 3.

Leurs plus belles ordonnances avaient pour objet « de pourvoir aux biens de leur justice, abréviation des procès et soulagement de leurs subjects 4. » Et si quelque guerre ou révolution venait déranger l'ordre établi, ils n'avaient rien plus à cœur que d'y promptement remédier, daignant parfois s'excuser de ne l'avoir fait plus tôt, « parce qu'il restoit beaucoup de reliques des troubles passez en plusieurs provinces du royaume, esquelles il étoit besoin auparavant restablir le repos 5.

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Notre siècle a été témoin de tout le mal que peut enfanter la discorde mais nous respirons enfin; le règne des lois s'annonce; et le temps est venu d'espérer « que le roi aura regard aussi à la grant nécessité de ce royaume,

Naturam expellas furcâ, tamen usque recurret.

HORAT.

"Hanc summam, quâ pollebant reges nostri, auctoritatem, non supercilio in populos. sed amore in populos et mutuo popularium in regem amore, qui in Francorum cordibus à naturâ insitus videtur. RUINArt, in præfat. ad GREG. TURON. Hist. apud. D. BOUQUET., tome 2, page 80, in fine.

3 LOYSEAU, des seigneuries, chap. 2, no 9.

4 Préambule de l'ordonnance de Villers-Cotterets, de l'an 1519. 5 Préambule de l'ordonnance de Henri III, de mai 1579.

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