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la législation. On avait commencé par anéantir même ce qu'il y avait de sage, et rien ne l'avait encore remplacé. Ce n'est pas que l'assemblée constituante n'eût donné plusieurs bonnes lois; mais bientôt elles se succédèrent sans suite et se multiplièrent sans raison 1. Chacun pouvant proposer ses fantaisies à la sanction improvisée de ses collègues, la législation prit en peu de temps la teinte du caractère et des passions de tous ceux qui s'en mêlèrent; et voilà pourquoi il n'est pas d'idée folle, gigantesque, atroce même, qui n'ait été mise en avant et convertie en loi .

23. Quelque odieuses que fussent ces lois, l'application qu'on en faisait était plus odieuse encore. Elles consacraient en apparence la liberté, la propriété ; et par interprétation d'icelles, les plus honnêtes gens de la nation souffraient l'exil, les fers ou la mort, après avoir été au préalable scrupuleusement dépouillés de leurs biens par les Fabricius et les Aristides qui nous prêchaient le mépris des richesses et l'égalité.

Secutæ leges, etsi aliquandò in maleficos ex delicto, sæpiùs tamen dissentione ordinum, et adipiscendi illicitos honores, aut pellendi claros viros, aliaque ob prava, per vim latæ sunt. TACIT. Ann. 1, 37. Corruptissima republica, plurimæ leges, ibid., 27.

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2 Nous avons compté jusqu'à cent cinquante et une lois ou décrets, portés en cinq jours de temps (les 11, 12, 13, 14 et 15 août 1792). Dans le nombre, 1o il y en a dont la rédaction n'est pas même française; exemple : par la loi du 12 août 1792 « l'assemblée nationale met lesdits citoyens sous la sauvegarde de la loi, également que tous les autres citoyens. 2o D'autres sont ridiculement conçues, exemples: décret du 19 brumaire an II, qui invite à faire des offrandes à la patrie en chemise. Autre décret du 14 mars 1793, portant qu'on peut faire des culottes de toute étoffe. 3o Lois de rage et d'impuissance; exemples: décret du 12 oct. 1792 qui ordonne « qu'un guidon pris sur les émigrés sera livré au bourreau pour être brûlé. » Le 15 septembre 1793; la Convention. après avoir entendu le comité de salut public, décrète qu'elle renonce désormais à toute idée de philanthropie. Le 27 brumaire an VII, elle déclare sa résolution constante d'étre terrible envers ses ennemis. Le 7 prairial an II, elle preserit aux armées de ne faire aucun prisonnier anglais ou hanovrien. Décret du 7 août 1793, qui déclare William Pitt ennemi du genre humain. 4° Lois atroces; elles sont innombrables; nous ne donnerons pour exemple que celle du 5 sept. 1793, portant (art. 11) que « ceux qui seront découverts sous un déguisement ou travestissement quelconque ou qui seront supposés d'une nation différente de celle sur le territoire de laquelle ils sont nés, seront punis de mort. » 5o Lois immorales : il suffira de rappeler celle qui accorde une prime aux filles-mères. Arrétons-nous....

Car telle était la barbare ignorance de ces prétendus républicains, qu'en se couvrant de toute espèce de crimes, ils se vantaient d'imiter les grands hommes de l'antiquité dont ils usurpaient si ridiculement les noms :

Curios simulant et Bacchanalia vivunt.

Au milieu de ce chaos anarchique, si quelque voix s'élevait encore pour demander justice, elle n'était plus, comme autrefois, entendue par des magistrats protecteurs de l'innocence et de la faiblesse; les uns avaient péri, d'autres avaient pris la fuite, le reste se tenait caché.

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Sous cet affreux régime, un juge courageux, un juge incorruptible, un juge honnête homme, un juge enfin était une exception à la règle qu'on s'était faite de les prendre de préférence parmi ceux qui n'avaient ni ame, ni cœur, ni esprit; et qui, par bassesse, par férocité ou par ignorance, étaient également propres à protéger le crime et à condamner la vertu.

Quelle vie menaient alors ces magistrats jugeant au milieu des cris de la populace, vêtus comme elle, ayant pour toge une carmagnole, pour mortier un bonnet rouge, pour code les décrets de la convention! Tutoyés par les parties et par leurs défenseurs; les tutoyant par réciprocité; fraternisant avec le premier venu; sortant d'un club furieux pour monter au tribunal, et quittant le sanctuaire de la justice pour se livrer à la débauche!

His mané edictum, post prandia Callirhoën.

PERS. sat. I.

24. Ce n'est pas que cet ordre de choses ait long-temps subsisté; ce qui est trop fort ne peut pas durer, dit le proverbe. Dès les premiers temps du consulat (ventose an vin), il se fit des changemens notables et des améliorations sensibles. Mais au lieu d'aller à la racine du mal pour l'extirper tout-à-fait, on se contenta de ces palliatifs qui ne font que calmer momentanément la douleur sans opérer la guérison.

Les lieux où l'on rendait la justice furent assainis, les costumes rendus plus décens, les hommes mieux choisis :

'On ne pouvait pas même saluer leur robe, car ils n'en portaient pas.

mais les mœurs n'avaient pas encore repris leur pureté, les lois n'avaient pas cessé d'être absurdes, injustes, contradictoires; les mêmes idées dominaient toujours en secret; et comme les déplacemens avaient porté plutôt sur un petit nombre de chefs que sur la foule des subordonnés, la masse n'en offrait pas moins un mélange impur de méchans accolés à des gens de bien.

