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Aussi, sous les consuls comme sous les rois, les citoyens de Rome revendiquèrent le pouvoir législatif; et, après avoir obtenu des tribuns, les plébéiens, désormais opposés au sénat, donnèrent, sous la présidence de ces magistrats, des ordonnances appelées plebiscita, différentes des lois proprement dites populiscita.

Rien ne fut plus fréquent alors que de voir les plébiscites en contradiction avec les édits consulaires. Chacun s'arrogeait la puissance législative : les consuls se l'attribuaient, les tribuns la réclamaient pour le peuple, et l'un d'eux parvint à faire décider que, dorénavant, les consuls observeraient la loi que le peuple se serait donnée; QUOD POPULUS IN SE JUS DEDERIT, EO CONSULEM USURUM. Tit. Liv. III, 9 1.

Pour faire cesser ee déplorable conflit, on convint enfin, l'an 300 de Rome, d'envoyer des députés en Grèce, pour en compulser les lois et les accommoder aux mœurs des Romains.

Au retour de ces députés, on créa les décemvirs : à leur tête était Appius Claudius; on les chargea de mettre en ordre les lois que les députés avaient apportées.

Les décemvirs, aidés d'Hermodore, illustre exilé d'Éphèse, se livrèrent à ce travail avec tant d'application, que, dès l'année 303 de Rome, ils soumirent à l'acceptation du peuple leurs lois gravées sur X tables d'airain, auxquelles ils ajoutèrent deux autres tables peu de temps

après.

Telles furent les lois des XII tables, que Tite-Live appelle fons universi publici privatique juris, et que Cicéron met au-dessus des bibliothèques de tous les philosophes, omnibus omnium philosophorum bibliothecis anteponendum opus; composé admirable de ce que les anciens usages des Romains avaient de plus sage, et de ce que les Grecs leur avaient fourni de mieux approprié à leurs mœurs : tum ex Græcorum jure, tum ex patriis consuetudinibus. ( Dionis. Halic. X, 66.)

Ces lois furent reçues des Romains avec enthousiasme.

'Le peuple est maître à Rome, et veut être obéi.

(RÉGULUS.)

Tous ceux qui se destinaient à l'étude de la jurisprudence devaient en apprendre le texte, tanquam carmen necessarium. ( Cic. de legib. II, 23).

Les plus célèbres jurisconsultes s'appliquèrent à les interpréter, et S. Cyprien (2, epist. 2) nous atteste que, de son temps, on les conservait encore dans leur entier. Mais tout cela n'a pas empêché qu'elles ne périssent lors de l'irruption des barbares; et nous n'en avons aujourd'hui que des fragmens épars dans le Digeste et dans quelques anciens, que J. Godefroy a compilés avec une érudition immense et enrichis d'excellentes notes.

Plusieurs auteurs conseillent de commencer par l'étude de ces lois, qui, en effet, nous indiquent l'origine et le principe de beaucoup d'institutions; mais d'autres, à l'avis desquels je me range, pensent, au contraire, que cette étude n'est bonne qu'à ceux qui veulent approfondir la science; et qu'il faut dire au vulgaire : Procul, ó procul este, profani!

CHAPITRE III.

Droit romain depuis les XII tables jusqu'au temps d'Auguste.

Les Romains jouissaient enfin de ce code qu'ils avaient tant désiré; mais l'impulsion était donnée; la lutte du sénat et du peuple se renouvelait tous les jours, et il était impossible que les lois ne se ressentissent pas du désordre de la cité. Plus les législateurs parlaient, et plus les lois restaient muettes; elles se multiplièrent à l'excés, et dès-lors on put dire, corruptissima republicá, plurimæ leges. TACIT. Annal. III,

27.

Les magistrats plébéiens essayèrent plusieurs fois de dépouiller les patriciens, non seulement de leurs honneurs, mais encore de leurs biens; les patriciens, de leur côté, soutinrent que les plébiscites n'étaient pas obligatoires pour eux : de là ces jalousies furieuses entre le sénat et le peuple, entre les patriciens et les plébéiens; les uns alléguant toujours que la liberté excessive se détruit enfin elle-même ; et les autres craignant au contraire que l'autorité, qui de sa nature croît toujours, ne dégénérât enfin en tyrannie : de là ces retraites des plébéiens sur le mont Aventin et sur le mont Janicule, et cette transaction politique, qui soumit les patriciens à l'autorité des plébiscites; ut plebiscita omnes Quirites tenerent. AULUS GELLIUS, Noct. Att. lib. 15, c. 27.

De ce moment les plébiscites eurent force de loi, et même en prirent le nom.

Cependant il restait encore au sénat des moyens de dominer le peuple. A peine les XII tables avaient-elles été promulguées, que les patriciens imaginèrent des formules sans lesquelles on ne pouvait régulièrement intenter aucune action. L. 2, § 6, ff. de orig. juris.

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Ils ajoutèrent à cela la distinction des jours fastes où l'on pouvait agir, et des jours néfastes où l'on ne le vait pas; et de tout cet assemblage de subtilité et de superstition, ils composèrent ce qu'ils appelaient legis actiones.

De cette manière ils concentrèrent dans leurs mains toute la connaissance des affaires contentieuses, et, sous l'apparence du droit de patronage qu'ils s'arrogeaient comme un attribut de leur caste, ils acquirent une immense autorité.

