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royaume ont été et sont depuis ledit temps violentées, corrompues, peureuses, aveugles, subjectes et au dernier point mesprisées. »

On considère ensuite qu'on ne peut « pourvoir convenablement aux inconvénients dessus dicts, se justice n'a lieu et cours en ce royaume... justice sans laquelle royaumes et polices ne peuvent longuement durer. »

En conséquence on y montre la nécessité de créer une autre cour de parlement «en laquelle doivent être mises et préposées notables et solennelles personnes de grant science, loyauté, prudence et expérience de justice, ayant Dieu devant les yeux, aimants mondit seigneur, sa seigneurie et le bien commun du royaume; qui, pour doubte de menaces, faveur, ou acception de personnes, rejettées toutes haines et corruptions, ne laissent ou différent à faire loyale justice, tant aux grants comme aux petits, à la semblance et manière des vrais et loyaux juges qui, en la cour souveraine et capitale de ce royaume, souloient (solebant), par grant diligence, rendre droit, justice et

raison à un chacun. »

32. L'état où la restauration a trouvé l'ordre judiciaire est incontestablement le meilleur de tous ceux qui se sont succédé depuis 1790.

:

La jurisprudence commençait à ne plus se ressentir de l'esprit de parti, cet ennemi si actif de l'équité!

Le rétablissement des écoles de droit avait fourni des membres distingués à la magistrature et au barreau.

Depuis la chute des parlemens, les tribunaux n'avaient pas offert une composition plus rassurante. On y voyait figurer des noms illustres, d'anciens magistrats, de vieux jurisconsultes, de jeunes légistes, pleins de zèle et d'activité.

Il y avait peu de changemens à faire pour arriver à de bons résultats '.

33. Si la première organisation est bien faite, disais-je en 1814, les recrutemens seront bons; les sujets indignes n'oseront plus se mettre en ligne; ils ne trouveraient ni appui ni complaisance auprès des juges dont il s'agirait de

1 En effet, on a conservé beaucoup d'anciens magistrats.

devenir les collègues ; ils ne seraient pas admis à siéger à côté d'eux. - Mais si l'esprit de parti envahit le sanctuaire de la justice; si ce qu'on appelle opinion tient lieu de vertu, de science, de désintéressement, d'indépendance, de patriotisme et d'énergie, tout sera perdu; et au lieu d'avoir des magistrats justement et universellement respectés, on aura dès à présent, et pour long-temps, une magistrature équivoque, aussi peu digne du prince que peu rassurante pour les citoyens.

Recherchons donc avant tout quelles précautions on doit prendre pour s'assurer de bons choix.

S Ier. Du choix des magistrats.

34. Une organisation judiciaire n'est pas chose facile. On a bientôt fait d'énumérer toutes les qualités qui constituent le bon juge, le vrai magistrat : mais où trouver des hommes réunissant ces qualités au degré désirable?

Celui-ci sera noble, mais ignorant; celui-là docte, mais déloyal; un troisième s'étudiera à paraître tout autre qu'il n'est réellement; on le croira pieux, et ce ne sera au fond qu'un hypocrite; il aura le ciel dans les yeux et l'enfer dans le cœur.

35. Au défaut de certitude, et puisqu'on ne peut pas a des signes certains

Reconnaître le cœur des perfides humains,

il est bien force de s'en tenir aux apparences: elles ne trompent pas toujours ceux qui savent les interroger. Ainsi, par exemple, quoique l'héritier d'un grand nom puisse n'être qu'un sujet très médiocre, cependant il est à croire que, s'il ne remplit pas ses fonctions avec éclat, il attachera quelque importance à ne pas se déshonorer par des actions indignes de ses aïeux. Son peu de mérite personnel ne l'empêchera pas d'être fier du génie de ses ancêtres; et si le souvenir qu'il en aura conservé ne suffit pas pour le rendre capable de grandes choses, il l'empêchera du moins de s'avilir.

Il est rare, sans doute, qu'un homme très riche soit en même temps un homme laborieux, un érudit; mais s'il n'a

pas beaucoup de science, il a ordinairement reçu une éducation première qui a façonné son esprit et l'a disposé à acquérir de l'instruction; comme une terre bien cultivée est propre à recevoir toute espèce de semence, quoiqu'elle n'ait encore porté aucun fruit. Il est enfin à espérer que l'homme comblé des dons de la fortune ne sera pas corruptible comme celui qui n'a que sa place pour vivre; et ce n'est pas un médiocre avantage.

La vie qu'un homme a menée peut servir beaucoup à se fixer sur son compte. Il est naturel de penser que celui qui est né dans la robe, qui a pris ses grades dans une faculté de droit, exercé ensuite la profession d'avocat ou géré quelque emploi judiciaire, a acquis une expérience conforme à la nature de ses occupations, et proportionnée au temps qu'il y a consacré, à la réputation qu'il s'y est faite. 36. Il est vrai que ces règles fléchissent le plus souvent sous le poids des recommandations; et cette cause influe si puissamment et si généralement sur les mauvais choix, qu'en déplorant ses tristes effets, je ne puis me dissimuler d'avance l'inutilité des réflexions que je vais présenter. On dira bien, avec Horace, à ceux qui font métier de recommander autrui :

Qualem commendes, etiam atque etiam adspice; ne mox
Incutiant aliena tibi peccata pudorem :

mais ils n'en feront rien.

