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qui sans bonne justice ne peut estre bien gouverné 1. » 4. En France << toute justice émane du roi : elle s'administre en son nom par des juges qu'il nomme et qu'il institue 2. >>

Dieu en soit loué, et fasse à sa majesté la grâce de ne mettre et préposer en cet office que des gens en état de le bien et loyaument remplir et exercer!

Car c'est du choix des juges que tout dépend. Même avec de mauvaises lois, de bons juges (à qui on laisse une certaine latitude) trouvent encore moyen de faire le bien; mais les meilleures lois n'empêchent pas les mauvais juges d'en abuser pour faire le mal 2.

Et pourtant il ne faut pas se dissimuler que les bons choix sont moins aisés aujourd'hui qu'autrefois. Les états plus ou moins confondus, les anciennes familles en partie déchues parmi les nouvelles, quelques-unes trop peu ou trop malheureusement éprouvées; chacun plus ou moins déprimé sous le poids de ses antécédens; les titres luttant avec les prétentions; des sollicitations de toutes parts: que d'obstacles à vaincre ! que de difficultés à surmonter!

5. Cependant on se fait naturellement les questions

suivantes :

1o Pourquoi l'ancienne magistrature était-elle si fort considérée?

2o Pourquoi les tribunaux de la révolution l'ont-ils été si peu?

3o Comment serait-il possible de rendre à l'ordre judiciaire une partie de son ancien lustre?

Telles sont du moins les questions que je me suis proposées, et que j'ai cherché à résoudre, dans l'espoir de présenter quelques vues utiles.

'Lettres-patentes du 16 février 1417. Charte constitutionnelle, art. 57.

3 Plus valent boni mores quàm bonæ leges. TACITE, de Morib. Germanorum, cap. 19.

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CHAPITRE Ier.

Pourquoi l'ancienne magistrature était-elle si fort considérée ?

6. La considération la plus étendue était anciennement attachée à l'ordre judiciaire.

J'entends par considération, non le frisson révérentiel qu'un esclave éprouve en présence de son maître, ou le respect intéressé qu'un particulier faible ou ambitieux affecte pour un homme puissant et en crédit; mais cette opinion libre, ce concert spontané de toutes les voix qui s'accordent à célébrer les louanges de l'homme vertueux.

Un monarque peut élever le plus humble de ses serviteurs au faîte de la puissance ; le charger d'honneurs et de décorations; en faire une espèce d'idole que personne n'aura droit d'abattre, et que chacun sera tenu d'encenser; mais il ne sera pas plus en son pouvoir de faire estimer le vice que de faire mépriser la vertu. La considération dépendra éternellement de l'opinion publique, et l'opinion publique ne se déclarera jamais qu'en faveur de ceux qui l'auront mérité.

7. Nos anciens magistrats se distinguaient par une éminente piété; ils rendaient la justice par conscience. Dieu était sans cesse devant leurs yeux; ses commandemens étaient toujours présens à leur mémoire; leur devoir était écrit dans ses saintes lois ; et c'est là qu'ils trouvaient ces belles maximes :

Non facies quod iniquum est, nec injustè judicabis. Non consideres personam pauperis, nec honores vultum potentis.

Justè judica proximo tuo. LEV. XIX. 15.

8. Ils y puisaient ce courage si nécessaire au magistrat pour repousser les séductions qui l'assiégent de toutes parts; cet amour ardent du bien public qui leur inspirait la volonté ferme de s'opposer à tout ce qui attaquait les lois et les principes de la monarchie; et cet héroïsme avec lequel ils résistaient au roi lui-même, quand l'intérêt du roi demandait qu'on le contredît.

Noli quærere fieri judex, nisi valeas virtute irrum¡ ere

iniquitates; ne fortè extimescas faciem potentis, et ponas scandalum in æquitate tua. EccLEs. cap. vii, v. 6.

La crainte de perdre son état, ses biens, et même la vie, ne pouvait rien sur eux. Des païens disaient en pareil cas : Dulce et decorum est pro patriámori ; ces magistrats chrétiens s'écriaient: Beati qui persecutionem patiuntur propter. justitiam.

9. Leur zèle n'était pas aveugle, leur courage ne dégénérait pas en témérité. Leur amour pour la patrie et pour le prince était éclairé par une science profonde qui leur découvrait avec certitude les limites de leurs attributions et l'étendue de leurs devoirs. Également versés dans la connaissance de l'histoire sacrée et de l'histoire profane, des lois canoniques et des lois de l'état, rien n'était capable de leur en imposer sur la nature des droits et des prétentions, l'origine des usurpations et des franchises, les abus de pouvoir, les coups d'autorité, les mesures arbitraires, tout dans la balance de leurs arrêts, pesé avec une égale sévérité, se décidait avec la même justice.

10. Leur grande naissance ne leur inspirait pas une vanité ridicule: on a même remarqué qu'ils dédaignaient de s'intituler ducs, marquis, comtes ou barons, pour ne prendre que la qualité de conseiller, de président ou d'avocatgénéral. Mais elle leur donnait la hauteur et la fierté uécessaires pour déconcerter l'importance des gens de cour, et résister aux sollicitations hardies des hommes puis

sans.