On conçoit combien ils étaient intéressés à dérober au peuple la vue de cette nouvelle chaîne. Mais cet avantage leur fut enlevé vers l'an de Rome 449, par Cn. Flavius, qui surprit ces formules à Appius Claudius Cæcus, dont il était secrétaire, les réunit en un seul corps, et les livra ensuite à la connaissance du peuple, qui l'en récompensa en le nommant édile. On appela ce recueil de formules, JUS FLAVIANUM.

Vainement les patriciens essayèrent de ressaisir leur

autorité, en imaginant de nouvelles formules : leur secret fut encore surpris et divulgué par S. Elius Catus, dont la compilation prit le nom de Jus ELIANUM.

Toutefois il leur restait encore deux armes puissantes, Interpretatio et Disputatio fori.

Les lois des XII Tables avaient été écrites avec beaucoup de concision, eleganti atque absolutá brevitate verborum. (GELLIUS, lib. 20, cap. 1.) Elles disaient beaucoup en peu de mots; mais elles ne disaient pas tout. Or, les patriciens, à l'aide des interprétations qu'ils en donnaient, en tiraient par voie d'induction des décisions nouvelles, qui ne résultaient pas toujours du texte ; d'où vint qu'on ne les appela pas seulement interpretes, mais encore Auctores et Conditores juris. CUJAC. obs. vii. 25.

Il arrivait quelquefois que les jurisconsultes ne s'accordaient pas sur ces interprétations: alors ils s'assemblaient ou dans le forum ou près du temple d'Apollon, pour agiter les questions controversées entre eux, et le résultat de cette conférence formait une décision que l'on appelait recepta sententia. C'est de ces difficultés ainsi résolues, que les lois parlent, quand elles disent POST MAGNAS VARIETATES OBTINUERAT... L. ult ff. de leg. L. 32. ff. de obligat. EX DISPUTATIOne fori venit... Ascan. Pædian. in verrin. 3. JUS CONSENSU RECEPTUM, pr. Inst. de acq. per abrog. Jus COMMENTITIUM, L. 20, ff. de pœnis, juncto Bynkersh. Obs. V. 16.

Les patriciens qui, comme on l'a dit, exerçaient seuls la profession de jurisconsulte, évitaient soigneusement d'initier les plébéiens dans les mystères de leur art: in latenti jus civile retinere cogitabant; solùmque consultatoribus potiusquàm discere volentibus se præstabant. Mais Tib. Caruncanius, qui n'entrait pas dans cette manière de voir, se mit à professer publiquement cette science jusque-là mystérieuse. A ce moyen, la jurisprudence ne fut plus le patrimoine exclusif des patriciens; chacun put devenir jurisconsulte, et il fut vrai de dire :

Tamen ima plebe quiritem

Facundum invenies: solet hic defendere causas
Nobilis indocti : veniet de plebe togatá,

Qui juris nodos et legum ænigmata solvat.

Juv. VII, 47.

A l'exemple des rois, les consuls s'étaient mis en possession de décider tous les cas non prévus par les lois. Lorsque les consuls, entièrement livrés aux occupations de la guerre, se trouvèrent forcés d'abandonner le soin des affaires civiles aux différens magistrats qui furent créés pour les suppléer, on vit ces magistrats, et surtout les préteurs, donner des édits sur les différentes branches d'administration qui leur étaient confiées.

La raison, en effet, était toujours la même. Sans doute, tout doit se taire quand la loi parle ; mais lorsque la loi est muette, les magistrats doivent suppléer à son silence, et décider, par des édits spéciaux, les questions particulières qu'il n'a pas été possible au législateur de comprendre dans la règle générale qu'il a tracée. Oportet leges dominas esse, si sint rectè scriptæ; magistratus autem EDICERE debet de illis de quibus leges exquisitè aliquid decernere nequeant, eò, quod non facile sit sermone generali singulos casus comprehendere. (ARIST. Polit. III, 2.)

Les édits des préteurs étaient de plusieurs sortes. Les uns appelés repentina, étaient donnés dans les cas qui se présentaient à l'instant et comme à l'improviste; les autres étaient donnés ad perpetuam jurisdictionem, et s'étendaient à tout le temps que devait durer la magistrature 1. Parmi ces derniers, on appelait tralatitia ceux que le nouveau préteur conservait parmi les édits de son prédécesir; et nova, ceux que le nouveau préteur ajoutait de suo à l'ancien édit; car chaque préteur, en entrant en charge, montait à la tribune aux harangues, et déclarait (edicebat) quelles règles il suivrait en rendant la justice. Cet édit était ensuite écrit in albo.

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Ces édits avaient ordinairement pour unique but d'aider à la lettre des lois, d'y suppléer ou de les rectifier: frebant adjuvandi, vel supplendi, vel corrigendi juris civilis gratiá. L. 7, § 1. ff. de justit. et jure. Du reste, il n'était pas permis aux préteurs de changer directement la loi même. Mais ils venaient toujours à bout de l'enfreindre au

C'est-à-dire, un an; c'est pourquoi Cicéron, dans sa deuxième Verrine, n° 42, appelle l'édit du préteur, lex annua cui fincm adferant kalendæ januariæ.

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