On dira encore aux personnes à qui ces recommandations s'adressent : N'y ayez aucun égard, toutes les fois qu'elles s'appliqueront à des sujets indignes. Mais ils vous répondront: Comment faire ? Monsieur un tel est recommandé par M. le prince..., par monseigneur..., par madame la duchesse..., par son éminence..., je ne puis pas m'empêcher de le présenter. On le présente done; mais par événement, il se trouve que le sujet nommé n'est qu'un mauvais praticien qui a su en imposer à un brave militaire, ou un faux dévot qui a surpris la religion d'un saint prélat, ou un fat qui a fait des vers pour la femme d'un homme en crédit.

37. Au milieu de tous ces piéges, le ministre que le prince honore de sa confiance au point de se reposer sur

lui du soin des présentations, doit s'appliquer à distinguer: Les intrigans qui veulent percer, des gens qui ne font que céder à l'impulsion d'une vocation réelle;

L'homme indépendant qui ne cherche que l'honneur, de l'homme avide qui court uniquement après les appointemens;

L'homme qui demande une chose méritée, de celui qui poursuit une faveur injuste;

L'homme exercé, de l'homme incapable;

L'homme vertueux, de l'homme taré;

L'homme généralement estimé, de celui dont la réputation est mauvaise, ou équivoque, ou nulle;

Des gens dont les places aient besoin; et non pas des gens qui aient besoin des places;

En un mot, il ne doit pas perdre de vue que, la justice étant la première dette de la souveraineté, il faut que ceux qui sont chargés d'en acquitter la conscience du roi, la rendent comme il la rendrait lui-même, s'il était encore d'usage en France que le roi jugeât en personne, à l'exemple de saint Louis.

58. Le système impérial avait en horreur ce qu'on appelle les gens du pays. Préfets, sous-préfets, juges, il fallait que tout fonctionnaire fût étranger à la localité, afin qu'au premier ordre arrivé de Paris, il pût se ruer sans ménagement sur les conscrits, les contribuables et les accusés.

De là, d'insuffisans traitemens pour des fonctionnaires qu'on éloignait ainsi de leurs foyers domestiques; tandis que des appointemens plus modérés eussent suffi à l'homme qui avait déjà dans le pays sa maison, son petit domaine. La perpétuité de ce système a singulièrement influé sur la faible composition des tribunaux de première instance. Comment, en effet, espère-t-on trouver des hommes riches et capables qui consentent à se déplacer pour aller juger au loin, moyennant 1,200 francs, et souvent en triste compagnie? L'homme qui n'a rien, absolument rien, prendra volontiers cette somme : c'est toujours cela; mais alors vous avez un pauvre juge, un homme dépendant de tout ce qui l'entoure. Au lieu que, si l'on voulait revenir au principe de l'ancienne magistrature, et prendre les juges

sur les lieux, au sein du pays qui les a vus naître, au milieu de la considération qu'ils se sont acquise, de la bonne réputation qu'ils se sont créée; on trouverait des hommes déjà riches de leur patrimoine et de leur expérience, qui consentiraient à être juges dans leur pays natal, pour le seul honneur d'être juges! Mais proposer à ces mêmes hommes de tout quitter, famille, amis, fortune, pour aller juger à vingt, trente et quarante lieues de leur pays natal, moyennant 1,200 francs! ils aimeront mieux rester chez eux, ou bien ces messieurs voudront venir à Paris.

Si les fonctions judiciaires étaient déférées aux notables de chaque ressort, cela satisferait beaucoup d'ambitions qui se trouveraient par-là casées et immobilisées.

On remédierait ainsi à l'un des plus grands maux de l'époque actuelle ; à cette ardeur, cette espèce de prurit, qu'ont tous les ambitieux (par l'exemple alléchés) d'affluer vers la capitale, parce qu'il n'y a qu'à Paris où soit et d'où vienne le pouvoir...

Si l'on n'adopte pas cette mesure, il faut au moins augmenter le traitement des juges, ou exiger qu'ils paient un cens de quelque importance; car, en vérité, il est bien peu rassurant pour les citoyens de voir leur fortune, leur honneur, leur existence entière dépendre de gens qui sont en proie aux premiers besoins.

Autrement on les verra réduits à devenir les commensaux des avoués; et, comme dit Loyseau, ils paieront leur écot aux dépens de la justice...

39. Si la loi a sagement fait d'établir certaines incompatibilités, dont l'effet est d'empêcher que des parens en certain degré ne soient à la fois juges, greffiers, ou procureurs du roi dans le même siége, de manière à composer ainsi une espèce de tribunal de famille, il serait également essentiel d'empêcher, par exemple, que, le père ou l'oncle étant juges, le fils ou le neveu ne fussent avoués dans le

On opposera l'inconvénient qu'il y a à donner du pouvoir à un homme dans le pays où il ses parens, ses amis, ses propriétés. On redoute les prédilections et les influences. Mais si c'est un motif pour ne pas prendre tous les fonctionnaires, sans exception, dans le pays qui les a vus naître, ce n'est pas une raison pour se faire une loi de ne nommer que des étrangers. Inter utrumque tene.

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