11. Ils étaient tous riches ; et l'opulence dont ils étaient environnés ne servait pas seulement à soutenir la dignité de leurs charges, mais encore à les rendre insensibles aux séductions de la fortune, qui ne sont jamais plus dangereuses que pour ceux à qui le besoin dit: Accepte.

12. Du reste, leurs grands biens n'étaient pas pour eux une occasion de dissipation et de prodigalité. Ils ne demandaient pas, comme Trimalcion, qu'est-ce qu'un pauvre? La majeure partie de leurs revenus était consacrée au soulagement des indigens et des prisonniers. Tout le temps que ne réclamait pas l'administration de la justice, ils le consacraient à s'instruire dans le recueillement du cabinet. Ils

n'avaient guère d'autre société que celle de leurs pareils ', évitant avec soin les distractions étrangères, les jeux, les fêtes, les spectacles, et toute familiarité 2 avec les gens qui n'étaient de leur état. pas

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Qu'on ne croie pas cependant qu'ils fussent de difficile accès. La rudesse et la brusquerie n'habitaient point aux portes de leurs palais; quiconque les abordait était également frappé de leur dignité et de leur modestie, de leur grandeur et de leur affabilité, de leur élévation et de leur patience. Pleins de bonté pour les faibles et les opprimés, ils tenaient leur orgueil en réserve seulement pour ceux qui venaient en habit doré les prier d'être injustes.

13. S'ils savaient se concilier l'estime et l'amour du peuple par la pureté de leurs mœurs, la sagesse de leur vie privée, et la simplicité de leurs manières, ils savaient également s'attirer le respect et la vénération dans l'exercice public de leurs charges. Quelle majesté dans ces audiences où la justice se rendait avec toute la pompe et la gravité qui semblent réservées au culte de la divinité! Quelle attention aux plaidoiries! Quelle rare patience dans la recherche de la vérité! Et puis, quelle maturité dans les délibérations! Quelle dignité dans la prononciation des arrêts! Quelle mâle vigueur dans le maintien des principes, des mœurs, et des lois, soit qu'il s'agit de conserver les bonnes coutumes du royaume, soit qu'il fût question de prévenir l'introduction des mauvaises! Et dans ces occasions solennelles où l'état entier de la France semblait intéressé à la conservation d'une liberté, à la répression d'un abus, à la punition d'un grand coupable, quel noble caractère 3 déployaient les officiers du ministère public! Comme leur voix était éloquente! Avec quelle véhémence elle s'élevait tour à tour contre le séditieux et l'oppresseur; contre l'esprit de fanatisme et l'esprit de novation; en faveur des lois contre quiconque avait osé les enfreindre 4 !

Disparem vites.

HORAT. IV. Od. II. v. 31.

2 Ex conversatione æquali nascitur contemptus dignitatis. L. 19,ff. de officio præsidis.

3

Servinum una dies pro libertate loquentem

Vidit, et oppressa pro libertate cadentem.

4 Sans nul espargner. (Lettres-patentes du 16 février 1417.)

14. De tels magistrats étaient dignes d'exercer un grand pouvoir. Leur compétence s'étendait à la fois sur les affaires publiques et sur celles des particuliers. Le criminel, le civil, la haute police, tout était de leur ressort. Le roi lui-même était leur justiciable; et ce qu'il y avait peutêtre de plus admirable en France, c'est que « l'on avait justice et raison à l'encontre du roi, aussi bien 1 qu'à l'encontre des sujets 2, ès matières civiles. » SEYSSEL, de la monarchie, page 14, édition de 1540, et folio 10 de 1519.

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15. Les juges étaient inamovibles; et cela ne contribuait pas peu à augmenter en eux le sentiment de leurs forces et leur attachement à leur devoir. C'était aussi une des raisons pour lesquelles les états tenus à Tours en 1483, désiraient l'inamovibilité des officiers, alléguant que «< sans cela ils ne seraient vertueux, ni si hardis de garder et bien défendre les droits du roi, comme ils sont tenus de le faire 3 >>

16. L'étendue des ressorts, en diminuant le nombre des cours, servait encore à accroître la considération dont elles étaient environnées. On se familiarise aisément avec ce qu'on voit de trop près et trop souvent; on a une plus grande idée de ce qu'on n'aperçoit que dans le lointain. Major è longinquo reverentia.

Le respect qu'on portait aux cours souveraines s'étendait aux siéges inférieurs; parce qu'il ne se peut guère que les chefs d'un ordre soient considérés sans que tous les membres n'en ressentent les effets. D'ailleurs les cours souveraines mettaient beaucoup de soin à réprimer toutes les atteintes portées au respect dû aux moindres jurisdictions.

17. Si l'on ajoute à tout ce qui vient d'être dit, que ces cours rendaient la justice aux peuples depuis plusieurs

1 Mieux même ; car c'était un adage au Palais qu'il fallait que le roi eut deux fois raison pour gagner son procès.

Cette liberté laissée aux tribunaux de juger suivant les formes ordinaires, entre le prince et les sujets, a quelque chose de si noble, que Tacite n'a pu s'empêcher de louer Tibère de l'avoir respectée. Tiberius, si quandò cum privatis disceptaret, FORUM ET JUS. (Annal. IV, 7.) 3 Recueil des états tenus en France; part. 1, p. 103.

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