De nouveaux changemens parurent donc nécessaires, et ne tardèrent pas à suivre les premiers; mais au lieu du bien qu'on attendait, ces mutations trop fréquentes, ces réorganisations trop multipliées, ces épurations si bien conçues et si mal exécutées, eurent le double inconvénient d'attiédir le zèle de ceux qui auraient pu s'attacher à leur état, et d'éveiller l'ambition de ceux qui voulaient s'élever. Véritables Sisyphes, ils roulaient sans cesse le rocher de leur ambition vers le sommet des honneurs, et n'exerçaient leurs charges qu'avec la mobile inquiétude d'un candidat.

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25. Cela fut vrai surtout sous l'empire...

Mais, sous ce régime, d'autres causes encore s'opposèrent à ce que l'ordre judiciaire fût respecté comme il aurait dû l'être, comme il était à désirer qu'il le fût.

26. Les juges ne se regardaient pas comme inamovibles : vainement quelques lois avaient annoncé qu'ils seraient désormais nommés à vie; leur exécution avait toujours été différée, ou du moins les destitutions arbitraires prononcées au mépris de ces lois faisaient que les citoyens ne comptaient pas plus sur leurs juges, que les juges ne comptaient sur leurs places : leur unique peur était de les perdre, leur plus grand soin de travailler à s'y maintenir '. 27. Les cours étaient trop multipliées, les ressorts trop peu étendus.

28. La compétence était trop restreinte. L'administration attirait tout à soi : c'était elle, à proprement parler,

Voyez le discours sur l'inamovibilité des juges, que j'ai fait imprimer à la fin du tome II de mon recueil des lois concernant l'organisation judiciaire, el ce que j'y dis de la vénalité des charges.

qui exerçait la juridiction ordinaire, et qui décidait des plus grands intérêts : les tribunaux et les cours n'avaient conservé que ce qu'il n'avait pas été possible de leur enlever. Loin de remarquer parmi les magistrats cette ardeur avec laquelle un corps défend ordinairement ses prérogatives, on les voyait assez souvent se déporter d'affaires dont la connaissance leur était exclusivement réservée 1. Le ministère public, au lieu d'être l'organe du tribunal ou de la cour, semblait s'en détacher, et n'être là que comme une védette placée en observation par le chef.

29. Ces causes expliquent assez pourquoi nos tribunaux modernes n'ont pas obtenu la même estime quc les anciens.

CHAPITRE III.

Des moyens de rendre à la magistrature son ancien lustre.
Non, si malè nunc, et olim
HORAT. II. od. 10.

Sic erit.

30. J'abandonne volontiers les tristes réflexions qu'a fait naître un retour inévitable sur des temps malheureux, et j'en reviens à chercher ce qui peut les faire oublier.

Mutare

Nunc ego mitibus

quæro tristia.

HORAT. I, od. 17.

51. On trouve dans le recueil des ordonnances du Louvre, t. X, p. 436, des lettres-patentes données à Troyes, le 16 février 1417, dans des circonstances qui ne sont pas sans analogie avec les temps calamiteux de notre révolution.

Ces lettres débutent par un éloge pompeux du parlement de Paris, sous les règnes précédens. «Jadis, par récitation des anciennes histoires..... fut ce dit royaume moult honoré..... parce que justice en grand équité y estait briefvement administrée par les pères (pairs) de France, et royaux conseillers... rendant à chacun ce que sien estait, exhaus

Ces

Cette timidité s'explique en partie par la crainte qu'avaient les juges d'encourir les peines que certaines lois prononçaient personnellement contre eux en cas d'empiétement sur le territoire administratif. lois, au surplus, sont encore moins absurdes que celles qui depuis ont transporté sur la tête des greffiers les peines encourues par la faute des juges... plectuntur Achivi.

sants et rémunérants les bons, corrigeants el punissants les mauvais, selon leurs démérites, sāns nul espargner; dont la renommée fut si grande et si glorieuse par le monde universel, que les nations et provinces, tant voisines dudit royaume comme estranges et très loingtaines, souventes fois y affluoient, les aucunes pour contempler l'état de la justice qu'ils réputaient plus à miracle qu'à l'œuvre humaine; les autres libéralement se y soumettoient pour y avoir droit et appaisement de leurs grans desbats et haultes querelles, et y trouvoient en tout temps équité, justice et loyal jugement; et si long-temps que de telles vertus ledit royaume a esté adorné, tant longuement il demoura en prospérité et félicité. »

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On reproche ensuite aux factieux qui avaient renvoyé l'ancien parlement, d'avoir « opprimé en diverses manières très grant nombre de personnes... qui désiroient et requéroient la paix et bon gouvernement dudit royaume... en jettant les uns à la rivière, en bannissant les autres, les boutant hors de leurs emplois, les envoyant en exil en loingtain pays, ravissant leurs biens meubles et revenus et tant de leurs bénéfices et offices comme de leur patrimoine et aultrement, iceux biens appliquants à leur singulier profit; fait mutation de monnaie très préjudiciable et dommageable à la chose publique de ce dit royaume, et fait fondre les reliques et joyaux tant de mondict seigneur (roi), comme de l'église de Notre-Dame de Paris, et d'autres églises pour en faire à leur plaisir ; bouté feu en divers lieux de ce royaume, tué, rançonné et pillé indifféremment toutes personnes... et fait tant d'autres cruelles et inhumaines oppressions, que entendement humain pouvoit penser. »

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On leur impute aussi d'avoir « pour plus longuement demourer en leur violent gouvernement et torcionnaire authorité, mis et préposé, au lieu de prud'hommes pour exercer tant la justice souveraine du parlement à Paris, comme d'ailleurs, gens de nulle auctorité et prudence, confédérés à eux, séditieux, perturbateurs de paix, conspirateurs, cruels, ignorants, ennemis et adversaires du bien commun, persécuteurs des bons et sousteneurs des mauvais; dont la justice souveraine et autres justices de ce

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